Critiques

Just In : Les monstres s’invitent au bal

Cath Langlois

Au lendemain d’une victoire électorale, un politicien se réveille nu dans une chambre d’hôtel. Il ne se souvient absolument pas des événements de la veille. Délesté de tout : vêtements, clefs, portefeuille, cellulaire, il entreprend une remontée dans le temps pour raviver sa mémoire. La scène vide sculptée par la lumière, tapissée de drapeaux canadiens, est le lieu de la rencontre métaphorique d’un politicien avec ses propres démons, surgis des mythologies anciennes. Toujours à l’affût, les puissantes bêtes tapies dans son subconscient conditionnent ses motivations et aspirations vers le pouvoir.

Cath Langlois

Le personnage se révèle petit à petit au fil d’une narration hachurée entremêlant réel et fiction : moments charnières mis en branle par un célèbre combat de boxe entre un politicien élu et un sénateur véreux, alors que le combat fair-play dégénère en un massacre odieux. Le personnage, soutenu par son parti, construira désormais sa propre mythologie à coups de selfies et de présences exaltées dans le quotidien de « son peuple », serrant des mains, souriant, offrant l’image d’une invincible légèreté. « La question n’est pas de savoir si on va gagner, mais comment on va gagner le combat. »

Le texte de Ratio construit le réel à partir des mythes. Les personnages connus sur lesquels il s’appuie sans les nommer (Justin Trudeau, Donald Trump, Adolf Hitler, entre autres) sont déterminés par les mythologies fondatrices, comme autant de métaphores de la démence du pouvoir. Bien que toutes les vicissitudes usuelles y soient dépeintes avec humour et éclat (drogue, alcool, sexe), l’insouciance semble être le premier pas vers le déclin. Dans cette irrésistible ascension vers le pouvoir, il n’y a plus de place pour la vertu et les rois-philosophes déchus de l’antiquité.

Cath Langlois

Cette brillante satire orchestrée par Lucien Ratio (texte et interprétation) et Jocelyn Pelletier à la mise en scène, se déploie comme un one-man-show parfaitement emboîté où Ratio joue non seulement tous les personnages fictifs, mais aussi les figures mythiques comme Quetzalcóatl, assumant en son corps les tensions de la vie publique. Lucien Ratio propose ici un texte singulier aux limites de la farce grotesque et du conte philosophique. Les clins d’œil au « tout canadien », drapeaux, chaussettes, bobettes aux couleurs de l’unifolié, sont relativisés par une plongée vertigineuse dans la folie des grandeurs. Ici s’affrontent les terreurs sacrificielles et la démesure des forces telluriques qui ont façonné l’humanité.

L’immense présence de Ratio, fort convaincante pour un premier solo, devrait s’amplifier, me semble-t-il, dans le registre des monstres plutôt que de confier cette illustration aux technologies sonores qui fonctionnent bien, mais agacent un peu à la longue. Par contre la bande sonore dans son ensemble, le fin découpage de l’éclairage, et surtout la parfaite maîtrise de tous les éléments scéniques en symbiose avec Ratio, font de Just In un petit bijou théâtral. Dans le concert des récentes productions sur l’univers politique, Just Inapporte une lecture nouvelle qui fait intervenir des forces souterraines qui nous dépassent. Ce projet fait intervenir l’irrationnel pour expliquer la corruption. Des forces incontrôlables s’emparent des humains pour en faire des fous amoraux aux commandes du monde.

Cette pièce tombe pile-poil dans la présente campagne électorale. Comme un contre-point satirique. Les candidat.e.s seraient bien inspiré.e.s de prendre une soirée de relâche pour un moment d’autodérision.

Just In

Texte et interprétation : Lucien Ratio. Mise en scène : Jocelyn Pelletier. Scénographie et éclairage : Jean-François Labbé.Projections : Jean-Philippe Côté et Jérôme Huot. Musique : Millimetrik.Visuel : Guillaume Perreault.Production : Collectif du Temps qui s’arrête. À Premier Acte jusqu’au 22 septembre 2018.