Claude a disparu. Morte, vivante, enlevée, partie ? Les doutes sont lancés comme des appels sans réponse. Chaque personnage a sa théorie, autant sur ce qui a pu se passer que sur qui elle était. Ce qu’elle aurait voulu, ce qu’elle aurait pensé, ce qu’elle aurait dit, autant d’échos depuis l’absence pour se réconforter, laisser au passé une part de remédiable.
Sœur, colocataire, collègues, ami·es, ex, connaissances, politicienne en mal de couverture médiatique, une pléthore de visages se réunissent à l’occasion d’une vigile. Une rampe, des lampions, un large miroir assoient le décor de retrouvailles tissées au vif des mémoires. L’absence s’y fait un temps fixe, mais plurisubjectif et sensible.
Un portrait de la disparue se dresse par accumulation des regards. N’est-ce pas ce qu’on attend encore des femmes qu’elles n’existent qu’à travers les regards ? La question vise juste, au plexus. Essoufflement, fatigue militante, inégalités quotidiennes, violence conjugale, les témoignages s’accumulent et deux évidences s’en dégagent : le patriarcat, voire le kyriarcat, est tenace ; les oppressions sont quotidiennes.
Dis-moi ce qu’il y a sur ton fil et je te dirai qui tu es
À la trame narrative construite sur les interventions de chacun et de chacune s’ajoutent des apartés. Le tout rend visibles les violences quotidiennes, parfois subtiles, vécues par les femmes dans une perspective intersectionnelle. Le résultat de cet amoncellement donne cependant l’impression de dérouler un fil d’actualités Facebook pour n’en lire que les grands titres.
En un peu moins de deux heures, on aborde une panoplie de sujets féministes : intersectionnalité, feminist cookies, standards de beauté, organes génitaux assignés féminins, brassières, sororité, cyberviolence, accouchement, stéréotypes de genres, victim blaming, sexisme ordinaire, contraception, pression sociale, menstruations, faux alliés, publicités sexistes, culture du viol, ressac, etc. Ça tire dans tous les sens, comme autant d’explosions de parole. C’est réjouissant à la manière d’un feu d’artifice, mais la comparaison ne s’arrête pas aux savoureux éclats de lumières, car à force de vouloir tout dire, les mots s’envolent et s’éteignent.
Par moment, la superposition est réussie. L’oppression se fait formelle, elle se referme sur nous et l’impression de déjà vu devient parlante. À d’autres moments, on se demande où est la frontière entre s’inspirer de la parole de l’autre et se l’approprier. Le rap sur les menstruations, par exemple, qui a manifestement plu au public, m’a rappelé à certains égards la vidéo virale I Got That Flow de Skit Box. Il s’en dégage certainement une esthétique du collage ou du mèmes, avec ses forces et sa contemporanéité, mais aussi, admettons-le, avec ses limites.
Chercher son souffle
La mise en scène est dynamique et l’interprétation juste. Il y a une richesse de sens dans la construction de l’ambiance. Une ambiance de recueillement, qui tend vers l’espace sûr, tout en étant continuellement investi de petites et de grandes agressions qui nous rappellent qu’il n’y a pas de safe spaces dans le quotidien des femmes. Même la voix feutrée de Mathilde Laurier, qui fait la musique sur scène, nous joue des tours à l’entrée en fredonnant un medley de chansons sexistes avec une douceur qui dépasse l’oxymore. Les flashs de lumière violents en pleine face, récurrents et impromptus, sont quant à eux un peu trop littéraux. Les insertions vidéos apportent une touche fantomatique très réussie.
C’est, au final, une pièce pleine de belles trouvailles et de questions bien vivantes, dans une écriture éclatée et forte. On en ressort toutefois avec une sensation d’épuisement, comme si on avait couru tout le long de la pièce, aux côtés de cette image virtuelle, à force de revivre d’un seul souffle nos blessures de tous les jours.
Texte et mise en scène : Marie-Ève Milot. Texte et interprétation : Marie-Claude St-Laurent. Interprétation : Jonathan Caron, Maxime D.-Pomerleau, Maxime De Cotret, Myriam De Verger, Pascale Drevillon, Soleil Launière, Sarah Laurendeau et Mathilde Laurier. Musique sur scène : Mathilde Laurier. Assistance à la mise en scène et régie : Josianne Dulong-Savignac. Scénographie : Marie-Pier Fortier. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Martin Sirois. Assistance aux éclairages : Chantal Labonté. Vidéo et projection Caroline St-Laurent, Mélanie Martin. Direction technique et de production : Éric Le Brec’h. Une création du Théâtre de l’Affamée, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui de 5 au 28 mars.
Claude a disparu. Morte, vivante, enlevée, partie ? Les doutes sont lancés comme des appels sans réponse. Chaque personnage a sa théorie, autant sur ce qui a pu se passer que sur qui elle était. Ce qu’elle aurait voulu, ce qu’elle aurait pensé, ce qu’elle aurait dit, autant d’échos depuis l’absence pour se réconforter, laisser au passé une part de remédiable.
Sœur, colocataire, collègues, ami·es, ex, connaissances, politicienne en mal de couverture médiatique, une pléthore de visages se réunissent à l’occasion d’une vigile. Une rampe, des lampions, un large miroir assoient le décor de retrouvailles tissées au vif des mémoires. L’absence s’y fait un temps fixe, mais plurisubjectif et sensible.
Un portrait de la disparue se dresse par accumulation des regards. N’est-ce pas ce qu’on attend encore des femmes qu’elles n’existent qu’à travers les regards ? La question vise juste, au plexus. Essoufflement, fatigue militante, inégalités quotidiennes, violence conjugale, les témoignages s’accumulent et deux évidences s’en dégagent : le patriarcat, voire le kyriarcat, est tenace ; les oppressions sont quotidiennes.
Dis-moi ce qu’il y a sur ton fil et je te dirai qui tu es
À la trame narrative construite sur les interventions de chacun et de chacune s’ajoutent des apartés. Le tout rend visibles les violences quotidiennes, parfois subtiles, vécues par les femmes dans une perspective intersectionnelle. Le résultat de cet amoncellement donne cependant l’impression de dérouler un fil d’actualités Facebook pour n’en lire que les grands titres.
En un peu moins de deux heures, on aborde une panoplie de sujets féministes : intersectionnalité, feminist cookies, standards de beauté, organes génitaux assignés féminins, brassières, sororité, cyberviolence, accouchement, stéréotypes de genres, victim blaming, sexisme ordinaire, contraception, pression sociale, menstruations, faux alliés, publicités sexistes, culture du viol, ressac, etc. Ça tire dans tous les sens, comme autant d’explosions de parole. C’est réjouissant à la manière d’un feu d’artifice, mais la comparaison ne s’arrête pas aux savoureux éclats de lumières, car à force de vouloir tout dire, les mots s’envolent et s’éteignent.
Par moment, la superposition est réussie. L’oppression se fait formelle, elle se referme sur nous et l’impression de déjà vu devient parlante. À d’autres moments, on se demande où est la frontière entre s’inspirer de la parole de l’autre et se l’approprier. Le rap sur les menstruations, par exemple, qui a manifestement plu au public, m’a rappelé à certains égards la vidéo virale I Got That Flow de Skit Box. Il s’en dégage certainement une esthétique du collage ou du mèmes, avec ses forces et sa contemporanéité, mais aussi, admettons-le, avec ses limites.
Chercher son souffle
La mise en scène est dynamique et l’interprétation juste. Il y a une richesse de sens dans la construction de l’ambiance. Une ambiance de recueillement, qui tend vers l’espace sûr, tout en étant continuellement investi de petites et de grandes agressions qui nous rappellent qu’il n’y a pas de safe spaces dans le quotidien des femmes. Même la voix feutrée de Mathilde Laurier, qui fait la musique sur scène, nous joue des tours à l’entrée en fredonnant un medley de chansons sexistes avec une douceur qui dépasse l’oxymore. Les flashs de lumière violents en pleine face, récurrents et impromptus, sont quant à eux un peu trop littéraux. Les insertions vidéos apportent une touche fantomatique très réussie.
C’est, au final, une pièce pleine de belles trouvailles et de questions bien vivantes, dans une écriture éclatée et forte. On en ressort toutefois avec une sensation d’épuisement, comme si on avait couru tout le long de la pièce, aux côtés de cette image virtuelle, à force de revivre d’un seul souffle nos blessures de tous les jours.
Guérilla de l’ordinaire
Texte et mise en scène : Marie-Ève Milot. Texte et interprétation : Marie-Claude St-Laurent. Interprétation : Jonathan Caron, Maxime D.-Pomerleau, Maxime De Cotret, Myriam De Verger, Pascale Drevillon, Soleil Launière, Sarah Laurendeau et Mathilde Laurier. Musique sur scène : Mathilde Laurier. Assistance à la mise en scène et régie : Josianne Dulong-Savignac. Scénographie : Marie-Pier Fortier. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Martin Sirois. Assistance aux éclairages : Chantal Labonté. Vidéo et projection Caroline St-Laurent, Mélanie Martin. Direction technique et de production : Éric Le Brec’h. Une création du Théâtre de l’Affamée, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui de 5 au 28 mars.