Critiques

Déterrer les os : Quand le corps se défile

© Sylvie-Ann Paré

Le déferlement d’œuvres romanesques sur nos scènes se poursuit: l’adaptation du premier roman, à succès, de Fanie Demeule, concoctée en complicité avec la metteuse en scène Gabrielle Lessard, n’est pas sans intérêt. Le fait d’avoir incarné sur scène le personnage de l’amoureux de la narratrice, absent dans le roman, donne au récit un aspect plus concret. Cependant, le combat de la jeune femme, en butte à l’image que veut lui imposer la société et à son corps qui se défile à toute tentative de contrôle de sa part, n’apparaît pas aussi clairement que dans l’œuvre publiée dans la collection Hamac des Éditions du Septentrion.

Sylvie-Ann Paré

C’est ainsi que le récit au je, très intense à la lecture, se trouve ici allégé par le dialogue. Le jeune homme, posant des questions à son amoureuse et redisant ce qu’elle lui a raconté de son existence difficile, se trouve à prendre sur lui une part de sa souffrance. La douleur ainsi partagée perd de sa profondeur désespérée. Il faut dire que ce que relate la narratrice dans le roman, remontant à sa naissance, à son enfance, à son adolescence marquée par l’anorexie, par l’isolement et la solitude, se révèle de plus en plus troublant au fil d’une progression implacable.

Sur une scène-passerelle centrale surélevée, recouverte de draps et de coussins évoquant le cocon d’une chambre à coucher, et séparant le public en deux sections se faisant face, les protagonistes, en vêtements douillets, blancs, partagent enfin leur vie au quotidien. Cette cohabitation dans l’harmonie relative, l’amoureuse en a rêvé pendant des années. Pourtant, son insatisfaction est encore palpable, et ses aspirations, toujours inassouvies. À tel point qu’on peut se demander ce qui l’empêche d’être heureuse. Dans le livre, c’est très clair: le travail de la mort a fait son chemin à l’intérieur d’elle, et, à la fin, on ne sait pas très bien si elle s’en sortira.

Sylvie-Ann Pare

Si Charlotte Aubin et Jérémie Francœur sont justes, investis dans la quête de mieux-être de la jeune femme, en proie à ses tourments, l’ensemble de la représentation demeure assez statique, verbeux, et le rythme lent. L’écriture coup-de-poing de Fanie Demeule est incisive, tranchante, va droit au but, mais tout à coup, sur scène, le ton paraît un peu emprunté. Malgré quelques moments de grande émotion, les enjeux demeurent trop énigmatiques.

Ce qui a fait le succès de Déterrer les os tient sans doute à la force de l’introspection à laquelle se livre la narratrice, le reste n’étant qu’anecdote. Comment rendre cela au théâtre autrement que par le monologue? L’intuition de la metteuse en scène de donner vie à l’amoureux, le fantasme ultime, a peut-être eu un effet contraire à celui recherché, en désamorçant le conflit intérieur de cette femme meurtrie par la vie d’aujourd’hui, où elle n’a manifestement pas trouvé sa place.

Déterrer les os

Texte: Gabrielle Lessard, d’après le roman de Fanie Demeule. Mise en scène: Gabrielle Lessard. Scénographie: Odile Gamache. Costumes: Elen Ewing. Éclairages: Cédric Delorme-Bouchard. Son: Le Futur. Avec Charlotte Aubin et Jérémie Francœur. À la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 5 mai 2018.