Critiques

Je suis William : L’équilibre parfait

Je suis WilliamFrançois Godard

Récompensé du prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre en 2018, Je suis William est le fruit d’une collaboration entre Rébecca Déraspe et le Théâtre Le Clou. Un peu comme Virginia Woolf l’avait fait avant elle dans l’essai Une chambre à soi, l’autrice imagine que l’œuvre de Shakespeare ait été, en fait, issue du labeur de sa sœur, le tout afin de démontrer qu’il aurait été impossible à l’ère élisabéthaine qu’une femme puisse être dramaturge ou écrivaine. Époque révolue? Sans doute. Dans ce coin-ci du globe en tous cas. Néanmoins, stéréotypes et carcans sociaux n’ont hélas pas tous été éradiqués. C’est à une émancipation totale des filles et des garçons face aux attentes liées à leur genre qu’aspirent explicitement les protagonistes de Je suis William, notamment l’impayable maître de cérémonie slameur, incarné par Renaud Paradis, qui ouvre et qui clôt ce petit trésor de théâtre musical pour préadolescent·es. Une pièce aussi ludique qu’intelligente, aussi sensible qu’engagée.

Je suis WilliamFrançois Godard

On y retrouve Shakeapeare à 13 ans, ses parents, bien campés dans leur rôle respectif de pourvoyeur et de fée du logis, ainsi que sa sœur jumelle Margaret, à qui il est interdit d’apprendre à lire et à écrire, sous peine d’être accusée de sorcellerie, cette fumisterie « qu’ont trouvée les hommes pour conserver leur fausse suprématie », dira elle-même cette jeune fille brillante et franchement douée de la plume. Sa quête et, jusqu’à un certain point, celle de son frère consistera à faire en sorte qu’elle puisse assouvir sa soif d’écriture malgré les diktats qui condamnent cette inclination. 

C’est entre autres grâce à l’humour que la pièce arrive à ne jamais verser dans le didactisme, ni même dans le moralisme. Du jeu de mots à l’anachronisme assumé en passant par la caricature, comme le personnage du père qui enjoint sa fille de lui préparer un bain de pied « salé au sel de ta sueur » et qui lui adresse des phrases aussi odieuses que « Les “mais” dans la bouche des filles sont des sons qui écorchent les oreilles des hommes. », la drôlerie se fait polymorphe et allège le récit. Notons par ailleurs que ce père, ce benêt se vautrant dans ses privilèges masculins, ne serait sans doute pas aussi désopilant s’il n’était interprété, encore une fois, par Renaud Paradis qui cumule avec une indéniable habileté les rôles d’appoint évoluant autour du duo frère-sœur, efficacement livré par Édith Arvaisais et Simon Labelle-Ouimet.

Je suis WilliamFrançois Godard

Si l’autrice de Gamètes a su insuffler une large dose d’humour à son texte, elle ne perd pas pour autant de vue ses enjeux dramatiques. Au cœur de ceux-ci figurent évidemment les iniquités qui caractérisent le sort du jumeau et de la jumelle Shakespeare, l’un ayant accès à l’éducation et étant encouragé à s’accomplir artistiquement, l’autre étant réduite à une vie d’esclave domestique illettrée. Heureusement, Margaret trouvera un allié en son frère qui non seulement sera ébloui par son talent, mais qui l’aidera à le développer en secret. Cette relation, imparfaite comme dans toute bonne fratrie, s’avère touchante et s’inscrit comme une métaphore du rôle que les hommes ont à jouer — et pour plusieurs d’entre eux, veulent jouer — dans la lutte pour l’égalité entre les sexes.

Cet équilibre entre revendication et optimisme, entre drame et comédie, entre informations sur le contexte historique et relecture fantaisiste du passé, entre dialogues et chansons (la musique est jouée en direct sur scène), entre la relative simplicité de la scénographie et des costumes et leur implacable efficacité, entre ludisme et propos socialement engagés, tout cela impose de saluer la collaboration manifestement très fertile entre Rébecca Déraspe et le metteur en scène Sylvain Scott. On ne peut qu’espérer en voir émerger d’autres fruits.

Je suis WilliamFrançois Godard

Quand, à la toute fin du spectacle, on est prêt à bientôt quitter la salle, repu·e de rires, de clins d’œil et de la satisfaction d’avoir vu éclore sous ses yeux le talent et la destinée de deux jeunes artistes (car si Margaret continuera, avec la bénédiction de la reine Élisabeth qui comprend bien le fardeau d’être née femme à cette époque, d’écrire ses pièces de théâtre, William, pour sa part, se découvre un attrait pour le métier d’acteur), le maître de cérémonie demande à l’auditoire qui seront les prochaines femmes à marquer l’histoire. Et c’est à ce moment, du moins c’était le cas lors de la première représentation offerte à la Maison Théâtre — une représentation scolaire, de surcroît —, qu’un nombre considérable de jeunes filles, oubliant la nonchalance inextricablement liée à leur âge, lèvent la main bien haut. Difficile de ne pas être ému·e.

Je suis William

Texte : Rébecca Déraspe. Mise en scène et scénographie : Sylvain Scott. Éclairages : Luc Prairie. Costumes : Linda Brunelle. Musique : Benoît Landry et Chloé Lacasse. Chorégraphies : Monik Vincent. Maquillages : François Cyr. Perruques : Géraldine Courchesne. Avec Édith Arvisais, Simon Labelle-Ouimet, Renaud Paradis et, en alternance, Benoit Landry ou Jean-François Bellefeuille. Présentée par le Théâtre Le Clou à la Maison Théâtre jusqu’au 3 mars.