Critiques

Les chaises : Dernier sursaut de vie

© Yves Renaud

Les deux vieux sont là, seuls sur scène. Ils se racontent des histoires, leur histoire, avant que les souvenirs s’emmêlent et que la mort s’en mêle. Ils invitent les restes de leur passé, leurs regrets et leurs fantasmes, à venir s’asseoir pour converser un peu. «Ma crotte» et «mon chou» retrouvent alors les personnages de leur vie, réels ou fantasmés, dans une ultime mise au point avant le grand voyage. Car avant de mourir, ils ont un important message à livrer à l’humanité.

Yves Renaud

Œuvre majeure du dramaturge de l’absurde, Eugène Ionesco, Les chaises explorent les derniers moments de l’existence de deux personnages qui rêvent ensemble d’une renaissance, d’un sursaut, d’une nouvelle lecture de leur vie. La pièce trouve son intensité dramatique dans la reproduction d’un schéma à l’infini: la sonnerie, quelqu’un derrière la porte, il faut ouvrir, vite une nouvelle chaise, discussion… Quant aux invités du Vieux et de la Vieille, ils demeurent invisibles, si toutefois ils existent vraiment.

Après un premier passage remarqué sur les planches du TNM avec une mise en scène audacieuse du Roi se meurt du même Ionesco, Frédéric Dubois étale ici toute la misère d’une existence sans intérêts et sans lendemains. Le tout baignant dans une joie et une naïveté tout enfantine. Avec un thème musical qui plonge petit à petit le spectateur dans une routine dont l’issue ne fait aucun doute, et grâce à la multiplication des chaises qui invite le spectateur à prendre place parmi les invités, cette farce tragique nous renvoie en fin de compte à l’insignifiance de notre propre destinée.

Yves Renaud

Sur scène, Monique Miller et Gilles Renaud, plus d’un siècle de théâtre à eux deux, incarnent plutôt bien ce couple improbable, à défaut de révolutionner le genre ou d’extraire le maximum de sève de leur personnage. L’ensemble est convaincant sans être extraordinaire. Monique Miller demeure cette bête de scène qui n’hésite pas à se mettre en danger avec un texte de 542 répliques, pas toujours évidentes à jouer. L’interprétation de Gilles Renaud est quant à elle plus discrète, son rôle s’effaçant au fur et à mesure de la pièce. Il campe le type qui n’a pas eu une grande carrière «par humilité», un maréchal des logis un peu pathétique, mais pour lequel on a envie d’avoir un minimum de compassion.

Le spectateur, lui, se laisse bercer par l’histoire qui se déroule devant ses yeux, même si l’ensemble a tendance à ronronner de temps à autre, notamment dans la première partie de la pièce. La deuxième partie est nettement plus intéressante et fait la part belle à une scénographie audacieuse qui, finalement, cannibalise un peu le jeu des deux comédiens plus qu’elle ne le sublime. D’ailleurs, le personnage le plus déroutant, celui qui fait naître le plus d’émotions contradictoires, est certainement celui de l’Orateur joué par Jean-François Guilbault. Sorte d’hallucination surréaliste, il apporte un ultime souffle à cette pièce qui en manque parfois un peu.

Les chaises

Texte: Eugène Ionesco. Mise en scène: Frédéric Dubois. Scénographie: Anick La Bissonnière. Costumes: Linda Brunelle. Éclairages: Caroline Ross. Musique: Pascal Robitaille. Maquillages: Angelo Barsetti. Coiffures et perruques: Géraldine Courchesne. Avec Monique Miller, Gilles Renaud, Jasmine Daigneault, Jean-François Guilbault, Alex-Aimée Martel et Rosalie Payotte. Coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre des Fonds de Tiroirs. Au TNM jusqu’au 2 juin 2018.

Mathieu Carbasse

À propos de

Journaliste touche-à-tout, il se passionne pour le spectacle vivant, notamment le théâtre, depuis une dizaine d’années.