Il fallait le faire, et Katya Montaignac l’ose: réunir, en parallèle, deux monstres performeurs, Benoit Lachambre et Peter James. Séparés par un rideau noir qui coupe la scène en deux, laissant le public libre de se déplacer s’il veut voir, l’un, danseur gourou du corps imaginant, et l’autre, acteur clown acrobate, évoluent à l’improviste dans des installations sonores et théâtrales, déconstruites, sous l’œil extérieur de Katie Ward et de Dana Michel.
Insituables, Lachambre et James ne sont pas intéressés par «la danse», mais tous deux experts de la présence, des états de corps performés. Voici que ces deux artistes impayables, l’un à demi nu, l’autre se roulant au sol ou même par-dessus les spectateurs, habitent en naufragés ces espaces allusifs du quotidien, encore reconnaissables, mais surtout détruits. Des gestes nombreux, rompus, sont esquissés plus qu’enchaînés. Il y a de l’absurde, de la réjouissance enfantine, des arrêts de jeu. Time out! James frappera de toutes ses forces sur un bottin pour le réduire en charpie. Lachambre se préparera un drôle de café, le sirotant à travers son casque de Dark Vador. L’un prête sa fureur de gladiateur à l’autre forcené; puis l’un prête son calme à l’autre, qui contrôle le son de sa table d’ordinateurs. Parallèles, asymétriques, ces fous enfermés font le tour du domaine. Tout y est signe, langage, mais nul mot, même pas ceux lancés en boucle dans l’espace, ne convient à cette scénographie théâtrale, où l’improvisation soutient l’attente de l’acte improbable. Rien ne commence ni ne finit. Un ouragan a dévasté leur île, et la sensation de vide mesuré demeure.
Il est osé d’adjoindre Katie Ward et Dana Michel à ces géants du jeu scénique; osé de penser qu’elles puissent les diriger. Qu’elles proposent, ils disposeront à l’évidence de cet espace convivial qu’est Danse-Cité, sis dans un théâtre qui accueille de vrais chantiers créatifs. Mais penser ainsi est encore errer: si tout est réflexion versée en jeu, la décomposition prime. Les traces de langage amènent au minimalisme de la danse, à une écriture concrète, que Montaignac intitule «Dernier acte», à juste titre, avant de tirer sa révérence de la 2e Porte à Gauche.
Que Lachambre s’empare d’un chariot à roulettes – ouvre-boîte, bouilloire, boîte de conserve, aspirateur, tout est bon – et en fasse un déambulateur, un tambour ou un rebut, que James se défoule sur son tapis encombré, c’est là le secret des coffres à trésor: l’essence du moment scénique, une extrême théâtralité sans propos ni narration. Le silence enceint du potentiel infini des avènements grandit. Cri ou vocifération, son animal, qu’importe! La grammaire de la danse déroule ses phonèmes, ses graphèmes, ses hiéroglyphes propres au mouvement dansé. De Marcel Duchamp, il demeure le rituel, l’envers du geste beau, la parodie et le mime remplissant un présent suspendu à une attente vaine. Quelque chose advient de cette négation paradoxale, accrochant le sourire au son décalé du néant. Ainsi, de leurs années d’expérimentations, ces personnalités de la scène montréalaise persistent à se montrer étranges et déjantées. Insolence, ironie? Grands enfants, ils endossent l’extravagance des gourous, démontrent que la limite de l’expérience peut toujours être repoussée.
Direction artistique: Katya Montaignac. Chorégraphes: Dana Michel et Katie Ward. Éclairages: Karine Gauthier. Avec Benoît Lachambre et Peter James. Une production de Danse-Cité, en collaboration avec la 2e Porte à Gauche et Par B.L.eux. À la Chapelle jusqu’au 31 mars 2018.
Il fallait le faire, et Katya Montaignac l’ose: réunir, en parallèle, deux monstres performeurs, Benoit Lachambre et Peter James. Séparés par un rideau noir qui coupe la scène en deux, laissant le public libre de se déplacer s’il veut voir, l’un, danseur gourou du corps imaginant, et l’autre, acteur clown acrobate, évoluent à l’improviste dans des installations sonores et théâtrales, déconstruites, sous l’œil extérieur de Katie Ward et de Dana Michel.
Insituables, Lachambre et James ne sont pas intéressés par «la danse», mais tous deux experts de la présence, des états de corps performés. Voici que ces deux artistes impayables, l’un à demi nu, l’autre se roulant au sol ou même par-dessus les spectateurs, habitent en naufragés ces espaces allusifs du quotidien, encore reconnaissables, mais surtout détruits. Des gestes nombreux, rompus, sont esquissés plus qu’enchaînés. Il y a de l’absurde, de la réjouissance enfantine, des arrêts de jeu. Time out! James frappera de toutes ses forces sur un bottin pour le réduire en charpie. Lachambre se préparera un drôle de café, le sirotant à travers son casque de Dark Vador. L’un prête sa fureur de gladiateur à l’autre forcené; puis l’un prête son calme à l’autre, qui contrôle le son de sa table d’ordinateurs. Parallèles, asymétriques, ces fous enfermés font le tour du domaine. Tout y est signe, langage, mais nul mot, même pas ceux lancés en boucle dans l’espace, ne convient à cette scénographie théâtrale, où l’improvisation soutient l’attente de l’acte improbable. Rien ne commence ni ne finit. Un ouragan a dévasté leur île, et la sensation de vide mesuré demeure.
Il est osé d’adjoindre Katie Ward et Dana Michel à ces géants du jeu scénique; osé de penser qu’elles puissent les diriger. Qu’elles proposent, ils disposeront à l’évidence de cet espace convivial qu’est Danse-Cité, sis dans un théâtre qui accueille de vrais chantiers créatifs. Mais penser ainsi est encore errer: si tout est réflexion versée en jeu, la décomposition prime. Les traces de langage amènent au minimalisme de la danse, à une écriture concrète, que Montaignac intitule «Dernier acte», à juste titre, avant de tirer sa révérence de la 2e Porte à Gauche.
Que Lachambre s’empare d’un chariot à roulettes – ouvre-boîte, bouilloire, boîte de conserve, aspirateur, tout est bon – et en fasse un déambulateur, un tambour ou un rebut, que James se défoule sur son tapis encombré, c’est là le secret des coffres à trésor: l’essence du moment scénique, une extrême théâtralité sans propos ni narration. Le silence enceint du potentiel infini des avènements grandit. Cri ou vocifération, son animal, qu’importe! La grammaire de la danse déroule ses phonèmes, ses graphèmes, ses hiéroglyphes propres au mouvement dansé. De Marcel Duchamp, il demeure le rituel, l’envers du geste beau, la parodie et le mime remplissant un présent suspendu à une attente vaine. Quelque chose advient de cette négation paradoxale, accrochant le sourire au son décalé du néant. Ainsi, de leurs années d’expérimentations, ces personnalités de la scène montréalaise persistent à se montrer étranges et déjantées. Insolence, ironie? Grands enfants, ils endossent l’extravagance des gourous, démontrent que la limite de l’expérience peut toujours être repoussée.
Pluton Acte 3
Direction artistique: Katya Montaignac. Chorégraphes: Dana Michel et Katie Ward. Éclairages: Karine Gauthier. Avec Benoît Lachambre et Peter James. Une production de Danse-Cité, en collaboration avec la 2e Porte à Gauche et Par B.L.eux. À la Chapelle jusqu’au 31 mars 2018.