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Johanne Benoit : la vie qui s’accroche

© Marili Clark

Le Théâtre du Frèt, une compagnie québécoise fondée en 2009, s’apprête à présenter Les trois petits vieux qui ne voulaient pas mourir, un spectacle de théâtre masqué, à l’occasion des Coups de théâtre. Le texte de la dramaturge néerlandaise Suzanne van Lohuizen, traduit par Marijke Bisschop, est mis en scène par Johanne Benoit, qui espère que ces représentations seront un tremplin, qu’elles contribueront au rayonnement d’une production qui devrait plaire à un large public.

«C’est rare, les textes qui peuvent rencontrer le masque, affirme l’artiste et pédagogue, spécialiste de ce type de théâtre. Ça prend une écriture poétique, une ouverture entre les répliques pour laisser les corps s’exprimer. Ce texte a été un coup de foudre, je trouvais qu’il avait un petit je-ne-sais-quoi de Beckett.» La fable, destinée aux jeunes à partir de 7 ans, met en scène trois vieux amis, Ernest, Stanislas et Désiré, surpris de recevoir une lettre leur annonçant que tous leurs jours ont été utilisés et qu’ils vivent le tout dernier. Refusant de se résigner à cette mort subite, ils décident de réinventer leurs vies, où la jeunesse et la folie n’ont pas dit leur dernier mot.

© Olivier Bochenek

«Derrière l’intention de parler de la mort aux enfants – nous pensons que la pièce s’adresse à tous, de 7 à 77 ans –, il est plutôt question de la vie, de l’importance de l’amitié, de faire des choses ensemble, de partager les petits bonheurs du quotidien, et de ce qu’on laisse quand on part, précise Johanne Benoit. Par exemple, à un moment, ils brisent une théière, elle meurt et ils lui font leurs adieux, car les objets sont en relation avec les êtres, par le souvenir, par la mémoire. C’est une œuvre métaphorique, stylisée. Jouer masqué crée une distance avec le sujet et avec les personnages.» On s’en doute, l’humour, le rire, et la poésie, la tendresse, les réflexions sur la vie composent les échanges entre ces vieilles personnes qui ont beaucoup à nous apprendre.

Le fait que deux des personnages soient joués par des comédiennes semble leur octroyer une liberté supplémentaire. La metteuse en scène explique qu’il y a eu plusieurs étapes de création pour ce spectacle, qui a demandé deux ans d’élaboration: «On a commencé par une exploration des personnages, pour déterminer qui jouera qui. Les filles peuvent jouer les rôles d’hommes, le masque permet la métamorphose. Au début, nous avions des masques que je qualifierais de larvaires, des formes mal dégrossies, et ça ne fonctionnait pas bien. Après une période de repos, nous les avons mieux définis, nous avons changé de famille de masques, en cuir cette fois, qui laissent bien voir les yeux des acteurs: les yeux nous font pénétrer dans l’âme du personnage. Dans les yeux des personnes âgées, comme dans leurs corps, on peut voir beaucoup de choses.»

Johanne Benoit, qui a œuvré pendant une décennie (1981-1991) avec la Grosse Valise, compagnie de théâtre masqué, s’est depuis largement consacrée à l’enseignement de ces techniques de jeu. Elle considère que le théâtre masqué souffre de certains préjugés, mais concède qu’il y a trop peu de textes du répertoire pouvant servir ce type de théâtre: «Le spectacle doit s’écrire de façon globale, aussi on opte souvent pour la création. On veut fuir le réalisme avec les masques, alors la poésie est nécessaire. Puis, il faut des comédiens aguerris à ce style de jeu, très physique, où le corps exprime le personnage. En atelier, j’aime interroger cet instrument avec les acteurs, qui ont souvent une façon habituelle de bouger, qui peut freiner la créativité ou l’interprétation. Souvent, ils n’en sont pas conscients, alors il s’agit de trouver ensemble le plus efficace de la mobilité du corps.» Avec Les trois petits vieux qui ne voulaient pas mourir, les jeunes et les moins jeunes ont l’occasion de se frotter à une œuvre masquée ayant tous les atouts d’une réussite.

Les trois petits vieux qui ne voulaient pas mourir

Texte: Suzanne van Lohuizen. Traduction: Marijke Bisschop (L’Arche Éditeur). Mise en scène: Johanne Benoit. Scénographie: Pierrick Fréchette. Masques: Vania Beaubien, Pierrick Fréchette et Marie Muyard. Éclairages: Jeanne Fortin-L. Musique: Raphaël Reed. Photo et vidéo: Olivier Bochenek. Avec Vania Beaubien, Alexandre L’Heureux et Isabel Rancier. Une production du Théâtre du Frèt. Au Studio multimédia du Conservatoire, à l’occasion des Coups de théâtre, les 21 et 22 mai 2018.