N’eût été la teinte émeraude de ses étoffes, il s’en faudrait de peu pour qu’au Théâtre du Rideau vert, ces jours-ci, on s’imagine se trouver au Théâtre du Vieux-Terrebonne, où siègent usuellement les trois barons du rire que sont Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. D’emblée, ces comparses semblent tout désignés pour livrer efficacement une comédie sur l’amitié. L’anecdote de départ de la célèbre pièce Art (traduite en 35 langues) consiste en l’achat par un médecin d’un tableau blanc ton sur ton qui n’est évidemment pas sans rappeler le Carré blanc sur fond blanc grâce auquel Kasimir Malevitch a marqué l’histoire en 1918. Pourtant, contrairement à L’Art de la chute, de la compagnie Nuages en pantalon, que présentait le Théâtre de la Licorne en début de saison, le texte de Yasmina Reza ne s’attarde pas à décortiquer les tenants et aboutissants du marché de l’art contemporain. Son véritable sujet est l’amitié, voire la tolérance.
Car la somme considérable (100 000 $) qu’a déboursée Serge pour ce tableau crée un clivage entre lui et son ami Marc, homme pragmatique se targuant de « ne croire en rien », qui ne peut concevoir le sens que peut prendre un tel achat. Il fera appel à leur ami commun, Yvan, qui plutôt que de réconcilier ses compagnons, les irritera tous les deux par son manque de conviction et de caractère. Serge et Marc sont pour leur part extrêmement courroucés par l’attitude de leur vis-à-vis respectif : l’un déplore l’esprit étroit et le manque de culture de l’autre, tandis que ce dernier décrie le snobisme de l’apprenti collectionneur. Mais derrière le jugement se cachent toujours la comparaison et, donc, une remise en question de sa propre existence. Ce qui explique la véhémence avec laquelle les uns condamnent les autres : plus Marc fustige l’excentricité de Serge, plus il valide ses propres choix de vie, ses propres valeurs, voire sa propre valeur. L’amitié peut-elle survivre lorsque les priorités, les croyances morales des individus impliqués évoluent de façon divergente alors qu’il est si simple et réconfortant de se replier au sein d’un groupe, d’un microcosme où règnent l’homogénéité et le consensus?
Si l’autrice de Le Dieu du carnage s’en prend ici à sa cible favorite, soit la bourgeoisie, le questionnement qu’elle sème reste universel : peut-on aimer, ou même simplement respecter l’autre s’il est différent de soi? Quoi qu’il en soit, est-ce vraiment ce que l’on retient d’Art? On saura gré à Marie-France Lambert, qui, pour sa toute première mise en scène, se sera ingéniée à ne pas faire sombrer la pièce dans la bouffonnerie. Toutefois, malgré cette sobriété bienvenue, l’humour sans surprises, reposant largement sur les insultes que s’échangent les protagonistes, occupe une place si prépondérante dans la pièce, qu’il en vient presque à en occulter le reste, dont la fin franchement pessimiste de l’œuvre.
Le texte, qui date de 25 ans, aurait-il vieilli? Se serait-on délecté, depuis, de comédies dramatiques à l’humour plus fin? Ce spectacle ne plaira sans doute pas à tous, malgré ses multiples qualités, dont les éclairages francs et contrastés de Lucie Bazzo et, bien sûr, l’interprétation sans faille des trois mandarins du comique. Leur seule performance suffira à en combler plusieurs, dont les spectateurs et spectatrices friand·es de théâtre d’été traditionnel, qui seront certainement ravi·es de cette oasis estivale en plein cœur de l’hiver.
Texte : Yasmina Reza. Mise en scène : Marie-France Lambert. Scénographie : David Gaucher. Costumes : François St-Aubin. Éclairages : Lucie Bazzo. Musique : Paul Aubry. Accessoires : Julie Measroch. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Avec Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. Présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 2 mars 2019.
N’eût été la teinte émeraude de ses étoffes, il s’en faudrait de peu pour qu’au Théâtre du Rideau vert, ces jours-ci, on s’imagine se trouver au Théâtre du Vieux-Terrebonne, où siègent usuellement les trois barons du rire que sont Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. D’emblée, ces comparses semblent tout désignés pour livrer efficacement une comédie sur l’amitié. L’anecdote de départ de la célèbre pièce Art (traduite en 35 langues) consiste en l’achat par un médecin d’un tableau blanc ton sur ton qui n’est évidemment pas sans rappeler le Carré blanc sur fond blanc grâce auquel Kasimir Malevitch a marqué l’histoire en 1918. Pourtant, contrairement à L’Art de la chute, de la compagnie Nuages en pantalon, que présentait le Théâtre de la Licorne en début de saison, le texte de Yasmina Reza ne s’attarde pas à décortiquer les tenants et aboutissants du marché de l’art contemporain. Son véritable sujet est l’amitié, voire la tolérance.
Car la somme considérable (100 000 $) qu’a déboursée Serge pour ce tableau crée un clivage entre lui et son ami Marc, homme pragmatique se targuant de « ne croire en rien », qui ne peut concevoir le sens que peut prendre un tel achat. Il fera appel à leur ami commun, Yvan, qui plutôt que de réconcilier ses compagnons, les irritera tous les deux par son manque de conviction et de caractère. Serge et Marc sont pour leur part extrêmement courroucés par l’attitude de leur vis-à-vis respectif : l’un déplore l’esprit étroit et le manque de culture de l’autre, tandis que ce dernier décrie le snobisme de l’apprenti collectionneur. Mais derrière le jugement se cachent toujours la comparaison et, donc, une remise en question de sa propre existence. Ce qui explique la véhémence avec laquelle les uns condamnent les autres : plus Marc fustige l’excentricité de Serge, plus il valide ses propres choix de vie, ses propres valeurs, voire sa propre valeur. L’amitié peut-elle survivre lorsque les priorités, les croyances morales des individus impliqués évoluent de façon divergente alors qu’il est si simple et réconfortant de se replier au sein d’un groupe, d’un microcosme où règnent l’homogénéité et le consensus?
Si l’autrice de Le Dieu du carnage s’en prend ici à sa cible favorite, soit la bourgeoisie, le questionnement qu’elle sème reste universel : peut-on aimer, ou même simplement respecter l’autre s’il est différent de soi? Quoi qu’il en soit, est-ce vraiment ce que l’on retient d’Art? On saura gré à Marie-France Lambert, qui, pour sa toute première mise en scène, se sera ingéniée à ne pas faire sombrer la pièce dans la bouffonnerie. Toutefois, malgré cette sobriété bienvenue, l’humour sans surprises, reposant largement sur les insultes que s’échangent les protagonistes, occupe une place si prépondérante dans la pièce, qu’il en vient presque à en occulter le reste, dont la fin franchement pessimiste de l’œuvre.
Le texte, qui date de 25 ans, aurait-il vieilli? Se serait-on délecté, depuis, de comédies dramatiques à l’humour plus fin? Ce spectacle ne plaira sans doute pas à tous, malgré ses multiples qualités, dont les éclairages francs et contrastés de Lucie Bazzo et, bien sûr, l’interprétation sans faille des trois mandarins du comique. Leur seule performance suffira à en combler plusieurs, dont les spectateurs et spectatrices friand·es de théâtre d’été traditionnel, qui seront certainement ravi·es de cette oasis estivale en plein cœur de l’hiver.
Art
Texte : Yasmina Reza. Mise en scène : Marie-France Lambert. Scénographie : David Gaucher. Costumes : François St-Aubin. Éclairages : Lucie Bazzo. Musique : Paul Aubry. Accessoires : Julie Measroch. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Avec Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. Présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 2 mars 2019.