Entrepôt Beaumont, «le meilleur choix d’entreposage libre service à Montréal», abrite ces jours-ci une cargaison exceptionnelle: Local B-1717, une expérience théâtrale plus qu’un spectacle, une déambulation dans les méandres d’un lieu inhospitalier qui fait froid dans le dos (et froid tout court). À l’arrivée, on vous remet une clé accompagnée d’une lampe de poche, à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence, «tout en sachant que cela pourrait perturber le déroulement de la représentation». Fait indiscutable: l’heure que vous passerez à suivre les comédiens, à sillonner les coins obscurs de ce théâtre inhabituel, vous déstabilisera à un moment ou à un autre, et plus vraisemblablement dans la seconde moitié de l’expérience. On s’y lance avec l’appréhension fébrile des amateurs de montagnes russes, et toutes les mises en garde à l’égard des épileptiques, claustrophobes et achluophobes nous font l’effet d’amuse-bouches. Amusés, oui, mais un tantinet inquiets quand même.
La représentation s’ouvre sur l’entrée instable d’une femme déboussolée, personnage fantomatique et sensuel que l’on suivra dans sa quête introspective. La nuit, elle trouve refuge dans cet entrepôt qui devient tantôt le coffre de ses souvenirs, tantôt le miroir de ses états d’âme. Elle essaie d’arrêter de fumer, se demande que faire du reste de sa vie, de ses relations, de cette rencontre d’un soir, dans un bar. La méditation ouverte s’offre à nous, promeneurs voyeurs, comme un récit cosmogonique et caché. Elle nous raconte ses peurs, ses doutes, son enfance. Peut-être sommes-nous d’ailleurs les déclencheurs de cet effort mémoriel, à la lisière de la conscience de sa propre solitude. À mesure que les souvenirs se desserrent, l’étau scénographique se resserre. L’expérience collective initiale se dérobe au profit de l’immersion en solo. Claustrophobes s’abstenir.
Mis en scène par Geneviève L. Blais, le spectacle n’a donc rien d’une pièce conventionnelle: pas de scène fixe ni de linéarité dans le texte écrit par Erin Shields (et traduit en français par Maryse Warda). Seules quelques caisses de lait superposées ici et là font office de tabourets pour les spectateurs qui souhaiteraient s’asseoir. La conception de la pièce, toujours mouvante et fragmentée, oblige toutefois à se déplacer, à scruter d’où surgiront les comédiens. Où se positionner pour de pas bloquer la vue ou le passage des interprètes? La jauge de chaque représentation – 20 participants maximum – contribue à instaurer une intimité entre les spectateurs. On assiste à des saynètes interprétées ici et là, jusque dans les casiers d’où surgissent des objets entreposés, fragments de vies reconstituées.
Marie-Ève Milot insuffle une fragilité déconcertante à sa doctorante dépressive que l’on apprend à connaître dans ses plus sombres tourments; mais le personnage principal de cette expérience déroutante, c’est peut-être son lieu, comme l’indique le titre. Le choix de l’entrepôt symbolise bien cette transition de l’espace public à l’espace privé; chaque pièce à débarrer ajoute à l’effort de révélation et de dissimulation. L’escalier en colimaçon agit comme un passage initiatique que l’on emprunte pour accéder aux récits intimes les plus enfouis: fantasmes et sexualité susurrés dans le noir. C’est l’heure où notre petite foule se désagrège pour vivre l’expérience séparément. Il y a toujours la lampe de poche, au cas où…
Entre danse, performance et théâtre, installation d’art visuel aussi, la mise en scène lynchéenne de Geneviève L. Blais accompagne habilement la déambulation sensible et émotive de notre guide égarée. La progression dans les méandres de son subconscient nous conduira jusque dans les confins de l’entrepôt. À chacun son locker, à chacun ses peurs. On ressort de l’expérience agréablement ébranlé, épaté par l’incroyable travail des régisseurs dans cette immersion à la frontière des souvenirs et de l’oubli.
Texte: Erin Shields. Traduction: Maryse Warda. Mise en scène: Geneviève L. Blais. Scénographie: Marie-Ève Fortier. Costumes et accessoires: Fruzsina Lanyi. Musique: Symon Henry. Éclairages: David-Alexandre Chabot. Avec Marie-Ève Milot (version française) et Laurence Dauphinais (version anglaise). Une production du Théâtre à corps perdus. À l’Entrepôt Beaumont jusqu’au 29 avril 2018.
Entrepôt Beaumont, «le meilleur choix d’entreposage libre service à Montréal», abrite ces jours-ci une cargaison exceptionnelle: Local B-1717, une expérience théâtrale plus qu’un spectacle, une déambulation dans les méandres d’un lieu inhospitalier qui fait froid dans le dos (et froid tout court). À l’arrivée, on vous remet une clé accompagnée d’une lampe de poche, à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence, «tout en sachant que cela pourrait perturber le déroulement de la représentation». Fait indiscutable: l’heure que vous passerez à suivre les comédiens, à sillonner les coins obscurs de ce théâtre inhabituel, vous déstabilisera à un moment ou à un autre, et plus vraisemblablement dans la seconde moitié de l’expérience. On s’y lance avec l’appréhension fébrile des amateurs de montagnes russes, et toutes les mises en garde à l’égard des épileptiques, claustrophobes et achluophobes nous font l’effet d’amuse-bouches. Amusés, oui, mais un tantinet inquiets quand même.
La représentation s’ouvre sur l’entrée instable d’une femme déboussolée, personnage fantomatique et sensuel que l’on suivra dans sa quête introspective. La nuit, elle trouve refuge dans cet entrepôt qui devient tantôt le coffre de ses souvenirs, tantôt le miroir de ses états d’âme. Elle essaie d’arrêter de fumer, se demande que faire du reste de sa vie, de ses relations, de cette rencontre d’un soir, dans un bar. La méditation ouverte s’offre à nous, promeneurs voyeurs, comme un récit cosmogonique et caché. Elle nous raconte ses peurs, ses doutes, son enfance. Peut-être sommes-nous d’ailleurs les déclencheurs de cet effort mémoriel, à la lisière de la conscience de sa propre solitude. À mesure que les souvenirs se desserrent, l’étau scénographique se resserre. L’expérience collective initiale se dérobe au profit de l’immersion en solo. Claustrophobes s’abstenir.
Mis en scène par Geneviève L. Blais, le spectacle n’a donc rien d’une pièce conventionnelle: pas de scène fixe ni de linéarité dans le texte écrit par Erin Shields (et traduit en français par Maryse Warda). Seules quelques caisses de lait superposées ici et là font office de tabourets pour les spectateurs qui souhaiteraient s’asseoir. La conception de la pièce, toujours mouvante et fragmentée, oblige toutefois à se déplacer, à scruter d’où surgiront les comédiens. Où se positionner pour de pas bloquer la vue ou le passage des interprètes? La jauge de chaque représentation – 20 participants maximum – contribue à instaurer une intimité entre les spectateurs. On assiste à des saynètes interprétées ici et là, jusque dans les casiers d’où surgissent des objets entreposés, fragments de vies reconstituées.
Marie-Ève Milot insuffle une fragilité déconcertante à sa doctorante dépressive que l’on apprend à connaître dans ses plus sombres tourments; mais le personnage principal de cette expérience déroutante, c’est peut-être son lieu, comme l’indique le titre. Le choix de l’entrepôt symbolise bien cette transition de l’espace public à l’espace privé; chaque pièce à débarrer ajoute à l’effort de révélation et de dissimulation. L’escalier en colimaçon agit comme un passage initiatique que l’on emprunte pour accéder aux récits intimes les plus enfouis: fantasmes et sexualité susurrés dans le noir. C’est l’heure où notre petite foule se désagrège pour vivre l’expérience séparément. Il y a toujours la lampe de poche, au cas où…
Entre danse, performance et théâtre, installation d’art visuel aussi, la mise en scène lynchéenne de Geneviève L. Blais accompagne habilement la déambulation sensible et émotive de notre guide égarée. La progression dans les méandres de son subconscient nous conduira jusque dans les confins de l’entrepôt. À chacun son locker, à chacun ses peurs. On ressort de l’expérience agréablement ébranlé, épaté par l’incroyable travail des régisseurs dans cette immersion à la frontière des souvenirs et de l’oubli.
Local B-1717
Texte: Erin Shields. Traduction: Maryse Warda. Mise en scène: Geneviève L. Blais. Scénographie: Marie-Ève Fortier. Costumes et accessoires: Fruzsina Lanyi. Musique: Symon Henry. Éclairages: David-Alexandre Chabot. Avec Marie-Ève Milot (version française) et Laurence Dauphinais (version anglaise). Une production du Théâtre à corps perdus. À l’Entrepôt Beaumont jusqu’au 29 avril 2018.