C’est sur un plateau dépouillé, simplement recouvert d’une bâche et de terre rouge, ponctué de quelques seaux, que la compagnie brésilienne Galharufa Produçöes situe l’action de la pièce de Michel Marc Bouchard, Tom à la ferme.
Tom, jeune homme urbain et sophistiqué, vient pleurer la mort de son amant au sein de la famille de celui-ci, établie sur une ferme laitière, dans un coin retiré de la campagne. Non seulement ne se sont-ils jamais rencontrés, mais la mère du défunt avait même été amenée à croire que son fils était hétérosexuel. Tom, bon prince, jouera le jeu de la discrétion afin de ne pas bouleverser davantage son officieuse belle-mère, qui le prend d’ailleurs immédiatement en affection. Il en ira hélas! tout autrement de l’autre fils de la dame, qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée inopinée de l’amoureux de son frère. Afin de contrôler les conséquences que pourrait avoir sa présence, Francis brutalisera Tom jusqu’à en faire sa marionnette. S’installera ainsi entre ces deux êtres en perte de repères et en mal d’amour une relation sadomasochiste aussi dévastatrice que bouleversante.
Créé en 2011 dans une mise en scène de Claude Poissant, ce texte a depuis énormément voyagé autour du monde, sans compter l’adaptation cinématographique qu’en a tirée Xavier Dolan en 2013. La version qu’offre le metteur en scène Rodrigo Portella est assez éloignée des propositions de Poissant et Dolan, ce qui peut, de prime abord, s’avérer quelque peu déstabilisant… pour ensuite, toutefois, se révéler transcendant. Au départ, on peut notamment rester perplexe face à la sobriété de l’interprétation du personnage de Francis par Gustavo Vaz. Celui-ci n’a pas la brutalité intrinsèque et palpable, la terrifiante rage viscérale qu’ont pu avoir d’autres interprètes de ce rôle. Or, si Francis apparaît aussi banal, c’est que dans la vision de Portella, le protagoniste est loin d’être un psychopathe; la relation qui l’unit à Tom est certes singulière, mais l’âpreté qui la caractérise, cette hargne homophobe, elle, hélas!, s’inscrit dans la violence ordinaire, sociétale, qui tenaille encore bien des régions du monde, dont le Brésil. À ce titre, la réplique lancée par Francis disant avoir défiguré le jeune amoureux de son frère, lorsqu’ils étaient adolescents, afin d’éviter qu’un autre agisse ainsi envers son cadet, trouve ici une vérité extrêmement troublante.
Cette mouture sud-américaine, très fidèle au texte québécois, mise beaucoup plus sur l’inextricabilité de la relation entre les deux hommes et sur l’inéluctable violence qui l’imprègne que sur le suspense que tout cela peut générer. La scène la plus évocatrice et la plus puissante de tout le spectacle est sans doute celle où l’improbable duo se lance dans une cumbia, pas de deux tragique où chacun des partenaires lutte avec l’autre comme avec lui-même, telles deux créatures torturées qui ne savent engendrer ensemble quelque moment de beauté qui ne soit perclus d’une pugnacité malsaine. Un tableau magistral. Boue, sang et même urine habitent la scène, la souille, et les personnages s’y embourbent et s’encrassent, aux prises avec des deuils, des peurs et des pulsions qu’ils ne savent dompter. C’est cette insoutenable complexité de l’être, dans un monde où l’altérité déclenche encore trop souvent l’hostilité, que nous donne à voir cette version brésilienne de Tom à la ferme, qui marquera sans doute les esprits au fer rouge.
Texte: Michel Marc Bouchard. Traduction: Armando Babaioff. Mise en scène: Rodrigo Portella. Scénographie: Aurora Dos Campos. Éclairages: Tomás Ribas. Costumes: Bruno Perlatto. Musique: Marcello M. Chorégraphie: Toni Rodrigues. Avec Armando Babaioff, Kelzy Ecard, Camila Nhary et Gustavo Vaz. Une production de Galharufa Produçöes. À la Maison Théâtre, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 3 juin 2018.
C’est sur un plateau dépouillé, simplement recouvert d’une bâche et de terre rouge, ponctué de quelques seaux, que la compagnie brésilienne Galharufa Produçöes situe l’action de la pièce de Michel Marc Bouchard, Tom à la ferme.
Tom, jeune homme urbain et sophistiqué, vient pleurer la mort de son amant au sein de la famille de celui-ci, établie sur une ferme laitière, dans un coin retiré de la campagne. Non seulement ne se sont-ils jamais rencontrés, mais la mère du défunt avait même été amenée à croire que son fils était hétérosexuel. Tom, bon prince, jouera le jeu de la discrétion afin de ne pas bouleverser davantage son officieuse belle-mère, qui le prend d’ailleurs immédiatement en affection. Il en ira hélas! tout autrement de l’autre fils de la dame, qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée inopinée de l’amoureux de son frère. Afin de contrôler les conséquences que pourrait avoir sa présence, Francis brutalisera Tom jusqu’à en faire sa marionnette. S’installera ainsi entre ces deux êtres en perte de repères et en mal d’amour une relation sadomasochiste aussi dévastatrice que bouleversante.
Créé en 2011 dans une mise en scène de Claude Poissant, ce texte a depuis énormément voyagé autour du monde, sans compter l’adaptation cinématographique qu’en a tirée Xavier Dolan en 2013. La version qu’offre le metteur en scène Rodrigo Portella est assez éloignée des propositions de Poissant et Dolan, ce qui peut, de prime abord, s’avérer quelque peu déstabilisant… pour ensuite, toutefois, se révéler transcendant. Au départ, on peut notamment rester perplexe face à la sobriété de l’interprétation du personnage de Francis par Gustavo Vaz. Celui-ci n’a pas la brutalité intrinsèque et palpable, la terrifiante rage viscérale qu’ont pu avoir d’autres interprètes de ce rôle. Or, si Francis apparaît aussi banal, c’est que dans la vision de Portella, le protagoniste est loin d’être un psychopathe; la relation qui l’unit à Tom est certes singulière, mais l’âpreté qui la caractérise, cette hargne homophobe, elle, hélas!, s’inscrit dans la violence ordinaire, sociétale, qui tenaille encore bien des régions du monde, dont le Brésil. À ce titre, la réplique lancée par Francis disant avoir défiguré le jeune amoureux de son frère, lorsqu’ils étaient adolescents, afin d’éviter qu’un autre agisse ainsi envers son cadet, trouve ici une vérité extrêmement troublante.
Cette mouture sud-américaine, très fidèle au texte québécois, mise beaucoup plus sur l’inextricabilité de la relation entre les deux hommes et sur l’inéluctable violence qui l’imprègne que sur le suspense que tout cela peut générer. La scène la plus évocatrice et la plus puissante de tout le spectacle est sans doute celle où l’improbable duo se lance dans une cumbia, pas de deux tragique où chacun des partenaires lutte avec l’autre comme avec lui-même, telles deux créatures torturées qui ne savent engendrer ensemble quelque moment de beauté qui ne soit perclus d’une pugnacité malsaine. Un tableau magistral. Boue, sang et même urine habitent la scène, la souille, et les personnages s’y embourbent et s’encrassent, aux prises avec des deuils, des peurs et des pulsions qu’ils ne savent dompter. C’est cette insoutenable complexité de l’être, dans un monde où l’altérité déclenche encore trop souvent l’hostilité, que nous donne à voir cette version brésilienne de Tom à la ferme, qui marquera sans doute les esprits au fer rouge.
Tom na Fazenda
Texte: Michel Marc Bouchard. Traduction: Armando Babaioff. Mise en scène: Rodrigo Portella. Scénographie: Aurora Dos Campos. Éclairages: Tomás Ribas. Costumes: Bruno Perlatto. Musique: Marcello M. Chorégraphie: Toni Rodrigues. Avec Armando Babaioff, Kelzy Ecard, Camila Nhary et Gustavo Vaz. Une production de Galharufa Produçöes. À la Maison Théâtre, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 3 juin 2018.