Critiques

Le clone est triste : rire en séries

Le Clone est tristeJosée Lecompte

Déjà, sur papier, l’idée relève de la délectation la plus absurde : parce qu’ils ont asphyxié la planète et trop longtemps occupé toute la place, les baby-boomers ont été exilés sur la lune. Malgré cela, et par crainte qu’ils ne se multiplient grâce au clonage, ce procédé est lui aussi banni. Mais alors, qui est donc ce Gilles Douillette, citoyen au prénom d’un autre âge, qui surgit de nulle part en cette année 2065? Et de qui est-il le clone? Le Club des Marquis, agence d’enquêteurs mondains, réuni dans un salon cossu, propose de résoudre l’énigme dans le but avoué de « tuer le temps » à grands coups de rébus et de charades. Voilà pour la case départ parce que la suite de cette comédie musicale déjantée qui joue à fond la carte du conflit intergénérationnel se complique. 

Au « jardin des hypothèses »

Le clone est tristeJosée Lecompte

L’enquête s’amorce et va mener le spectateur de scène en scène dans une spirale surréaliste, un jeu de pistes qui malmène les codes du genre policier. La pièce abonde en références chères aux baby-boomers : émission de radio d’un Joël Le Bigot déifié et déboulonné simultanément, musée de cire des icônes adulées, Lise Dion, Guy Richer (!), Claude Jasmin ou traquenard infernal (un hommage à Beau Dommage) pour piéger le fugitif Douillette et ses semblables. Dans ce dernier cas et comme de raison, les animatronics de Michel Rivard et de Pierre Bertrand ont tôt fait d’attirer une horde de zombies mécaniques en mal de divertissement. Que viennent faire dans tout ceci ces zombies mécaniques? Et ailleurs ces poubelles intelligentes? Je n’en ai pas la moindre idée et ce n’est pas ce qui importe. Les bons mots fusent et les situations hilarantes s’enchaînent à un rythme effréné : Japonais déguisés en « appropriation culturelle », évocation d’un collectionneur d’objets anciens (laptops et vapoteuses), multiples interrogatoires au « jardin des hypothèses ». 

Les deux coauteurs, Olivier Morin et Guillaume Tremblay, passent au malaxeur Agatha Christie (Dix petits nègres vient tout de suite à l’esprit), Eugène Ionesco, Rock et Belles Oreilles et Shakespeare. Ils échafaudent une histoire ouvertement abracadabrante pour embrouiller les neurones, mais n’oublient pas de signer un texte suave et inventif qui a la prétention de vouloir faire rire et qui y parvient à répétition. Musicalement, le spectacle assène une double dose d’emblématiques refrains d’antan, ironie en prime : Le port d’Amsterdam, Somebody to love, Ton amour a changé ma vie. Vous vouliez savoir comment réinterpréter le mythe de la fontaine de Jouvence, disserter de vie éternelle et d’un éventuel retour des morts-vivants en jouant les Classels le matin et Rachmaninov le soir? Voilà !

Le clone est tristeJosée Lecompte

Au centre de ce délire — en plus d’en signer la mise en scène —, Olivier Morin est magnétique. Dandy onctueux à la diction irréprochable, chef exubérant du Club des Marquis, pathétique Gilles Douillette en quête d’un logement dans un Belœil totalitaire, il relance les débats, chante, danse, gesticule, s’extasie ou se scandalise et livre immanquablement la plaisanterie comme elle se doit d’être servie : à point. Un peu en arrière, mais pas très loin, Guillaume Tremblay, truculent quand il s’exprime en chiac dans la scène acadienne, et Marie-Claude Guérin, versatile, ont tout·es deux leurs moments et leur chanson. Quant au non-jeu (d’acteurs) des deux musiciens, Philippe Prud’homme et Navet Confit, il s’inscrit dans le ton général, décalé et déconcertant. 

Le clone est tristeJosée Lecompte

Le tableau final, en principe statique et muet, est limpide quant au message et enfonce le dernier clou de cette génération qui refuse littéralement de se taire et dont le projet le plus réussi serait son « interminable retraite ». Alors que le titre même de la chanson commande un silencieux recueillement (The Sound of silence, pour ne pas la nommer), ces excédants boomers ne peuvent s’empêcher de fredonner en sourdine. Ne se tairont-ils jamais?

2019 commence fort au Théâtre du Futur et il faudra se rappeler que c’est leur clone triste qui aura établi en début d’année le standard dans le registre comique.

Le clone est triste

Texte : Olivier Morin et Guillaume Tremblay. Mise en scène : Olivier Morin. Distribution : Olivier Morin, Guillaume Tremblay, Marie-Claude Guérin, Navet Confit, Philippe Prud’homme. Concepteurs : Estelle Charron, Marie-Aube St-Amand Duplessis, Navet Confit. Direction technique : Éric LeBrec’h. Production : le Théâtre du Futur. Théâtre Aux Écuries, du 29 janvier au 16 février.  

À propos de

Diplômé de l’Université Laval, de l’UQAM et de l’Université de Montréal, où il a aussi été auxiliaire d’enseignement et agent de recherche, il collabore à JEU depuis 2017.