Critiques

Britannicus : L’avènement d’un tyran cruel

Britannicus© Yves Renaud

En l’an 55, Néron règne sur Rome, sous la régence officieuse de sa mère. Agrippine l’a sournoisement porté au pouvoir à la mort de Claude, au détriment de Britannicus, l’héritier légitime du trône. Elle soutient désormais les aspirations de Britannicus et favorise son union avec Junie afin de contrer l’autorité croissante du jeune empereur. Aspirant à s’émanciper de la tutelle maternelle et à prévenir la périlleuse alliance de son rival, Néron fait enlever Junie et la séquestre dans son palais. Foudroyé par sa grâce, il en tombe amoureux. Il envisage alors de répudier Octavie et d’assassiner Britannicus pour épouser Junie. Ses conseillers, Burrhus et Narcisse, ainsi qu’Agrippine exercent des influences antagoniques. Écartelé entre le devoir moral, l’ambition politique et le désir passionnel, Néron tergiverse.

Britannicus© Yves Renaud

Une scénographie sobre

Si cette production du Théâtre du Nouveau Monde respecte la forme et l’esprit du texte, ses choix scénographiques manquent d’audace. À peine esquissé, le décor se borne à quelques accessoires. Une toile dorée polymorphe, suspendue et amovible, sert successivement de luminaire, de cloison et d’écran. Les éclairages riches, aux teintes orangées, produisent une atmosphère crépusculaire, tandis que les nappes électroacoustiques maintiennent une tension oppressante. Quelques fantaisies animent une scénographie autrement fade et austère. L’usage de la vidéo apporte une touche d’étrangeté, bien que l’effet de ventriloquie paraisse superflu. La danse psychédélique qui symbolise la réconciliation (fallacieuse) des frères ennemis jure avec l’ensemble. L’ultime entretien de Britannicus et de Junie, en retrait d’un banquet festif, ménage un intéressant suspense tragique. Les déplacements des personnages, inspirés de la danse, paraissent erratiques.

Britannicus© Yves Renaud

Des personnages faibles et cruels

La pièce est portée par une excellente distribution. Francis Ducharme campe un Néron fidèle à l’esthétique racinienne : non pas noble et héroïque, mais veule, indécis et mesquin, il déchoit graduellement vers la cruauté. L’acteur ajoute une touche sensuelle et provocatrice au héros, mais ses simagrées et pleurnichements déparent la dignité tragique. Le « monstre naissant » est hélas dépourvu d’intériorité psychique : ses transports paraissent factices, ses gestes compassés ; la célèbre tirade de la révélation amoureuse (acte II, scène 2) manque de conviction. Éric Robidoux incarne un Britannicus plaintif et désorienté ; il peine à trouver une voix, une gestuelle justes. Ce personnage partagé entre le ressentiment pour l’empereur et l’indifférence envers l’empire, entre une indignation véhémente et un pessimisme résigné, est ici réduit à un être candide, malheureux et apathique ; la dimension « guerrière » voulue par le metteur en scène ne ressort pas. Sylvie Drapeau interprète une Agrippine froide, sévère et énergique; elle brille par sa maîtrise, à quelques nuances près. Au sommet de son art, Marc Béland campe un Narcisse mielleux et perfide, qui se meut avec aisance dans les inextricables conflits politiques. Ces deux acteurs se démarquent nettement. Évelyne Rompré, Maxim Gaudette et Marie-France Lambert défendent honnêtement les rôles de Junie, de Burrhus et d’Albine, mais ils manquent d’aisance dans le registre tragique.

Britannicus© Yves Renaud

L’écueil de la déclamation

Dans l’ensemble, la performance bute sur la nature déclamatoire de la tragédie racinienne. Le rythme soutenu des répliques ne ménage pas suffisamment d’espace aux silences expressifs, aux nuances de l’action ; les diérèses sont parfois malmenées. L’articulation déficiente de la déclamation et de l’action fige cette dernière en une pure lamentation, ce qui plombe la tension. La « tristesse majestueuse » fait défaut à plusieurs personnages, notamment Britannicus et Néron. Entre la « sensualité du texte » enfouie sous les figures rhétoriques et la volonté d’« érotiser Racine » manifestée par Florent Siaud, toute une palette de nuances mériterait d’être exploitée. L’intention érotique ne transparaît guère, sinon en des touches éparses. Interprétés au sens propre, les « caresses » et « embrassements » suggèrent une relation incestueuse, mais cette idée ne fait qu’affleurer. Si cette performance reste assez fidèle aux codes de la tragédie, elle ne jette aucun éclairage original sur l’œuvre. Le résultat n’en est pas moins réussi dans l’ensemble, surtout grâce à la qualité de l’interprétation, qui soutient la comparaison avec les productions récentes, notamment celle de la Comédie-Française signée Stéphane Braunschweig. Quant à l’« élargissement tragique » du sujet, à l’effet d’« ébranlement » sur le spectateur que recherchait le metteur en scène, il ne survient malheureusement pas. Cette mouture de Britannicus mérite néanmoins d’être vue.

Britannicus

Texte : Jean Racine. Mise en scène : Florent Siaud. Distribution : Marc Béland, Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert, Éric Robidoux, Évelyne Rompré. Assistance scénique : Alexandra Sutto. Conseillère dramaturgique : Évelyne de la Chenelière. Décor : Romain Fabre. Éclairages : Nicolas Descoteaux. Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz. Son : Julien Éclancher. Vidéo : David B. Ricard. Maquillage : Florence Cornet. Coiffure et accessoires : Rachel Tremblay. Une production du Théâtre du Nouveau Monde à l’affiche du 26 mars au 20 avril 2019.