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Maja Côté et le rire salvateur

David Ospina

Diplômée du programme de deuxième cycle en littératures de langue française à l’Université de Montréal, Maja Côté a également étudié la diététique et le travail social. Le milieu hospitalier dans lequel elle œuvre l’expose à des «rencontres sociales atypiques» dont elle n’hésite pas à s’inspirer pour écrire. Parmi ses thèmes de prédilection, on trouve le dépérissement et la folie.

À l’occasion du 17e Festival du Jamais Lu, Maja Côté dévoile Convulsions, une pièce qui se déroule au Nouveau Petit Pays Sans Peine et Sans Chamade. Après avoir remporté une «loterie-folie», des femmes sont contraintes à un séjour dans une «retraite de santé» appelée Last Call. «Le moteur de la pièce émerge de mes expériences au sein de diverses maisons d’hébergements (femmes en transitions, personnes âgées, centres hospitaliers), explique l’auteure. Le théâtre me suit depuis longtemps, alors, forcément, il y a eu porosité, contamination entre les domaines. Il m’est devenu impossible d’appréhender ces situations sans un filtre artistique.»

Pas difficile pour l’auteure de se reconnaître dans la formule «Manifester le fragile», thème de cette 17e édition du Jamais Lu: «Je veux faire entendre ces femmes qui luttent pour reconquérir ce qu’elles ont perdu, qui scrutent leur malaise en toute conscience, au risque de s’écorcher, sans se faire imposer de discours sur leur état. Même si c’est le hasard qui les fait se retrouver là, elles y trouvent leur compte, elles ont quelque chose à manifester. Bien qu’elles parlent sans cesse, elles en viennent à chuchoter, à se faire toutes petites pour laisser place à quelque chose qui serait plus fort que les mots et qui ne se décrit pas vraiment, qui se ressent plutôt. Comme si elles tentaient de palper leur colère, leur fragilité. En ce sens, elles explorent d’autres avenues que la parole, comme la danse, le rire, le ganja. Si elles “échouent” à s’apaiser, elles ne sont pas victimes, elles revendiquent leur furie. Elles ne se tairont pas, ne se tariront pas.»

Vous aurez compris que la pièce de Maja Côté se déroule dans un futur proche. En plus des cinq femmes hébergées, on rencontre un guide («expert bienveillant») et une cheffe d’antenne. «Ça me permet d’aborder plusieurs thèmes, avoue l’auteure. Il est question des névroses, de l’auto-analyse masochiste, des théories obsessives, de l’empathie, de la dignité et de la lutte pour la préserver dans un contexte de dépérissement (mental ou physique).» D’un point de vue formel, Côté affirme avoir fait appel à des «régimes de dualités»: «Le stream of consciousness est combattu par des percées de dialogues et vice versa. Le langage oscille entre le soutenu et le trivial, l’anglais “contamine” le français. Il y a toujours une langue qui se créer et qui donne à un lieu sa musicalité propre. Par ailleurs, le collage de citations (artistiques ou réelles) et de nouvelles est au cœur de la structure de la pièce.»

Avec cette lecture au Jamais Lu, l’auteure souhaite d’abord et avant tout «transmettre des décharges émotives»: «Je crois que la pièce en couvre un spectre assez vaste, du malaise au rire. Le rire est salvateur bien qu’il émane d’un tragique, il libère du sentiment d’absurde qui plane au-dessus de leurs têtes. Elles cherchent le choc pour se sentir vivre.»

MARIE B., elle tente de se concentrer – fuck me semble que ça me dit quelque chose j’étais tu là

MARIE P. – man je suis même pu certaine que t’existes pour vrai

MARIE B., inquiète, elle se palpe – mais voyons c’est pas parce qu’il me manque une coupe de souvenirs que j’m’effrite que j’existe moins?

Convulsions

Texte: Maja Côté. Mise en lecture: Alix Dufresne. Avec Marilyn Castonguay, Marie Charlebois, Rose-Anne Déry, Johanne Haberlin, Didier Lucien, Alice Moreault et Dominique Quesnel. Aux Écuries, à l’occasion du Festival du Jamais Lu, le 6 mai 2018 à 20h.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.