Le village de Malenfants, perdu dans un no man’s land situé aux confins du pays, semble sorti tout droit d’un roman de Cormac McCarthy : cour d’école ravagée, pit de sable, quincaillerie-pharmacie dépanneur, cour à scrap, jeunesse désœuvrée qui occupe ses journées à maintenir le statu quo d’une vie morne et sans issue. Les adolescents, s’efforçant de reproduire les modèles parentaux comme une évidence, sont englués dans la méchanceté usuelle des mauvais coups, des jalousies, des complicités malsaines dont il est impossible de se dépêtre.
S’opposant à cette décrépitude, Cindy-Lou, celle dont la mère a disparu, veut s’engager dans l’armée. Elle pourra ainsi quitter ce village sans histoire, s’abstraire à sa condition tout en faisant œuvre utile. Ostracisée par ses camarades qui transforment leur peur en harcèlement, elle devient la bouc émissaire de leur insuffisance. La tension s’installe entre le clan des adolescents et la solitaire qui vit en marge du village. Le lien entre ces antagonistes passera par Francis, attiré par l’étrangeté de cette femme hors norme.
Ce monde fait de ragots, de demi-vérités, mais aussi de pressions internes pour maintenir la cohésion du groupe, est également celui de l’adolescence avec sa quête d’identité. Ils sont tous aux prises avec les questions existentielles sur la sexualité, l’amitié, la famille. Même si le futur ne semble pas y avoir sa place. Ce qui les constitue en groupe, c’est le maintien d’un ordre établi qu’ils veulent reproduire, peu importe les vacheries pour y arriver. Mais Cindy-Lou, par sa posture de révoltée, les menace dans leur fondement même.
Kill ta peur, une jeune troupe de Québec, présente ici une première création foisonnante de trouvailles qui vont parfois un peu trop dans toutes les directions. La construction dramatique de Gabriel Cloutier Tremblay et Lea Aubin, qui joue aussi Cindy-Lou avec beaucoup d’aplomb, se déploie comme un scénario cinématographique : flashes, brèves scènes alignées dans une succession rapide, actions violentes, langage cru, le tout appuyé par une trame sonore et visuelle remarquable signée Keven Dubois et Vincent Roy. Tout comme leurs alliés du Théâtre Kata (Olivier Arteau), Kill ta peur propose un théâtre qui se veut l’écho de leur génération, par le discours, la scénographie, les relations humaines. Il y a ici quelque chose de brut, une sauvagerie à peine contrôlée qui parle du malaise de vivre dans un monde en perte de repères. À la violence du monde (en trame de fond se jouent le terrorisme, la guerre, le délitement des valeurs), ils répondent par une violence intime, une mise à mort de la différence. Il va de soi que le bouc émissaire doit être sacrifié pour que l’espoir revienne.
Les jeunes auteurs proposent ici un texte ancré dans le présent et qui embrasse très large. L’isolement, le racisme, le manque d’ouverture, l’indécision sexuelle, le suicide. Mais plus que tout cela, La fille qui s’promène avec une hache illustre la puissance de notre environnement comme facteur clef de nos comportements. Les sociétés modernes, comme l’a si bien identifié Pierre Bourdieu, sont constituées en clans. Dans ces conditions, les libres penseurs sont des menaces pour la cohésion sociale. Après l’exclusion de Cindy-Lou et le départ de Francis, le clan se donnera une nouvelle image en entrevoyant un futur différent. Saluons une mise scène éclatée et quelques scènes comiques qui viennent alléger le drame inéluctable. Il faut parfois rire de la bêtise humaine.
Texte et mise en scène : Léa Aubin et Gabriel Cloutier Tremblay. Scénographie : Gabriel Cloutier Tremblay. Costumes : Cécile Lefebvre. Lumière et vidéo : Keven Dubois. Composition originale : Vincent Roy. Distribution : Olivier Arteau, Léa Aubin, Ariane Bellavance-Fafard, Étienne La Frenière, Vincent Legault, Marianne Marceau, Monika Pilon, Dayne Simard. Une production de Kill ta peur, présentée à Premier Acte jusqu’au 24 novembre 2018.
Le village de Malenfants, perdu dans un no man’s land situé aux confins du pays, semble sorti tout droit d’un roman de Cormac McCarthy : cour d’école ravagée, pit de sable, quincaillerie-pharmacie dépanneur, cour à scrap, jeunesse désœuvrée qui occupe ses journées à maintenir le statu quo d’une vie morne et sans issue. Les adolescents, s’efforçant de reproduire les modèles parentaux comme une évidence, sont englués dans la méchanceté usuelle des mauvais coups, des jalousies, des complicités malsaines dont il est impossible de se dépêtre.
S’opposant à cette décrépitude, Cindy-Lou, celle dont la mère a disparu, veut s’engager dans l’armée. Elle pourra ainsi quitter ce village sans histoire, s’abstraire à sa condition tout en faisant œuvre utile. Ostracisée par ses camarades qui transforment leur peur en harcèlement, elle devient la bouc émissaire de leur insuffisance. La tension s’installe entre le clan des adolescents et la solitaire qui vit en marge du village. Le lien entre ces antagonistes passera par Francis, attiré par l’étrangeté de cette femme hors norme.
Ce monde fait de ragots, de demi-vérités, mais aussi de pressions internes pour maintenir la cohésion du groupe, est également celui de l’adolescence avec sa quête d’identité. Ils sont tous aux prises avec les questions existentielles sur la sexualité, l’amitié, la famille. Même si le futur ne semble pas y avoir sa place. Ce qui les constitue en groupe, c’est le maintien d’un ordre établi qu’ils veulent reproduire, peu importe les vacheries pour y arriver. Mais Cindy-Lou, par sa posture de révoltée, les menace dans leur fondement même.
Kill ta peur, une jeune troupe de Québec, présente ici une première création foisonnante de trouvailles qui vont parfois un peu trop dans toutes les directions. La construction dramatique de Gabriel Cloutier Tremblay et Lea Aubin, qui joue aussi Cindy-Lou avec beaucoup d’aplomb, se déploie comme un scénario cinématographique : flashes, brèves scènes alignées dans une succession rapide, actions violentes, langage cru, le tout appuyé par une trame sonore et visuelle remarquable signée Keven Dubois et Vincent Roy. Tout comme leurs alliés du Théâtre Kata (Olivier Arteau), Kill ta peur propose un théâtre qui se veut l’écho de leur génération, par le discours, la scénographie, les relations humaines. Il y a ici quelque chose de brut, une sauvagerie à peine contrôlée qui parle du malaise de vivre dans un monde en perte de repères. À la violence du monde (en trame de fond se jouent le terrorisme, la guerre, le délitement des valeurs), ils répondent par une violence intime, une mise à mort de la différence. Il va de soi que le bouc émissaire doit être sacrifié pour que l’espoir revienne.
Les jeunes auteurs proposent ici un texte ancré dans le présent et qui embrasse très large. L’isolement, le racisme, le manque d’ouverture, l’indécision sexuelle, le suicide. Mais plus que tout cela, La fille qui s’promène avec une hache illustre la puissance de notre environnement comme facteur clef de nos comportements. Les sociétés modernes, comme l’a si bien identifié Pierre Bourdieu, sont constituées en clans. Dans ces conditions, les libres penseurs sont des menaces pour la cohésion sociale. Après l’exclusion de Cindy-Lou et le départ de Francis, le clan se donnera une nouvelle image en entrevoyant un futur différent. Saluons une mise scène éclatée et quelques scènes comiques qui viennent alléger le drame inéluctable. Il faut parfois rire de la bêtise humaine.
La fille qui s’promène avec une hache
Texte et mise en scène : Léa Aubin et Gabriel Cloutier Tremblay. Scénographie : Gabriel Cloutier Tremblay. Costumes : Cécile Lefebvre. Lumière et vidéo : Keven Dubois. Composition originale : Vincent Roy. Distribution : Olivier Arteau, Léa Aubin, Ariane Bellavance-Fafard, Étienne La Frenière, Vincent Legault, Marianne Marceau, Monika Pilon, Dayne Simard. Une production de Kill ta peur, présentée à Premier Acte jusqu’au 24 novembre 2018.