Le brillant texte de Michel Tremblay, créé en 1985, trouve une résonnance immédiate dans l’actualité, mouvement #moiaussi et liberté d’expression. C’est qu’à la tragédie familiale, où les femmes se libèrent de l’oppression machiste, il vient superposer l’épineuse question de l’appropriation de la vie des autres, accusation portée contre de plus en plus d’artistes. Le jeune auteur Claude exprime la nécessité de parler de sa famille pour combler le vide laissé par le père absent. Il doit écrire, parler pour exorciser ce mal de vivre qui repose sur les comportements erratiques d’un père pédophile, obnubilé par sa fille qui deviendra danseuse à gogo.
La scénographie imaginée par Ariane Sauvé est construite sur un effet de miroir déformant, à droite l’espace du père avec le bain et la platée de bière, à gauche l’espace de la mère ouvert sur une cuisine remplie de fleurs. Entre les deux, un salon neutre qui devient le lieu de tous les combats, et, montées sur un piédestal, deux cages illustrant l’enfermement des femmes. Le miroir est constamment traversé par la famille réelle opposée à la famille fictive que Claude crée en donnant la parole du théâtre au silence de la vie.
Marie-Hélène Gendreau, qui, à chacune de ses créations confirme son talent de metteure en scène, nous offre une magistrale chorégraphie des deux mondes qui se côtoient en chevauchement sur cet espace de questionnement qu’est l’invention du monde. Le vrai monde (?) fait de réel et d’imaginaire est une fiction qui échappe au factuel mensonger, une histoire où le quotidien révèle son vrai visage. Le silence convenu du père et de la mère préserve une image idyllique de la famille parfaite. Mais tous savent que c’est faux. Et voici que le jeune Claude invente des dialogues pour ces muets du réel, prétendant qu’il sait exactement ce qu’ils pensent.
Révoltés, autant le père que la mère refusent que leur fils, cet espion toujours aux aguets, écrive sur leur vie. Ils y lisent du mépris et une incommensurable vanité. L’auteur Tremblay pose ici la question de la liberté de l’artiste. Dans une entrevue accordée à Geneviève Bouchard du Soleil, le prolifique auteur réaffirme « que l’artiste a tous les droits, y compris celui de vampiriser ses semblables, pourvu que ce soit bon. »
Le public a eu droit hier à un spectacle lumineux. Les deux pères, joués par Jean-Michel Déry et Christian Michaud, sont de parfaits siamois interchangeables. Nancy Bernier et Anne-Marie Olivier trouvent le ton juste de la vindicative maman silencieuse et de la révoltée qui ose enfin affronter le mari. En fond de scène, troublant paysage numérique qui se métamorphose au gré du délitement psychologique, léger tremblement, puis glissement vers les images pixellisées illustrant la théorie du chaos d’où émerge peu à peu le texte manuscrit de Claude. Le tout sur l’excellente trame sonore de Josué Beaucage qui vient subtilement amplifier la zone de combat.
Avec Le vrai monde ?, Tremblay entrecroise le silence coupable des familles incestueuses et l’implosion de cette insoutenable posture de complicité tacite avec un questionnement sur la liberté de l’artiste. Remarquable texte où le portrait social échappe au documentaire pour culminer dans la structure même de la création; bel exercice sur la fabrication de l’univers symbolique qu’est l’art de la scène.
Après le fabuleux Amadeus du printemps, le Trident attaque de belle façon la saison 2018-2019 avec ce morceau d’anthologie.
Texte : Michel Tremblay. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau. Assistance à la mise en scène : Émile Beauchemin. Avec : Jean-Denis Beaudoin, Nancy Bernier, Claude Breton-Potvin, Ariel Charest, Jean-Michel Déry, Christian Michaud, Anne-Marie Olivier. Éclairages : Keven Dubois. Musique : Josué Beaucage. Une production du Théâtre du Trident, présentée jusqu’au 13 octobre 2018.
Le brillant texte de Michel Tremblay, créé en 1985, trouve une résonnance immédiate dans l’actualité, mouvement #moiaussi et liberté d’expression. C’est qu’à la tragédie familiale, où les femmes se libèrent de l’oppression machiste, il vient superposer l’épineuse question de l’appropriation de la vie des autres, accusation portée contre de plus en plus d’artistes. Le jeune auteur Claude exprime la nécessité de parler de sa famille pour combler le vide laissé par le père absent. Il doit écrire, parler pour exorciser ce mal de vivre qui repose sur les comportements erratiques d’un père pédophile, obnubilé par sa fille qui deviendra danseuse à gogo.
La scénographie imaginée par Ariane Sauvé est construite sur un effet de miroir déformant, à droite l’espace du père avec le bain et la platée de bière, à gauche l’espace de la mère ouvert sur une cuisine remplie de fleurs. Entre les deux, un salon neutre qui devient le lieu de tous les combats, et, montées sur un piédestal, deux cages illustrant l’enfermement des femmes. Le miroir est constamment traversé par la famille réelle opposée à la famille fictive que Claude crée en donnant la parole du théâtre au silence de la vie.
Marie-Hélène Gendreau, qui, à chacune de ses créations confirme son talent de metteure en scène, nous offre une magistrale chorégraphie des deux mondes qui se côtoient en chevauchement sur cet espace de questionnement qu’est l’invention du monde. Le vrai monde (?) fait de réel et d’imaginaire est une fiction qui échappe au factuel mensonger, une histoire où le quotidien révèle son vrai visage. Le silence convenu du père et de la mère préserve une image idyllique de la famille parfaite. Mais tous savent que c’est faux. Et voici que le jeune Claude invente des dialogues pour ces muets du réel, prétendant qu’il sait exactement ce qu’ils pensent.
Révoltés, autant le père que la mère refusent que leur fils, cet espion toujours aux aguets, écrive sur leur vie. Ils y lisent du mépris et une incommensurable vanité. L’auteur Tremblay pose ici la question de la liberté de l’artiste. Dans une entrevue accordée à Geneviève Bouchard du Soleil, le prolifique auteur réaffirme « que l’artiste a tous les droits, y compris celui de vampiriser ses semblables, pourvu que ce soit bon. »
Le public a eu droit hier à un spectacle lumineux. Les deux pères, joués par Jean-Michel Déry et Christian Michaud, sont de parfaits siamois interchangeables. Nancy Bernier et Anne-Marie Olivier trouvent le ton juste de la vindicative maman silencieuse et de la révoltée qui ose enfin affronter le mari. En fond de scène, troublant paysage numérique qui se métamorphose au gré du délitement psychologique, léger tremblement, puis glissement vers les images pixellisées illustrant la théorie du chaos d’où émerge peu à peu le texte manuscrit de Claude. Le tout sur l’excellente trame sonore de Josué Beaucage qui vient subtilement amplifier la zone de combat.
Avec Le vrai monde ?, Tremblay entrecroise le silence coupable des familles incestueuses et l’implosion de cette insoutenable posture de complicité tacite avec un questionnement sur la liberté de l’artiste. Remarquable texte où le portrait social échappe au documentaire pour culminer dans la structure même de la création; bel exercice sur la fabrication de l’univers symbolique qu’est l’art de la scène.
Après le fabuleux Amadeus du printemps, le Trident attaque de belle façon la saison 2018-2019 avec ce morceau d’anthologie.
Le vrai monde ?
Texte : Michel Tremblay. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau. Assistance à la mise en scène : Émile Beauchemin. Avec : Jean-Denis Beaudoin, Nancy Bernier, Claude Breton-Potvin, Ariel Charest, Jean-Michel Déry, Christian Michaud, Anne-Marie Olivier. Éclairages : Keven Dubois. Musique : Josué Beaucage. Une production du Théâtre du Trident, présentée jusqu’au 13 octobre 2018.