Une pièce sur la saga des Lehman Brothers, ces banquiers champions du capitalisme débridé et responsables du krach boursier de 2008, d’une durée de 4 h 30 : certes, la proposition pourrait décourager. Mais, les qualités de cette proposition artistique de Catherine Vidal et Marc Beaupré forcent l’admiration et on se laisse emporter, captiver, séduire, au point d’en oublier toute notion du temps.
Cette même pièce, dans la mise en scène d’Olivier Lépine, a été présentée en septembre 2018 au Théâtre Périscope à Québec. La faillite des Lehman brothers est également le point de départ de la pièce de Jean-Philippe Joubert, L’Art de la chute, écrite par Véronique Côté et plusieurs auteurs, présentée au Théâtre Périscope en 2017, et au Théâtre La Licorne en septembre 2018. C’est dire si l’économie est tendance,au théâtre comme sur la scène politique.
Immigrants juifs allemands, arrivés aux États-Unis à la fin du 19e siècle, les frères Lehman incarnent le rêve américain. Partis de rien, ils ne tardent pas à faire des affaires florissantes, misant d’abord sur le coton et le chemin de fer, avant d’ouvrir une des premières banques d’investissement, à New York. Traversant des périodes critiques, depuis la Grande dépression jusqu’aux deux guerres mondiales, ils vont bâtir un empire qui va, en s’effondrant, provoquer une des plus graves crises qu’a connue la planète de la finance.
Dans un parti pris radical, une scénographie dépouillée (de Pierre-Étienne Locas) uniquement constituée de quelques rangées de sièges comme on en trouvait dans les vieux cinémas, les deux metteurs en scène offrent leur lecture de ce texte foisonnant, en distribuant si intelligemment la parole entre les six interprètes que le propos en devient limpide. Il faut dire que la matière première est magnifique. De l’auteur et metteur en scène italien Stefano Massini (également directeur du Piccolo Teatro de Milan), cette épopée en trois tomes possède un puissant souffle lyrique. Un des bonheurs du texte, c’est la proximité qu’il crée avec ses personnages, une intimité respectueuse qui se mesure particulièrement dans les rites de la tradition juive. Ces moments mystiques où parle un chœur antique : c’est clair, nous vivons une tragédie.
Chapitres de la chute est un récit narratif plutôt qu’une pièce de théâtre, un long poème épique sans dialogues ni répliques, d’une écriture tendue, précise, incisive, où se succèdent, depuis la Guerre de Sécession jusqu’à la chute de Lehman Brothers, une multitude de personnages, distribués aux six comédiens, sans égard pour leur âge ou leur sexe. D’emblée, on accepte ces conventions : Igor Ovadis tient le rôle du jeune Henry, fondateur de la dynastie, avec un deuxième degré délicieux, Catherine Larochelle et Louise Cardinal interprètent les deux frères – en plus d’une trâlée d’autres personnages, et elles démontrent une palette d’intentions et de niveaux de jeu impressionnants -, parfois les comédiens figurent des femmes (Didier Lucien s’en donne à cœur joie en jeune fille effarouchée !), le tout avec une bonne dose d’ironie, qui apporte une légèreté à des propos qui pourraient en être dépourvus. Parce que de l’humour, il y en a, et on rit de bon cœur. Dans ce registre, il faut souligner la prestation d’Olivia Palacci, remarquable dans l’autodérision.
Pas d’accessoires ou presque, tout est mimé, suggéré, et ça fonctionne. L’univers sonore est particulièrement soigné, évoquant un univers de bande dessinée, avec des bruitages qui suggèrent une action ou un lieu différents, comme le font également les comédiennes et les comédiens qui, par un simple changement d’intonation, un geste, un regard, basculent d’un personnage à l’autre. L’écriture du spectacle dans l’espace, grâce à une mise en scène et une direction d’acteurs parfaitement maîtrisées, donne un élan aux mots de l’auteur, elle les rend plus grands, plus beaux, plus forts. Cette intelligence du texte est rare, elle est ici l’implacable démonstration du talent et de la maitrise de Vidal et Beaupré, si élégants dans cette sobriété d’une incroyable richesse.
Un spectacle réglé au quart de tour, qui sollicite l’imaginaire du spectateur, mais qui jamais ne le perd dans les dédales d’un récit pourtant riche en rebondissements. Du théâtre à l’état pur : un texte, des corps, des visages et des voix pour le porter, un monde qui s’ouvre à nous.
C’est trop beau pour le rater : courez au Théâtre de Quat’Sous, sinon vous allez le regretter.
Texte de Stefano Massini. Traduction de Pietro Pizzuti. Mise en scène : Marc Beaupré et Catherine Vidal. Décor : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Elen Ewing. Lumière : Alexandre Pilon-Guay. Musique : Francis Rossignol. Avec Louise Cardinal, Vincent Côté, Catherine Larochelle, Didier Lucien, Igor Ovadis et Olivia Palacci. Une coproduction de Terre des Hommes (Marc Beaupré), Cœur battant (Catherine Vidal) et le Théâtre de Quat’Sous, présentée jusqu’au 3 novembre 2018.
Une pièce sur la saga des Lehman Brothers, ces banquiers champions du capitalisme débridé et responsables du krach boursier de 2008, d’une durée de 4 h 30 : certes, la proposition pourrait décourager. Mais, les qualités de cette proposition artistique de Catherine Vidal et Marc Beaupré forcent l’admiration et on se laisse emporter, captiver, séduire, au point d’en oublier toute notion du temps.
Cette même pièce, dans la mise en scène d’Olivier Lépine, a été présentée en septembre 2018 au Théâtre Périscope à Québec. La faillite des Lehman brothers est également le point de départ de la pièce de Jean-Philippe Joubert, L’Art de la chute, écrite par Véronique Côté et plusieurs auteurs, présentée au Théâtre Périscope en 2017, et au Théâtre La Licorne en septembre 2018. C’est dire si l’économie est tendance,au théâtre comme sur la scène politique.
Immigrants juifs allemands, arrivés aux États-Unis à la fin du 19e siècle, les frères Lehman incarnent le rêve américain. Partis de rien, ils ne tardent pas à faire des affaires florissantes, misant d’abord sur le coton et le chemin de fer, avant d’ouvrir une des premières banques d’investissement, à New York. Traversant des périodes critiques, depuis la Grande dépression jusqu’aux deux guerres mondiales, ils vont bâtir un empire qui va, en s’effondrant, provoquer une des plus graves crises qu’a connue la planète de la finance.
Dans un parti pris radical, une scénographie dépouillée (de Pierre-Étienne Locas) uniquement constituée de quelques rangées de sièges comme on en trouvait dans les vieux cinémas, les deux metteurs en scène offrent leur lecture de ce texte foisonnant, en distribuant si intelligemment la parole entre les six interprètes que le propos en devient limpide. Il faut dire que la matière première est magnifique. De l’auteur et metteur en scène italien Stefano Massini (également directeur du Piccolo Teatro de Milan), cette épopée en trois tomes possède un puissant souffle lyrique. Un des bonheurs du texte, c’est la proximité qu’il crée avec ses personnages, une intimité respectueuse qui se mesure particulièrement dans les rites de la tradition juive. Ces moments mystiques où parle un chœur antique : c’est clair, nous vivons une tragédie.
Chapitres de la chute est un récit narratif plutôt qu’une pièce de théâtre, un long poème épique sans dialogues ni répliques, d’une écriture tendue, précise, incisive, où se succèdent, depuis la Guerre de Sécession jusqu’à la chute de Lehman Brothers, une multitude de personnages, distribués aux six comédiens, sans égard pour leur âge ou leur sexe. D’emblée, on accepte ces conventions : Igor Ovadis tient le rôle du jeune Henry, fondateur de la dynastie, avec un deuxième degré délicieux, Catherine Larochelle et Louise Cardinal interprètent les deux frères – en plus d’une trâlée d’autres personnages, et elles démontrent une palette d’intentions et de niveaux de jeu impressionnants -, parfois les comédiens figurent des femmes (Didier Lucien s’en donne à cœur joie en jeune fille effarouchée !), le tout avec une bonne dose d’ironie, qui apporte une légèreté à des propos qui pourraient en être dépourvus. Parce que de l’humour, il y en a, et on rit de bon cœur. Dans ce registre, il faut souligner la prestation d’Olivia Palacci, remarquable dans l’autodérision.
Pas d’accessoires ou presque, tout est mimé, suggéré, et ça fonctionne. L’univers sonore est particulièrement soigné, évoquant un univers de bande dessinée, avec des bruitages qui suggèrent une action ou un lieu différents, comme le font également les comédiennes et les comédiens qui, par un simple changement d’intonation, un geste, un regard, basculent d’un personnage à l’autre. L’écriture du spectacle dans l’espace, grâce à une mise en scène et une direction d’acteurs parfaitement maîtrisées, donne un élan aux mots de l’auteur, elle les rend plus grands, plus beaux, plus forts. Cette intelligence du texte est rare, elle est ici l’implacable démonstration du talent et de la maitrise de Vidal et Beaupré, si élégants dans cette sobriété d’une incroyable richesse.
Un spectacle réglé au quart de tour, qui sollicite l’imaginaire du spectateur, mais qui jamais ne le perd dans les dédales d’un récit pourtant riche en rebondissements. Du théâtre à l’état pur : un texte, des corps, des visages et des voix pour le porter, un monde qui s’ouvre à nous.
C’est trop beau pour le rater : courez au Théâtre de Quat’Sous, sinon vous allez le regretter.
Chapitres de la chute
Texte de Stefano Massini. Traduction de Pietro Pizzuti. Mise en scène : Marc Beaupré et Catherine Vidal. Décor : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Elen Ewing. Lumière : Alexandre Pilon-Guay. Musique : Francis Rossignol. Avec Louise Cardinal, Vincent Côté, Catherine Larochelle, Didier Lucien, Igor Ovadis et Olivia Palacci. Une coproduction de Terre des Hommes (Marc Beaupré), Cœur battant (Catherine Vidal) et le Théâtre de Quat’Sous, présentée jusqu’au 3 novembre 2018.