Il y a quelque chose de fondamentalement dramaturgique dans le ressort historique premier d’Oslo, pièce de l’Américain J.T. Rogers qui ouvre la saison de Duceppe. Le point de départ du récit, qui suit le déroulement des pourparlers secrets tenus entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine en 1993, se trouve dans la conviction qu’un processus de négociation de cette ampleur doit se délester de sa rigidité protocolaire habituelle et tabler plutôt sur l’humanité et la vulnérabilité… par ailleurs conditions premières de tout drame. La mise en scène d’Édith Patenaude, pas parfaitement rodée au soir de la première, semble s’être élaborée dans cette zone démilitarisée entre rigueur formelle et liberté de cœur.
Chose certaine, ça prenait le mélange de conviction et de candeur que peut dégager Emmanuel Bilodeau pour donner proprement corps au sociologue norvégien Terje Rød-Larsen, esprit politique brillant et juste assez hurluberlu pour croire que sa folle et dangereuse idée pouvait mener au cessez-le-feu. Dans sa forme comme dans son contenu, le texte de Rogers souligne le rôle capital joué par Mona Juul, épouse et partenaire de Terje, stratégique et droite quand son mari se montre prompt et brouillon. Tout comme Mona, Isabelle Blais, qui hérite aussi de la part didactique que la complexité du propos rend nécessaire, mériterait qu’on lui laisse les coudées encore plus franches dans ce spectacle où les bouffonneries mâles et les engueulades viriles abondent.
Louons l’intelligence spatiale de la metteure en scène, dont le 1984 (Trident / Théâtre Denise-Pelletier, 2015-2016), scénographié par Patrice Charbonneau-Brunelle, témoignait d’une capacité à faire naître un monde crédible à l’aide d’un arsenal limité. Travaillant ici avec Odile Gamache au décor, Patenaude fait d’abord circuler ses interprètes entre 25 classeurs métalliques de tailles diverses. L’ensemble, qui a des allures de maquette urbaine, de labyrinthe et de cauchemar bureaucratique, est petit à petit démantelé pour ne laisser sur le plateau que la table autour de laquelle des représentants de deux camps tenteront sincèrement de s’entendre. Cette traduction matérielle réussie du principe de discussion désencombrée de Rød-Larsen rend un peu superflue la présence de gradins et d’immenses lampadaires très « stade de baseball », des éléments qui poussent inutilement la symbolique de l’arène et de la joute.
Les choix musicaux laissent perplexe. Métaphore supplémentaire sur la difficulté d’accorder deux éléments que tout semble séparer, le duo contrebasse et batterie confine trop souvent Oslo à des sonorités jazzantes qui, plutôt que de soutenir la tension dramatique, tendent à la noyer. L’effet s’atténue lors du deuxième acte, laissant ainsi plus de place à une distribution dont plusieurs acteurs – dont Ariel Ifergan, Justin Laramée et Manuel Tadros –, sont chirurgicaux de précision. D’autres, comme Félix Beaulieu-Duchesneau et Jean-Moïse Martin, parviennent à accomplir la délicate tâche de nous convaincre que même ceux qui nous apparaissent comme des hommes de fer du régime sioniste peuvent être hantés et tentés par la possibilité, même infime, que la paix puisse advenir.
Car c’est bien de fragilité dont parle Oslo. Fragilité du processus de pacification, menacé par le moindre incident, la moindre fuite. Fragilité humaine qui donne au spectacle ses meilleurs moments : ce faux serment d’un homme qui bafoue le nom de sa femme au nom de son idéal, cette scène de reconnaissance entre deux ennemis lors d’une marche au clair de lune, ces pleurs de fonctionnaires et de députés qui pensent avoir déjoué l’Histoire. Peines perdues ? Si l’auteur veut nous laisser sur une note d’espoir, le tragique sous-jacent de la pièce, c’est encore l’existence toute actuelle de la catastrophe humanitaire nommée Gaza.
Texte : J.T. Rogers, traduit de l’anglais par David Laurin. Mise en scène : Édith Patenaude, assistée de Caroline Boucher-Boudreau. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Cynthia Saint-Gelais. Accessoires : Normand Blais. Éclairages : Julie Basse. Musique en direct : Mathieu Désy et Kevin Warren. Avec Emmanuel Bilodeau, Isabelle Blais, Félix Beaulieu-Duchesneau, Luc Bourgeois, Jean-François Casabonne, Steve Gagnon, Reda Guerinik, Ariel Ifergan, Marie-France Lambert, Justin Laramée, Jean-Moïse Martin et Manuel Tadros. Une production de Duceppe, présentée au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts du 5 septembre au 13 octobre 2019.
Il y a quelque chose de fondamentalement dramaturgique dans le ressort historique premier d’Oslo, pièce de l’Américain J.T. Rogers qui ouvre la saison de Duceppe. Le point de départ du récit, qui suit le déroulement des pourparlers secrets tenus entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine en 1993, se trouve dans la conviction qu’un processus de négociation de cette ampleur doit se délester de sa rigidité protocolaire habituelle et tabler plutôt sur l’humanité et la vulnérabilité… par ailleurs conditions premières de tout drame. La mise en scène d’Édith Patenaude, pas parfaitement rodée au soir de la première, semble s’être élaborée dans cette zone démilitarisée entre rigueur formelle et liberté de cœur.
Chose certaine, ça prenait le mélange de conviction et de candeur que peut dégager Emmanuel Bilodeau pour donner proprement corps au sociologue norvégien Terje Rød-Larsen, esprit politique brillant et juste assez hurluberlu pour croire que sa folle et dangereuse idée pouvait mener au cessez-le-feu. Dans sa forme comme dans son contenu, le texte de Rogers souligne le rôle capital joué par Mona Juul, épouse et partenaire de Terje, stratégique et droite quand son mari se montre prompt et brouillon. Tout comme Mona, Isabelle Blais, qui hérite aussi de la part didactique que la complexité du propos rend nécessaire, mériterait qu’on lui laisse les coudées encore plus franches dans ce spectacle où les bouffonneries mâles et les engueulades viriles abondent.
Louons l’intelligence spatiale de la metteure en scène, dont le 1984 (Trident / Théâtre Denise-Pelletier, 2015-2016), scénographié par Patrice Charbonneau-Brunelle, témoignait d’une capacité à faire naître un monde crédible à l’aide d’un arsenal limité. Travaillant ici avec Odile Gamache au décor, Patenaude fait d’abord circuler ses interprètes entre 25 classeurs métalliques de tailles diverses. L’ensemble, qui a des allures de maquette urbaine, de labyrinthe et de cauchemar bureaucratique, est petit à petit démantelé pour ne laisser sur le plateau que la table autour de laquelle des représentants de deux camps tenteront sincèrement de s’entendre. Cette traduction matérielle réussie du principe de discussion désencombrée de Rød-Larsen rend un peu superflue la présence de gradins et d’immenses lampadaires très « stade de baseball », des éléments qui poussent inutilement la symbolique de l’arène et de la joute.
Les choix musicaux laissent perplexe. Métaphore supplémentaire sur la difficulté d’accorder deux éléments que tout semble séparer, le duo contrebasse et batterie confine trop souvent Oslo à des sonorités jazzantes qui, plutôt que de soutenir la tension dramatique, tendent à la noyer. L’effet s’atténue lors du deuxième acte, laissant ainsi plus de place à une distribution dont plusieurs acteurs – dont Ariel Ifergan, Justin Laramée et Manuel Tadros –, sont chirurgicaux de précision. D’autres, comme Félix Beaulieu-Duchesneau et Jean-Moïse Martin, parviennent à accomplir la délicate tâche de nous convaincre que même ceux qui nous apparaissent comme des hommes de fer du régime sioniste peuvent être hantés et tentés par la possibilité, même infime, que la paix puisse advenir.
Car c’est bien de fragilité dont parle Oslo. Fragilité du processus de pacification, menacé par le moindre incident, la moindre fuite. Fragilité humaine qui donne au spectacle ses meilleurs moments : ce faux serment d’un homme qui bafoue le nom de sa femme au nom de son idéal, cette scène de reconnaissance entre deux ennemis lors d’une marche au clair de lune, ces pleurs de fonctionnaires et de députés qui pensent avoir déjoué l’Histoire. Peines perdues ? Si l’auteur veut nous laisser sur une note d’espoir, le tragique sous-jacent de la pièce, c’est encore l’existence toute actuelle de la catastrophe humanitaire nommée Gaza.
Oslo
Texte : J.T. Rogers, traduit de l’anglais par David Laurin. Mise en scène : Édith Patenaude, assistée de Caroline Boucher-Boudreau. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Cynthia Saint-Gelais. Accessoires : Normand Blais. Éclairages : Julie Basse. Musique en direct : Mathieu Désy et Kevin Warren. Avec Emmanuel Bilodeau, Isabelle Blais, Félix Beaulieu-Duchesneau, Luc Bourgeois, Jean-François Casabonne, Steve Gagnon, Reda Guerinik, Ariel Ifergan, Marie-France Lambert, Justin Laramée, Jean-Moïse Martin et Manuel Tadros. Une production de Duceppe, présentée au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts du 5 septembre au 13 octobre 2019.