Sur le plateau quasi nu du Théâtre du Rideau Vert, un homme et une femme se retrouvent après plusieurs années. Au fil de leurs premiers échanges, on comprend qu’ils ont été amants, ont tous deux vécu une relation extraconjugale et se sont quittés. En arrière-plan glisse l’ombre de Robert, dernier pivot du triangle amoureux : il est l’époux d’Emma et le meilleur ami de Jerry. Attention, on est loin des portes qui claquent et des grands élans vaudevillesques. Trahison d’Harold Pinter, brillamment mis en scène par Frédéric Blanchette dans une traduction de Maryse Warda, décortique son sujet en un lent et froid dépeçage. Un jeu d’amour et de bazar magistral, à la fois subtil, simple et sophistiqué.
« Je pense que tu pensais que je savais… » Comment résumer le style du Britannique Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, maître des faux-semblants, des silences aussi, des répliques économes pour ne pas dire ou laisser deviner? Dès le dialogue initial, la scène de retrouvailles entre Emma et Jerry, on soupçonne un théâtre de la marche arrière, des fils savamment détricotés pour nous tenir en haleine. Complice, voyeur, le spectateur participe à un irrésistible jeu de décryptage.
Les anciens amants prennent des nouvelles l’un de l’autre et dévoilent, à dose homéopathique, la teneur de leurs sentiments. Il suffit d’une main posée sur l’encolure d’un manteau pour que l’on devine que décidément, non, tout entre eux n’est peut-être pas fini. Selon le principe de chronologie inversée, l’ampleur de leur intrigue amoureuse se déplie, des petites cachotteries aux grandes trahisons qu’ils ont orchestrées. Les verres se vident peu à peu – d’abord de la bière et du vin, puis ça se corse au scotch et à la vodka quand les langues se délient.
Ce qui frappe, c’est la portée de chaque mot autant que le silence enveloppant. À l’économie rigoureuse des répliques – jamais un mot de trop – répond le minimalisme de la scénographie signée Pierre-Étienne Locas. Le choix intelligent d’un plateau vierge au premier tableau, par exemple, alors que cette Trahison n’a pas encore dit son nom. En remontant des années 1970 aux années 1960, des murs s’érigent peu à peu autour des protagonistes pour les enfermer dans une cage à la scène charnière du spectacle, qui est aussi la dernière. La nasse se referme au mariage, où décor et jeux de lumière tiennent un rôle clé dans ce théâtre à double-fond, entre mensonge et dissimulation.
À la mise en scène, Frédéric Blanchette ose un dépouillement radical, avec raison. Le plus important n’est pas ce qui est dit, mais le sous-texte que l’interprétation doit laisser affleurer. Autour de Julie Le Breton, fière et élégante Emma en trench-coat ou nuisette, François Létourneau et Steve Laplante font siffler leurs répliques comme des balles mouchetées, jonglent avec justesse entre les suspensions, distillent mensonges et manipulations dans une atmosphère pince-sans-rire très anglaise. Du très grand art tiré au cordeau pour clore la saison du Rideau Vert.
Texte : Harold Pinter. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Mérédith Caron. Accessoires : Claire Renaud. Éclairages : André Rioux. Musique : Yves Morin. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Vidéo : HUB Studio. Avec Julie Le Breton, François Létourneau et Steve Laplante. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 9 juin 2018.
Sur le plateau quasi nu du Théâtre du Rideau Vert, un homme et une femme se retrouvent après plusieurs années. Au fil de leurs premiers échanges, on comprend qu’ils ont été amants, ont tous deux vécu une relation extraconjugale et se sont quittés. En arrière-plan glisse l’ombre de Robert, dernier pivot du triangle amoureux : il est l’époux d’Emma et le meilleur ami de Jerry. Attention, on est loin des portes qui claquent et des grands élans vaudevillesques. Trahison d’Harold Pinter, brillamment mis en scène par Frédéric Blanchette dans une traduction de Maryse Warda, décortique son sujet en un lent et froid dépeçage. Un jeu d’amour et de bazar magistral, à la fois subtil, simple et sophistiqué.
« Je pense que tu pensais que je savais… » Comment résumer le style du Britannique Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, maître des faux-semblants, des silences aussi, des répliques économes pour ne pas dire ou laisser deviner? Dès le dialogue initial, la scène de retrouvailles entre Emma et Jerry, on soupçonne un théâtre de la marche arrière, des fils savamment détricotés pour nous tenir en haleine. Complice, voyeur, le spectateur participe à un irrésistible jeu de décryptage.
Les anciens amants prennent des nouvelles l’un de l’autre et dévoilent, à dose homéopathique, la teneur de leurs sentiments. Il suffit d’une main posée sur l’encolure d’un manteau pour que l’on devine que décidément, non, tout entre eux n’est peut-être pas fini. Selon le principe de chronologie inversée, l’ampleur de leur intrigue amoureuse se déplie, des petites cachotteries aux grandes trahisons qu’ils ont orchestrées. Les verres se vident peu à peu – d’abord de la bière et du vin, puis ça se corse au scotch et à la vodka quand les langues se délient.
Ce qui frappe, c’est la portée de chaque mot autant que le silence enveloppant. À l’économie rigoureuse des répliques – jamais un mot de trop – répond le minimalisme de la scénographie signée Pierre-Étienne Locas. Le choix intelligent d’un plateau vierge au premier tableau, par exemple, alors que cette Trahison n’a pas encore dit son nom. En remontant des années 1970 aux années 1960, des murs s’érigent peu à peu autour des protagonistes pour les enfermer dans une cage à la scène charnière du spectacle, qui est aussi la dernière. La nasse se referme au mariage, où décor et jeux de lumière tiennent un rôle clé dans ce théâtre à double-fond, entre mensonge et dissimulation.
À la mise en scène, Frédéric Blanchette ose un dépouillement radical, avec raison. Le plus important n’est pas ce qui est dit, mais le sous-texte que l’interprétation doit laisser affleurer. Autour de Julie Le Breton, fière et élégante Emma en trench-coat ou nuisette, François Létourneau et Steve Laplante font siffler leurs répliques comme des balles mouchetées, jonglent avec justesse entre les suspensions, distillent mensonges et manipulations dans une atmosphère pince-sans-rire très anglaise. Du très grand art tiré au cordeau pour clore la saison du Rideau Vert.
Trahison
Texte : Harold Pinter. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Mérédith Caron. Accessoires : Claire Renaud. Éclairages : André Rioux. Musique : Yves Morin. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Vidéo : HUB Studio. Avec Julie Le Breton, François Létourneau et Steve Laplante. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 9 juin 2018.