L’immigration et la question identitaire ravivée par la rencontre parfois brutale des cultures sont au cœur du théâtre Sortie de secours. Depuis l’exceptionnel « Triptyque de fiction biographique acadien », dont Les trois exils de Christian E. acclamé par la critique, Philippe Soldevila n’a cessé de s’interroger sur les mutations individuelles et sociales qu’engendre le flux migratoire contemporain. Pour Maria et les vies rêvées, la collaboration avec Agnès Zacharie allait de soi. Les deux enfants d’immigrants soulèvent dans leur théâtre respectif les mêmes préoccupations, l’une par le conte et la poésie, l’autre par le jeu sur la frontière entre la réalité et la fiction.
La production s’articule sur trois axes entrecroisés qui lentement forment la nouvelle spirale d’ADN d’une société en devenir. D’abord, l’ébranlement existentiel (porté ici par Éric Leblanc) concerne la valeur du théâtre et sa capacité à changer le monde. Le spectacle et les autres protagonistes répondront à ce questionnement. Ensuite, l’ébranlement social vient de la vie de madame Marilda Carvalho ; jeune étudiante impliquée dans les manifestations contre la dictature brésilienne dans les années 70, puis diplômée, bientôt mère de deux enfants, elle décide de refaire sa vie au Canada. Enfin, le dernier axe, celui de la fiction, se déploie sur la scène par les comédien·nes à partir du témoignage en direct de Marilda, devenue Maria pour le spectacle.
Le réel exemplaire et la fiction réaliste
Ces trois axes s’enchevêtrent avec fluidité pour notre plus grand plaisir. Les personnages clefs de la vie de Maria apparaissent pour une brève intervention puis se fondent dans les suivants au gré d’un châle, d’une fleur aux cheveux, d’une chaise, alors que la caméra scrute leur visage réel en balayant des photos sorties d’une boîte à souvenirs. Il y a le mari, la tante mythique, l’oncle marin, les sœurs détestables. Mais il y a aussi la charge de 3000 policiers contre les 2000 manifestants à l’université de São Paulo en 1977, la terreur, l’arrivée au Canada, la difficile intégration, la crise au bord de la démence.
Le théâtre social d’Augusto Boal (décédé en 2009) est un puissant attracteur pour Marilda Carvahlo, qui a travaillé avec le fondateur du Théâtre de l’opprimé, pour Agnès Zacharie, qui parcourt les pays et les villes avec son bus pour un théâtre de proximité, et pour Philippe Soldevila, qui veut intégrer le non-théâtre au théâtre pour marquer son engagement social. Le récit factuel de Marilda-Maria et sa mise en scène par les très versatiles comédien·nes se relancent de part et d’autre d’une frontière poreuse pour tracer un portrait poignant de l’immigrante. D’autre part, le questionnement sur le théâtre et la référence à Boal ouvrent une brèche justement sur la fonction sociale du théâtre.
Avec cette stratégie, Soldevila insère une dimension émotive dans le témoignage ; le récit incarné réveille chez Maria les émotions qu’elle a vécues dans sa vie au moment des événements. Elle est à la fois narratrice et témoin de sa propre histoire. Belle trouvaille ! Marilda se voit ainsi offrir en cadeau la relecture de sa vie dans une complicité de tous les instants. Les dialogues réels avec son compatriote, le comédien Henri-Louis Chalem, se déroulent spontanément dans leur langue commune, puis basculent dans la véracité des personnages fictifs. La pièce, parsemée de subterfuges et de petits riens technologiques, repose sur l’amour. Il y a une affection palpable de tout·es envers l’extraordinaire personnage de Maria. Le Boal théorique, malgré quelque longueur, se manifeste justement dans ce va-et-vient entre la vie quotidienne et son esthétisation sur la scène. Les comédien·nes et l’immigrante participent également à la mise en place d’un théâtre rafraîchissant où les effets de distanciation (à la Brecht) en appellent autant à l’intelligence qu’à l’émotion pure. Chapeau !
Comme activités satellites, le public est invité à visionner quatre documentaires sur la vie des immigrant·es dans le foyer du périscope, Chez Roland, et dans l’autobus jaune de Ubus théâtre stationné à l’entrée. Dans un environnement sonore de Pascal Robitaille, on peut également voir la sculpture de Mathieu Gotti, Appeler l’espoir un mirage à la fois.
Texte, idée originale, mise en scène : Philippe Soldevila. Inspiration biographique et narratrice : Marilda Carvalho. Conseillère artistique : Agnès Zacharie Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Distribution : Marilda Carvalho, Henri Louis Chalem, Érika Gagnon, Éric Leblanc et Agnès Zacharie. Décor et lumière : Christian Fontaine. Costumes : Erica Schmitz. Musique et environnement sonore : Pascal Robitaille. Interprétations et compositions musicales sur scène : Henri Louis Chalem. Conception vidéo : Henri Louis Chalem et Marc Doucet. Codirection artistique » Philippe Soldevila et Agnès Zacharie. Coproduction : Théâtre Sortie de Secours et Ubus Théâtre. Présenté au Périscope jusqu’au 30 mars.
L’immigration et la question identitaire ravivée par la rencontre parfois brutale des cultures sont au cœur du théâtre Sortie de secours. Depuis l’exceptionnel « Triptyque de fiction biographique acadien », dont Les trois exils de Christian E. acclamé par la critique, Philippe Soldevila n’a cessé de s’interroger sur les mutations individuelles et sociales qu’engendre le flux migratoire contemporain. Pour Maria et les vies rêvées, la collaboration avec Agnès Zacharie allait de soi. Les deux enfants d’immigrants soulèvent dans leur théâtre respectif les mêmes préoccupations, l’une par le conte et la poésie, l’autre par le jeu sur la frontière entre la réalité et la fiction.
La production s’articule sur trois axes entrecroisés qui lentement forment la nouvelle spirale d’ADN d’une société en devenir. D’abord, l’ébranlement existentiel (porté ici par Éric Leblanc) concerne la valeur du théâtre et sa capacité à changer le monde. Le spectacle et les autres protagonistes répondront à ce questionnement. Ensuite, l’ébranlement social vient de la vie de madame Marilda Carvalho ; jeune étudiante impliquée dans les manifestations contre la dictature brésilienne dans les années 70, puis diplômée, bientôt mère de deux enfants, elle décide de refaire sa vie au Canada. Enfin, le dernier axe, celui de la fiction, se déploie sur la scène par les comédien·nes à partir du témoignage en direct de Marilda, devenue Maria pour le spectacle.
Le réel exemplaire et la fiction réaliste
Ces trois axes s’enchevêtrent avec fluidité pour notre plus grand plaisir. Les personnages clefs de la vie de Maria apparaissent pour une brève intervention puis se fondent dans les suivants au gré d’un châle, d’une fleur aux cheveux, d’une chaise, alors que la caméra scrute leur visage réel en balayant des photos sorties d’une boîte à souvenirs. Il y a le mari, la tante mythique, l’oncle marin, les sœurs détestables. Mais il y a aussi la charge de 3000 policiers contre les 2000 manifestants à l’université de São Paulo en 1977, la terreur, l’arrivée au Canada, la difficile intégration, la crise au bord de la démence.
Le théâtre social d’Augusto Boal (décédé en 2009) est un puissant attracteur pour Marilda Carvahlo, qui a travaillé avec le fondateur du Théâtre de l’opprimé, pour Agnès Zacharie, qui parcourt les pays et les villes avec son bus pour un théâtre de proximité, et pour Philippe Soldevila, qui veut intégrer le non-théâtre au théâtre pour marquer son engagement social. Le récit factuel de Marilda-Maria et sa mise en scène par les très versatiles comédien·nes se relancent de part et d’autre d’une frontière poreuse pour tracer un portrait poignant de l’immigrante. D’autre part, le questionnement sur le théâtre et la référence à Boal ouvrent une brèche justement sur la fonction sociale du théâtre.
Avec cette stratégie, Soldevila insère une dimension émotive dans le témoignage ; le récit incarné réveille chez Maria les émotions qu’elle a vécues dans sa vie au moment des événements. Elle est à la fois narratrice et témoin de sa propre histoire. Belle trouvaille ! Marilda se voit ainsi offrir en cadeau la relecture de sa vie dans une complicité de tous les instants. Les dialogues réels avec son compatriote, le comédien Henri-Louis Chalem, se déroulent spontanément dans leur langue commune, puis basculent dans la véracité des personnages fictifs. La pièce, parsemée de subterfuges et de petits riens technologiques, repose sur l’amour. Il y a une affection palpable de tout·es envers l’extraordinaire personnage de Maria. Le Boal théorique, malgré quelque longueur, se manifeste justement dans ce va-et-vient entre la vie quotidienne et son esthétisation sur la scène. Les comédien·nes et l’immigrante participent également à la mise en place d’un théâtre rafraîchissant où les effets de distanciation (à la Brecht) en appellent autant à l’intelligence qu’à l’émotion pure. Chapeau !
Comme activités satellites, le public est invité à visionner quatre documentaires sur la vie des immigrant·es dans le foyer du périscope, Chez Roland, et dans l’autobus jaune de Ubus théâtre stationné à l’entrée. Dans un environnement sonore de Pascal Robitaille, on peut également voir la sculpture de Mathieu Gotti, Appeler l’espoir un mirage à la fois.
Maria et les vies rêvées
Texte, idée originale, mise en scène : Philippe Soldevila. Inspiration biographique et narratrice : Marilda Carvalho. Conseillère artistique : Agnès Zacharie Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Distribution : Marilda Carvalho, Henri Louis Chalem, Érika Gagnon, Éric Leblanc et Agnès Zacharie. Décor et lumière : Christian Fontaine. Costumes : Erica Schmitz. Musique et environnement sonore : Pascal Robitaille. Interprétations et compositions musicales sur scène : Henri Louis Chalem. Conception vidéo : Henri Louis Chalem et Marc Doucet. Codirection artistique » Philippe Soldevila et Agnès Zacharie. Coproduction : Théâtre Sortie de Secours et Ubus Théâtre. Présenté au Périscope jusqu’au 30 mars.