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Journée mondiale du théâtre : Nina Lee Aquino, autrice du message canadien

© Dahlia Katz

Le message canadien de la Journée mondiale du théâtre 2018 est signé par Nina Lee Aquino, comédienne, auteure et metteuse en scène phillipino-canadienne installée à Toronto. Il a été traduit en français par Djennie Laguerre, comédienne canadienne d’origine haïtienne.

Une autre sorte de chirurgie cardiaque

Lorsqu’on me demande pourquoi je fais ce métier, je donne toujours la même réponse: pour créer un monde meilleur. Parce que je crois profondément que le théâtre peut changer le monde. Pour certains, cette croyance peut être trop simple, naïve et clichée. Mais c’est mon marathon, ma course et je demande à tous les artistes qui se rallient à moi de courir à mes côtés. Pour moi, c’est aussi simple que ça.

Le Théâtre survit et prospère malgré toutes les menaces à son existence et à sa pertinence. Aux côtés de la radio, du cinéma, de la télévision, des évènements sportifs et avec l’ubiquité de la diffusion web, c’est la seule forme d’art qui, par son essence, par sa nature exige la présence d’un public. Cet art a besoin qu’on soit tous dans le même espace à regarder, à vivre le même événement, ensemble, en même temps. À y penser, c’est quand même un miracle. On met quelque chose sur scène et les gens viennent. Peut-être des amis, un soir, en quête d’aventures ou les membres d’une famille qui viennent encourager la performance d’un être cher, peut-être par obligation… qu’importe. Une fois les lumières diminuées pour ensuite aller au noir, les gens réunis sont liés par l’histoire qui va se dérouler.

Sur nos planches (traditionnelles ou non traditionnelles), le public n’est pas seulement un témoin, mais un participant: aux histoires qui nous montrent les blessures. Aux histoires qui nous montrent le remède. Aux histoires qui nous permettent d’oublier le monde extérieur. Aux histoires qui nous rappellent que l’extérieur existe. Aux histoires qui nous coupent le souffle. Aux histoires qui nous réconfortent. Aux histoires qui nous apprennent tout, aux histoires qui nous désapprennent tout. Aux histoires qui nous rappellent le passé et combien nous avons évolué. Aux histoires qui nous projettent vers le futur et font appel à notre imagination.

Toutes ces histoires sont d’une importance vitale; du théâtre populaire qui distrait les foules et remplit les sièges, au théâtre qui affiche les dures réalités – du théâtre qui réconforte au théâtre qui dérange. J’ai vu beaucoup de productions… Dans de grandes salles, petites salles, et même hors des salles… Après toutes mes aventures au théâtre, il y a une chose dont je suis certaine: j’y entre en étant une personne et j’en sors en étant une autre. À. Chaque. Fois. C’est ainsi que le théâtre agit; il nous libère ou nous offre une réaffirmation de quelque chose d’important qu’on a oublié à propos de nous-mêmes, à propos des autres ou à propos du monde. Qu’on en soit conscient ou non, on en sort transformé, changé. À y penser, ça coupe le souffle! On a tellement le pouvoir de changer le monde.

Peut-être que cela nous aide à comprendre pourquoi il est si important de se rallier pour avoir une écologie théâtrale plus inclusive, plus diversifiée… et pourquoi plusieurs d’entre nous vouons notre carrière à cette cause. Cet engagement va au-delà d’un mot-clic, au-delà d’un quota ou de l’obtention d’un meilleur financement gouvernemental. Ça va au-delà de la réponse type de «refléter la mosaïque de la ville, du pays où l’on vit». Des histoires diversifiées présentent des solutions diversifiées. De nouvelles approches créatives pour raconter des histoires afin de trouver des réponses aux questions qu’on croit insolubles. Elles peuvent mener à des solutions ingénieuses à nos problèmes, nous donner accès à de nouvelles perspectives infinies et renouveler notre capacité à rêver encore plus qu’auparavant.

Après tout, notre métier d’artiste de théâtre est de demander à notre peuple, notre communauté, nos concitoyens de vivre quelque chose ensemble; quelque chose d’immédiat, de viscéral et de nécessaire. On rappelle aux gens qu’être humain c’est énorme, important et compliqué. Quoique parfois assaillis par la vente de billets, l’évaluation des critiques et l’obtention de prix, on a bien plus à offrir. C’est une différente sorte de chirurgie cardiaque.

Le travail que nous réalisons à l’avant et en arrière-scène: c’est de communiquer quelque chose, d’exprimer quelque chose d’important. On peut aider à se souvenir ou aider à oublier. On peut rallier et appeler les gens à l’action. On peut aussi les influencer et les éclairer. On peut les provoquer ou les calmer. À travers l’histoire, le théâtre a joué un grand rôle dans notre vie de citoyen. Le théâtre peut jouer ce plus grand rôle si nous sommes tous d’accord de lui donner cette fonction. Si on lui attribue cette valeur.

Dans ce climat tumultueux dont nous sommes tous conscients, je crois fermement au pouvoir de ma profession; au pouvoir du théâtre et de son importance dans nos vies. Il est évident que notre travail d’artiste de théâtre est loin d’être terminé. Qu’il s’agisse d’un public composé de 10 ou 100 ou 10 000 spectateurs… nous pouvons et allons changer le monde.