Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sont deux professeurs belges, le genre d’enseignants qu’on souhaite à tous les jeunes. Sympathiques, drôles et savants. Tout pour plaire. Leur tête de turc, c’est l’orthographe, qui n’est pour eux qu’un ensemble de dogmes destinés à faire souffrir ceux et celles qui s’y frottent, demandant beaucoup d’efforts (inutiles ?) pour la maitriser.
Sur le mode d’une conférence à la fois ludique et interactive, ils fustigent « les curés de la langue » et les puristes « qui veulent qu’on écrive comme il y a 50 ans ». Puisqu’on vous juge sur votre orthographe, mais que l’orthographe, elle, n’est jamais jugée, ils se livrent à un véritable et délicieux procès, passant en revue ses nombreuses aberrations : les lettres muettes, les différentes façons d’écrire un même son, les doubles consonnes, les pluriels en X… Des exemples rigolos illustrent l’absurdité des règles : alléger qu’on alourdit avec deux L, et alourdir qui n’en prend qu’un. Bien sûr, l’accord du participe passé en prend pour son rhume. D’ailleurs, Hoedt et Piron sont d’ardents militants pour la simplification de ce terrible accord.
Leur ligne de conduite, c’est que l’orthographe n’est que l’écriture de la langue, et sa réforme n’entrainerait pas un affaiblissement du français. Bien des langues sont phonétiques, comme le croate, le finnois, l’espagnol, l’italien… Elles s’écrivent donc comme elles se prononcent, et les petits enfants sont contents. Nombreuses ont été les tentatives de réforme de l’orthographe, les partisans de la simplification se heurtant à celles et ceux qui ont acquis une orthographe irréprochable et qui maintenant y sont très, voire trop attachés.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Cherchons les coupables : les moines copistes du Moyen Âge, les imprimeurs, puis la bourgeoisie et enfin l’Académie française qui, selon Hoedt et Piron, n’est qu’un ramassis d’incompétents – j’emploie la forme masculine puisque rares sont les femmes à y siéger, Marguerite Yourcenar n’y ayant jamais remis les pieds après son investiture – dont pas un seul n’est linguiste. Dans les cahiers préparatoires à la rédaction du premier dictionnaire de l’Académie, au 17e siècle, il était mentionné que « l’orthographe sert à distinguer les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes ». Et vlan.
Malgré le contenu jubilatoire, le ton professoral finit par lasser, comme la présence et la gestuelle des deux lascars, qui bien souvent ne savent que faire de leurs mains. Une légère mise en scène aurait été la bienvenue… Avec, peut-être, un placement de la voix ?
Et un regret : que l’écriture inclusive soit passée sous silence. Parce que s’il est une réforme de la graphie qui fait s’agiter bien des touches sur bien des claviers, c’est celle-ci. Avec l’image d’un marteau projetée en arrière-scène, les deux gars assènent leur dernière vérité : « Quand un outil n’est plus au service de l’homme mais que c’est l’homme qui est au service de l’outil, cet outil a alors dépassé ce qu’on appelle son seuil de convivialité.» Mais, être convivial, même en parlant d’un marteau (outil dont l’usage, on le sait bien, est réservé aux mâles), ne serait-ce pas aussi être – un peu plus – inclusif ? Car les femmes, voyez-vous, savent aussi planter des clous.
Texte : Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Mise en scène : Dominique Breda, Arnaud Pirault et Clément Thirion. Concepteurs : Nicolas Callandt, Antoine Defoort et Kévin Matagne. Une production Chantal & Bernadette, présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 10 novembre 2018.
EnregistrerEnregistrer
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron sont deux professeurs belges, le genre d’enseignants qu’on souhaite à tous les jeunes. Sympathiques, drôles et savants. Tout pour plaire. Leur tête de turc, c’est l’orthographe, qui n’est pour eux qu’un ensemble de dogmes destinés à faire souffrir ceux et celles qui s’y frottent, demandant beaucoup d’efforts (inutiles ?) pour la maitriser.
Sur le mode d’une conférence à la fois ludique et interactive, ils fustigent « les curés de la langue » et les puristes « qui veulent qu’on écrive comme il y a 50 ans ». Puisqu’on vous juge sur votre orthographe, mais que l’orthographe, elle, n’est jamais jugée, ils se livrent à un véritable et délicieux procès, passant en revue ses nombreuses aberrations : les lettres muettes, les différentes façons d’écrire un même son, les doubles consonnes, les pluriels en X… Des exemples rigolos illustrent l’absurdité des règles : alléger qu’on alourdit avec deux L, et alourdir qui n’en prend qu’un. Bien sûr, l’accord du participe passé en prend pour son rhume. D’ailleurs, Hoedt et Piron sont d’ardents militants pour la simplification de ce terrible accord.
Leur ligne de conduite, c’est que l’orthographe n’est que l’écriture de la langue, et sa réforme n’entrainerait pas un affaiblissement du français. Bien des langues sont phonétiques, comme le croate, le finnois, l’espagnol, l’italien… Elles s’écrivent donc comme elles se prononcent, et les petits enfants sont contents. Nombreuses ont été les tentatives de réforme de l’orthographe, les partisans de la simplification se heurtant à celles et ceux qui ont acquis une orthographe irréprochable et qui maintenant y sont très, voire trop attachés.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Cherchons les coupables : les moines copistes du Moyen Âge, les imprimeurs, puis la bourgeoisie et enfin l’Académie française qui, selon Hoedt et Piron, n’est qu’un ramassis d’incompétents – j’emploie la forme masculine puisque rares sont les femmes à y siéger, Marguerite Yourcenar n’y ayant jamais remis les pieds après son investiture – dont pas un seul n’est linguiste. Dans les cahiers préparatoires à la rédaction du premier dictionnaire de l’Académie, au 17e siècle, il était mentionné que « l’orthographe sert à distinguer les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes ». Et vlan.
Malgré le contenu jubilatoire, le ton professoral finit par lasser, comme la présence et la gestuelle des deux lascars, qui bien souvent ne savent que faire de leurs mains. Une légère mise en scène aurait été la bienvenue… Avec, peut-être, un placement de la voix ?
Et un regret : que l’écriture inclusive soit passée sous silence. Parce que s’il est une réforme de la graphie qui fait s’agiter bien des touches sur bien des claviers, c’est celle-ci. Avec l’image d’un marteau projetée en arrière-scène, les deux gars assènent leur dernière vérité : « Quand un outil n’est plus au service de l’homme mais que c’est l’homme qui est au service de l’outil, cet outil a alors dépassé ce qu’on appelle son seuil de convivialité.» Mais, être convivial, même en parlant d’un marteau (outil dont l’usage, on le sait bien, est réservé aux mâles), ne serait-ce pas aussi être – un peu plus – inclusif ? Car les femmes, voyez-vous, savent aussi planter des clous.
La Convivialité
Texte : Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Mise en scène : Dominique Breda, Arnaud Pirault et Clément Thirion. Concepteurs : Nicolas Callandt, Antoine Defoort et Kévin Matagne. Une production Chantal & Bernadette, présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 10 novembre 2018.
EnregistrerEnregistrer