Sans vouloir nourrir la théorie romantique – et clairement réductrice – selon laquelle l’art le plus intéressant se crée dans la misère, il reste que les deux productions élaborées à partir de textes de Marcel Dubé cette saison prouvent qu’une véritable vision artistique ne s’achète pas. À l’opposé de la reprise ronflante de Bilan qu’a présenté le TNM, Christian Lapointe propose une véritable relecture, fulgurante et signifiante, des Beaux Dimanches à La Chapelle.
Né du désir de la promotion 2018 de l’École nationale de théâtre, regroupée au sein de la compagnie Quatorze18, de retravailler ce texte déjà abordé avec le professeur Lapointe, ce spectacle démarre avec la vigueur cinglante d’une gifle. Langue moderne, énergie exacerbée, abolition du quatrième mur, les jeunes interprètes, tous vêtus de la même façon (d’un jeans et d’un chandail de sport), prennent tour à tour le micro pour proférer leurs doléances, les adressant tantôt à leurs comparses, tantôt au public. Plutôt que banlieusard, le lendemain de veille tournant à la beuverie qui dégénère – formant la situation dramaturgique à la base de la pièce – sera sauvage. C’est à en oublier que la pièce originale date de 1968. D’autant plus que le metteur en scène y poursuit la fascinante exploration du langage corporel qu’il avait entamée en 2013, dans Oxygène, d’Yvan Viripaev.
Au cœur d’un espace scénique dépouillé, rappelant vaguement une piscine intérieure (sans bassin d’eau), tous les personnages participent donc à une singulière nage synchronisée, joignant à la parole une langue physique codée, où chaque notion (la jeunesse, le passé, les hommes, les femmes et ainsi de suite) correspond à un geste précis. En résultent des répliques chorégraphiées mettant en lumière le propos du texte de Dubé, qui traite du désœuvrement désabusé de gens aisés ayant perdu leurs idéaux de jeunesse et ne croyant plus en rien, sauf peut-être en l’oubli temporaire – par l’alcool, la fête et le libertinage sexuel – de leur amertume. Le fait que la distribution soit composée de jeunes comédien·nes laisse émerger un parallèle entre le désarroi de ce groupe d’adultes d’âge moyen qui cherchent à noyer leur mélancolie et celui d’une bande d’adolescents qui tenteraient maladroitement de se former une identité, d’émerger de l’enfance, par ces opérations de socialisation extrême.
On jubile devant cette relecture audacieuse et imaginative qui confirme la pertinence de revisiter des œuvres du répertoire. Et puis, d’un coup, cet univers captivant s’effondre. En un acte que l’on serait tenté de qualifier d’autosabotage, Lapointe confine sa troupe, pendant tout le dernier quart du spectacle, à doubler en direct les interprètes (Denise Filiatrault, Jean Duceppe, Gérard Poirier, Andrée Lachapelle et consorts) du film qu’a tiré Richard Martin en 1974 de la pièce originale et qui est projeté sur le mur du fond de la scène. Pourquoi mettre ainsi la hache dans une fresque vibrante qui ne demandait qu’à être achevée par quelques derniers fougueux coups de pinceau? Sont ainsi déconstruits les personnages primesautiers et contemporains qui avaient éclos sous nos yeux – exit, entre autres, Étienne le clown triste survolté et Élisabeth la furieuse, qui formaient le couple d’hôtes de la soirée –, oubliée toute la modernité de leur incarnation, toute l’actualité de leur détresse, de leur cynisme post-printemps érable.
Cette rupture de ton visait-elle à rendre hommage aux acteurs et actrices du film? Ou encore à illustrer la distance entre ce groupe de bourgeois cacochymes et la vive troupe de vingtenaires qui avaient, jusque là, joué aux adultes afin de conjurer ce futur qu’ils refusent? Il n’en demeure pas moins que ce procédé de distanciation, qui aurait peut-être pu être utilisé avec succès pendant quelques brefs instants, en vient à estropier la brillante proposition qui, jusque là, s’avérait des plus réjouissantes.
Texte : Marcel Dubé. Mise en scène : Christian Lapointe. Scénographie : Étienne René-Contant, Vincent Pouliot, Marilyne Beauchamp. Éclairages : Chantal Labonté. Avec Félix-Antoine Cantin, Claudia Chillis-Rivard, Étienne Courville, Nadine Desjardins, Patrice Ducharme-Castonguay, Étienne Lou, Virginie Morin-Laporte, Jules Ronfard, Gabriel-Antoine Roy, Rosemarie Sabor et Élisabeth Smith. Présentée par le Collectif Quatorze18 au théâtre La Chapelle jusqu’au 15 décembre.
Sans vouloir nourrir la théorie romantique – et clairement réductrice – selon laquelle l’art le plus intéressant se crée dans la misère, il reste que les deux productions élaborées à partir de textes de Marcel Dubé cette saison prouvent qu’une véritable vision artistique ne s’achète pas. À l’opposé de la reprise ronflante de Bilan qu’a présenté le TNM, Christian Lapointe propose une véritable relecture, fulgurante et signifiante, des Beaux Dimanches à La Chapelle.
Né du désir de la promotion 2018 de l’École nationale de théâtre, regroupée au sein de la compagnie Quatorze18, de retravailler ce texte déjà abordé avec le professeur Lapointe, ce spectacle démarre avec la vigueur cinglante d’une gifle. Langue moderne, énergie exacerbée, abolition du quatrième mur, les jeunes interprètes, tous vêtus de la même façon (d’un jeans et d’un chandail de sport), prennent tour à tour le micro pour proférer leurs doléances, les adressant tantôt à leurs comparses, tantôt au public. Plutôt que banlieusard, le lendemain de veille tournant à la beuverie qui dégénère – formant la situation dramaturgique à la base de la pièce – sera sauvage. C’est à en oublier que la pièce originale date de 1968. D’autant plus que le metteur en scène y poursuit la fascinante exploration du langage corporel qu’il avait entamée en 2013, dans Oxygène, d’Yvan Viripaev.
Au cœur d’un espace scénique dépouillé, rappelant vaguement une piscine intérieure (sans bassin d’eau), tous les personnages participent donc à une singulière nage synchronisée, joignant à la parole une langue physique codée, où chaque notion (la jeunesse, le passé, les hommes, les femmes et ainsi de suite) correspond à un geste précis. En résultent des répliques chorégraphiées mettant en lumière le propos du texte de Dubé, qui traite du désœuvrement désabusé de gens aisés ayant perdu leurs idéaux de jeunesse et ne croyant plus en rien, sauf peut-être en l’oubli temporaire – par l’alcool, la fête et le libertinage sexuel – de leur amertume. Le fait que la distribution soit composée de jeunes comédien·nes laisse émerger un parallèle entre le désarroi de ce groupe d’adultes d’âge moyen qui cherchent à noyer leur mélancolie et celui d’une bande d’adolescents qui tenteraient maladroitement de se former une identité, d’émerger de l’enfance, par ces opérations de socialisation extrême.
On jubile devant cette relecture audacieuse et imaginative qui confirme la pertinence de revisiter des œuvres du répertoire. Et puis, d’un coup, cet univers captivant s’effondre. En un acte que l’on serait tenté de qualifier d’autosabotage, Lapointe confine sa troupe, pendant tout le dernier quart du spectacle, à doubler en direct les interprètes (Denise Filiatrault, Jean Duceppe, Gérard Poirier, Andrée Lachapelle et consorts) du film qu’a tiré Richard Martin en 1974 de la pièce originale et qui est projeté sur le mur du fond de la scène. Pourquoi mettre ainsi la hache dans une fresque vibrante qui ne demandait qu’à être achevée par quelques derniers fougueux coups de pinceau? Sont ainsi déconstruits les personnages primesautiers et contemporains qui avaient éclos sous nos yeux – exit, entre autres, Étienne le clown triste survolté et Élisabeth la furieuse, qui formaient le couple d’hôtes de la soirée –, oubliée toute la modernité de leur incarnation, toute l’actualité de leur détresse, de leur cynisme post-printemps érable.
Cette rupture de ton visait-elle à rendre hommage aux acteurs et actrices du film? Ou encore à illustrer la distance entre ce groupe de bourgeois cacochymes et la vive troupe de vingtenaires qui avaient, jusque là, joué aux adultes afin de conjurer ce futur qu’ils refusent? Il n’en demeure pas moins que ce procédé de distanciation, qui aurait peut-être pu être utilisé avec succès pendant quelques brefs instants, en vient à estropier la brillante proposition qui, jusque là, s’avérait des plus réjouissantes.
Les Beaux Dimanches
Texte : Marcel Dubé. Mise en scène : Christian Lapointe. Scénographie : Étienne René-Contant, Vincent Pouliot, Marilyne Beauchamp. Éclairages : Chantal Labonté. Avec Félix-Antoine Cantin, Claudia Chillis-Rivard, Étienne Courville, Nadine Desjardins, Patrice Ducharme-Castonguay, Étienne Lou, Virginie Morin-Laporte, Jules Ronfard, Gabriel-Antoine Roy, Rosemarie Sabor et Élisabeth Smith. Présentée par le Collectif Quatorze18 au théâtre La Chapelle jusqu’au 15 décembre.