Le spectacle a été bien accueilli. Malgré la durée — deux heures trente —, malgré des longueurs, malgré que l’on nous ait avertis qu’il s’agissait d’une répétition générale, malgré un début où manifestement les comédiens n’étaient pas à l’aise. Le spectacle a été bien accueilli. Sûrement parce qu’il abordait, pour des Français, un sujet tout à fait inconnu : la tentative d’assimilation des peuples autochtones par la négation de leur culture, ayant entraîné ce sentiment de dépossession qui mène tout droit au désarroi et au malheur. Au cœur du spectacle : ces viols et meurtres sordides de jeunes femmes de la rue, à Vancouver, que l’on a mis trop de temps à élucider.
À sa manière habituelle, Robert Lepage propose un spectacle construit par sketches, où s’entrecroisent trois histoires : une restauratrice de tableaux présente des oeuvres représentant des autochtones (Légaré, Thielcke, Krieghoff) à un commissaire d’exposition dans un musée d’Ottawa ; deux jeunes Français qui s’installent à Vancouver pour devenir, elle, peintre, lui, acteur (thème récurrent de l’artiste qui se cherche chez Lepage); une jeune héroïnomane qui sera assassinée. Si ces histoires finissent par s’imbriquer, la restauratrice, autochtone, s’avérant être la mère de la victime du tueur en série, laquelle sera portraiturée par la jeune Française, force est de constater que la multiplication des tableaux crée un effet de dispersion et nuit au rythme du spectacle. Comment approfondir alors?
Probablement pour aller directement au but et vu, justement, la nécessité de mener de front trois niveaux de récit, les tableaux s’accumulent selon une esthétique propre à un théâtre de l’image et sont à lire au premier degré. Le réalisme de certaines scènes laisse pantois : les billots, et le totem, sciés à la tronçonneuse pour illustrer la dépossession du territoire, ou encore la roulotte répugnante et ses stalles de bois en guise de porcherie, sans oublier les polices montées qui arrachent un bébé à une mère pour le mettre dans les bras d’un prêtre. Robert Lepage nous avait habitués à un peu plus d’inventivité d’autant plus que la mise en place des décors, on pense aux nombreuses tables du poste de police, aux tout aussi nombreuses tables du centre d’injection, prend un temps fou.
La controverse
Bien sûr, le plus intéressant dans tout cela est de faire écho au sort des femmes autochtones assassinées. La scène où le meurtrier évoque la Bible pour se justifier de « débarrasser la terre de déchets » trahit haut et fort le mépris dans lequel certains pouvaient tenir les autochtones. L’émotion, elle, viendra au moment où la mère identifiera les effets personnels de sa fille à la morgue. Ailleurs, l’humour trouvera son chemin avec le personnage du jeune Français prenant des cours de « relâché » de diction pour devenir un parfait américain. Autodérision ?
Finalement, et il fallait s’y attendre après les accusations d’appropriation culturelle lancées contre Robert Lepage et le Théâtre du Soleil, on aura une envolée sur le droit de l’artiste à parler de tous les sujets dans la bouche de la peintre qui, même si elle n’est ni autochtone, ni droguée, ni prostituée peut faire des portraits des jeunes femmes autochtones, droguées, prostituées. C’est la réponse à la controverse de cet été. Bien que l’on fasse entendre aussi la parole des premières intéressées qui disent ne pas vouloir qu’on leur vole aussi leurs larmes après leur avoir volé leur terre, leur famille, leur langue.
Bref, le spectacle cherche l’authenticité, mais pèche malheureusement par sa simplicité. Il faut espérer maintenant un resserrement et du propos et de la forme pour qu’il ait plus d’impact. En passant, on se passerait bien de l’ours…
Mise en scène, Robert Lepage. Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, par ordre approximatif d’entrée en scène : Shaghayegh Beheshti, Vincent Mangado, Martial Jacques, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Omid Rawendah, Taher Baig, Ghulam, Aref Bahunar, Jean-Sébastien Merle, Saboor Dilawar, Shafiq Kohi, Maurice Durozier, Seear Kohi, Sayed Ahmad Hashimi, Andrea Marchant, Miguel Nogueira, Alice Milléquant, Agustin Letelier, Samir Abdul Jabbar Saed, Arman Saribekyan, Wazhma Totakhil, Nirupama Nityanandan, Camille Grandville, Aline Borsari, Luciana Velocci Silva, Ana Dosse. Dramaturgie Michel Nadeau. Direction artistique, Steve Blanchet. Scénographie et accessoires, Ariane Sauvé, avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Kaveh Kishipour, Claude Martin. Peintures et patines, Elena Antsiferova, Xevi Ribas. Lumières, Lucie Bazzo, avec Geoffroy Adragna, Lila Meynard. Musique, Ludovic Bonnier, avec Marie-Jasmine Cocito, Yann Lemêtre, Thérèse Spirli. Images et projection, Pedro Pires. Costumes, Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran. Coiffures et perruques, Jean-Sébastien Merle. Assistante à la mise en scène, Lucile Cocito. Une production Théâtre du Soleil, avec le Festival d’Automne, Robert Lepage, coproduction Printemps des Comédiens (Montpellier), Napoli Teatro Festival. Présentée à la Cartoucherie, à Paris, du 15 décembre 2018 au 17 février 2019.
Le spectacle a été bien accueilli. Malgré la durée — deux heures trente —, malgré des longueurs, malgré que l’on nous ait avertis qu’il s’agissait d’une répétition générale, malgré un début où manifestement les comédiens n’étaient pas à l’aise. Le spectacle a été bien accueilli. Sûrement parce qu’il abordait, pour des Français, un sujet tout à fait inconnu : la tentative d’assimilation des peuples autochtones par la négation de leur culture, ayant entraîné ce sentiment de dépossession qui mène tout droit au désarroi et au malheur. Au cœur du spectacle : ces viols et meurtres sordides de jeunes femmes de la rue, à Vancouver, que l’on a mis trop de temps à élucider.
À sa manière habituelle, Robert Lepage propose un spectacle construit par sketches, où s’entrecroisent trois histoires : une restauratrice de tableaux présente des oeuvres représentant des autochtones (Légaré, Thielcke, Krieghoff) à un commissaire d’exposition dans un musée d’Ottawa ; deux jeunes Français qui s’installent à Vancouver pour devenir, elle, peintre, lui, acteur (thème récurrent de l’artiste qui se cherche chez Lepage); une jeune héroïnomane qui sera assassinée. Si ces histoires finissent par s’imbriquer, la restauratrice, autochtone, s’avérant être la mère de la victime du tueur en série, laquelle sera portraiturée par la jeune Française, force est de constater que la multiplication des tableaux crée un effet de dispersion et nuit au rythme du spectacle. Comment approfondir alors?
Probablement pour aller directement au but et vu, justement, la nécessité de mener de front trois niveaux de récit, les tableaux s’accumulent selon une esthétique propre à un théâtre de l’image et sont à lire au premier degré. Le réalisme de certaines scènes laisse pantois : les billots, et le totem, sciés à la tronçonneuse pour illustrer la dépossession du territoire, ou encore la roulotte répugnante et ses stalles de bois en guise de porcherie, sans oublier les polices montées qui arrachent un bébé à une mère pour le mettre dans les bras d’un prêtre. Robert Lepage nous avait habitués à un peu plus d’inventivité d’autant plus que la mise en place des décors, on pense aux nombreuses tables du poste de police, aux tout aussi nombreuses tables du centre d’injection, prend un temps fou.
La controverse
Bien sûr, le plus intéressant dans tout cela est de faire écho au sort des femmes autochtones assassinées. La scène où le meurtrier évoque la Bible pour se justifier de « débarrasser la terre de déchets » trahit haut et fort le mépris dans lequel certains pouvaient tenir les autochtones. L’émotion, elle, viendra au moment où la mère identifiera les effets personnels de sa fille à la morgue. Ailleurs, l’humour trouvera son chemin avec le personnage du jeune Français prenant des cours de « relâché » de diction pour devenir un parfait américain. Autodérision ?
Finalement, et il fallait s’y attendre après les accusations d’appropriation culturelle lancées contre Robert Lepage et le Théâtre du Soleil, on aura une envolée sur le droit de l’artiste à parler de tous les sujets dans la bouche de la peintre qui, même si elle n’est ni autochtone, ni droguée, ni prostituée peut faire des portraits des jeunes femmes autochtones, droguées, prostituées. C’est la réponse à la controverse de cet été. Bien que l’on fasse entendre aussi la parole des premières intéressées qui disent ne pas vouloir qu’on leur vole aussi leurs larmes après leur avoir volé leur terre, leur famille, leur langue.
Bref, le spectacle cherche l’authenticité, mais pèche malheureusement par sa simplicité. Il faut espérer maintenant un resserrement et du propos et de la forme pour qu’il ait plus d’impact. En passant, on se passerait bien de l’ours…
Kanata
Mise en scène, Robert Lepage. Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, par ordre approximatif d’entrée en scène : Shaghayegh Beheshti, Vincent Mangado, Martial Jacques, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Omid Rawendah, Taher Baig, Ghulam, Aref Bahunar, Jean-Sébastien Merle, Saboor Dilawar, Shafiq Kohi, Maurice Durozier, Seear Kohi, Sayed Ahmad Hashimi, Andrea Marchant, Miguel Nogueira, Alice Milléquant, Agustin Letelier, Samir Abdul Jabbar Saed, Arman Saribekyan, Wazhma Totakhil, Nirupama Nityanandan, Camille Grandville, Aline Borsari, Luciana Velocci Silva, Ana Dosse. Dramaturgie Michel Nadeau. Direction artistique, Steve Blanchet. Scénographie et accessoires, Ariane Sauvé, avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Kaveh Kishipour, Claude Martin. Peintures et patines, Elena Antsiferova, Xevi Ribas. Lumières, Lucie Bazzo, avec Geoffroy Adragna, Lila Meynard. Musique, Ludovic Bonnier, avec Marie-Jasmine Cocito, Yann Lemêtre, Thérèse Spirli. Images et projection, Pedro Pires. Costumes, Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran. Coiffures et perruques, Jean-Sébastien Merle. Assistante à la mise en scène, Lucile Cocito. Une production Théâtre du Soleil, avec le Festival d’Automne, Robert Lepage, coproduction Printemps des Comédiens (Montpellier), Napoli Teatro Festival. Présentée à la Cartoucherie, à Paris, du 15 décembre 2018 au 17 février 2019.