Critiques

Edmond : Hommage au vaudeville

Yves Renaud

C’est une success-story que nous raconte Edmond: celle de la création de Cyrano de Bergerac en 1897 et de son triomphe, pourtant improbable jusqu’au soir de la première. Edmond Rostand, âgé de tout juste 29 ans, sera sur-le-champ décoré de la Légion d’honneur. Triomphe étonnant, aussi, que celui de cette «comédie héroïque» flirtant avec le drame romantique, en alexandrins s’il vous plaît, alors que sur les scènes parisiennes on joue Feydeau et Strindberg. Comme son personnage éponyme, le jeune auteur Alexis Michalik a connu un immense succès à Paris, l’année dernière, avec cette comédie de théâtre privé, croulant sous les Molières. L’ironie dans le succès des deux dramaturges est que Cyrano est un perdant… doté de panache, certes, mais un perdant tout de même. C’est d’ailleurs ce qui le rend si attachant.

Yves Renaud

En panne d’inspiration, pressé par sa femme qui veut des sous pour le ménage, Rostand glane autour de lui les éléments d’une pièce que le grand acteur de l’heure, Constant Coquelin, a accepté de jouer dans trois semaines… et dont il n’a pas encore écrit une ligne. Bien ficelé, quoique parfois pesamment didactique, le texte de Michalik raconte ce travail échevelé d’écriture et de répétition. Dans un mélange de réalité biographique et de fiction, on évoque les sources d’inspiration de Rostand, notamment lorsqu’il aide son jeune ami comédien à séduire la jolie Jeanne et s’embourbe, comme son héros, dans un quiproquo amoureux.

Pour cette pièce faisant largement appel au procédé du théâtre dans le théâtre, la scène du TNM devient celle de la Porte Saint-Martin, avec des penderies à costumes qui s’ouvrent comme des paravents pour déployer les décors peints d’appartements bourgeois, comme ceux du vaudeville. C’est lui qui est célébré ici, plus encore que l’œuvre de Rostand, avec la figure suffisante de Feydeau (Daniel Parent), dont Le Dindon triomphe encore à Paris, qui traverse ponctuellement la scène en narguant son jeune rival. Comme l’œuvre de Rostand, qui multiplie personnages et changements de décors, Edmond s’étire un peu en longueur, avec ses clins d’œil à l’actualité française (les heures de répétition payées aux comédiens, les grèves de la SNCF) et ses innombrables références historiques, plaquées tout au long de la pièce: Ravel et son boléro, Méliès et les débuts du cinéma, Tchekhov et Stanislavski, le Moulin Rouge, et j’en passe! N’en jetez plus: le portrait de l’époque est dressé. À l’aise avec cette matière bigarrée, caricaturale à souhait, saupoudrée de grivoiserie, Serge Denoncourt la livre sur un rythme enlevé, voire étourdissant (on se lasse de voir rouler les décors, monter et descendre les toiles de fond et s’y succéder les projections).

Yves Renaud

Le couple Rostand (François-Xavier Dufour et Émilie Bibeau) paraît discret au milieu de l’exubérance des autres rôles, où l’on ne craint pas d’en mettre avec, bien sûr, certains résultats amusants. Songeons à ces deux producteurs corses que campent avec une harmonie réjouissante, tels des frères siamois, Mathieu Quesnel et Jean-Moïse Martin; ou encore au fils Coquelin, auquel Mathieu Richard prête une naïveté drolatique de jeune première. Avec son Coquelin empoté et déclamatoire, Normand Lévesque voit là une occasion unique de jouer Cyrano, car si Coquelin est dans son registre, le personnage de Rostand ne l’est pas du tout. Qu’elles soient jouées par Edmond ou par Coquelin, les belles scènes de Cyrano… sont gâchées par les impératifs de l’humour. Autour de moi, on riait à la mort de Cyrano. Faut-il blâmer le public, qui est venu, lui, pour rire à la comédie Edmond? Voilà donc un divertissement estival coloré et virevoltant, dans l’esprit des collaborations entre Juste pour rire et le TNM. Peut-être pas un hommage au théâtre, comme le déclare le metteur en scène dans le programme, mais au vaudeville, certainement.

Edmond

Texte: Alexis Michalik. Mise en scène: Serge Denoncourt. Scénographie: Guillaume Lord. Costumes: Pierre-Guy Lapointe. Accessoires: Julie Measroch. Éclairages: Erwann Bernard. Son et musique: Colin Gagné. Vidéo: Isabelle Painchaud et Julia-Maria Daigneault (Silent Partner Studio). Maquillages: Amélie Bruneau-Longpré. Perruques: Cybèle Perruque. Avec Émilie Bibeau, Kim Despatis, François-Xavier Dufour, Marie-Pier Labrecque, Normand Lévesque, Jean-Moïse Martin, Widemir Normil, Daniel Parent, Catherine Proulx-Lemay, Mathieu Quesnel, Mathieu Richard et Philippe Thibault-Denis. Une production de Juste pour rire. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 28 août 2018.