L’auteur britannique Dennis Kelly s’inscrit dans la lignée du mouvement In-Yer-Face qui ébranla la scène londonienne des années 90 avec, comme chef de file, Sarah Kane. Ce courant s’est affirmé en réaction au théâtre bourgeois, politiquement correct et ennuyant des années 80. La première version de sa pièce Osama the hero est créée en 2004, mais le metteur en scène Reynald Robinson a choisi de monter la version de 2005 augmentée d’un troisième acte. L’auteur respecte en tous points les techniques dramaturgiques du théâtre In-Yer-Face : une langue qui souligne la crudité, l’intensité et les insultes; les images montrent des situations d’inconfort, de vulnérabilité ainsi que des scènes de souffrance extrême et enfin, la durée de la pièce qui n’excède pas 90 minutes permet d’éviter un entracte.
Rappelons d’emblée que Mon héros Oussama a été écrite au lendemain du 11 septembre 2001, alors que le chef du réseau terroriste Al-Qaïda, déclaré ennemi numéro un des États-Unis, est traqué partout en Afghanistan et au Pakistan. Le sujet brûlant et le titre provocateur justifient la présence de policiers lors de la création de la pièce au Young Vic. Quinze ans plus tard, Oussama Ben Laden, capturé et tué par les forces américaines, ne fait plus la manchette, mais l’islamisation et la radicalisation de jeunes occidentaux et la présence d’attentats terroristes font que cette pièce ravive des questionnements et des inquiétudes très actuels.
En résumé, cette pièce raconte l’histoire de Gary (Gabriel Szabo), un jeune de 17 ans qui se cherche, qui détonne par ses propos et qui dérange. Suite à un exposé en classe, où il glorifie le chef des talibans, on l’associe immédiatement aux actes de vandalisme qui se répètent dans le quartier. Ses trois accusateurs et accusatrices, dont Louise (Anne-Justine Guestier) et Francis (Gabriel Simard), un jeune couple aux rapports conflictuels, décident de se faire justice en le séquestrant dans le garage récemment incendié de Mark (Éric Cabana), la cinquantaine, arborant une coupe de cheveux militaire et entretenant une relation ambiguë avec la toute jeune Manu (Elisabeth Smith). La vengeance n’est pas douce et le présumé coupable se transforme en victime avant même d’avoir eu son procès. N’est-ce pas ce qui arrive trop souvent sur les réseaux sociaux? On n’hésite pas à juger et à condamner sans avoir pris soin de bien s’informer au préalable. Un gros titre, une fausse nouvelle, une rumeur non fondée, nous suffisent pour démolir cruellement le premier ou la première venu·e. C’est exactement ce que soulève Mon héros Oussama : où se trouve la réelle violence? Qui est le ou la plus à craindre?
Le rythme des deux premiers actes est effréné, les répliques se chevauchent, les dialogues se croisent habilement, témoignant d’une structure dramatique solidement maîtrisée par Dennis Kelly. Nous ne pourrions en dire autant de la mise en scène de Reynald Robinson. Quand le texte est débité à grande vitesse, il ne laisse aucune place à la nuance pour les interprètes ni au public pour entrer dans l’univers qu’on tente de recréer sur scène.
La prédominance du texte
Les personnages et les situations décrites par l’auteur sont complexes. Ils provoquent, à l’instar de la tragédie, la catharsis, en inspirant « la terreur et la pitié ». Une fine direction d’acteur nous aurait révélé les multiples dimensions de ces personnages d’une extrême complexité construits par Kelly. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’interprétation de Gabriel Szabo attire notre sympathie envers Gary, mais ne nous laisse pas voir sa dangerosité. Quand il dit : « Je pense à devenir un terroriste », ça ne fonctionne pas. De même pour l’ambiguïté perverse de Mark et l’innocence de Manu, inconsciente de l’attraction sexuelle qu’elle représente pour lui. On peut toutefois déceler le caractère malsain du personnage interprété par Gabriel Simard, mais nous ne percevons pas la terreur (ou le ras-le-bol) de sa partenaire.
Les choix esthétiques du metteur en scène ne contribuent aucunement à mettre en valeur le jeu des interprètes. Dans l’exiguïté de l’espace scénique de cette salle, le set de cuisine peint en noir cantonne le jeu des acteurs à une proposition réaliste qui sied mal au texte. Les éclairages souvent insuffisants ajoutent à la lourdeur d’une situation déjà noire.
Ce n’est pas un hasard si plusieurs représentant·es de premier plan du mouvement In-Yer-Face sont des auteurs et autrices. C’est le texte qui est au premier plan. Or, si l’auteur propose une vision terrifiante du monde, il semble que le metteur en scène ne s’appuie que sur la seule puissance du texte, sans nous en offrir une lecture artistiquement satisfaisante.
Texte : Dennis Kelly. Traduction : Jean-François Rochon. Mise en scène : Reynald Robinson. Interprétation : Éric Cabana, Anne-Justine Guestier, Gabriel Simard, Elisabeth Smith, Gabriel Szabo. Assistance à la mise en scène : Charlie Cohen. Éclairages : Hubert Leduc-Villeneuve. Scénographie : Reynald Robinson et Noémi Paquette. Costumes : Noémi Paquette. Régie : Emmanuelle Brousseau. Une production du Collectif Les Fauves. À la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 20 avril 2019.
L’auteur britannique Dennis Kelly s’inscrit dans la lignée du mouvement In-Yer-Face qui ébranla la scène londonienne des années 90 avec, comme chef de file, Sarah Kane. Ce courant s’est affirmé en réaction au théâtre bourgeois, politiquement correct et ennuyant des années 80. La première version de sa pièce Osama the hero est créée en 2004, mais le metteur en scène Reynald Robinson a choisi de monter la version de 2005 augmentée d’un troisième acte. L’auteur respecte en tous points les techniques dramaturgiques du théâtre In-Yer-Face : une langue qui souligne la crudité, l’intensité et les insultes; les images montrent des situations d’inconfort, de vulnérabilité ainsi que des scènes de souffrance extrême et enfin, la durée de la pièce qui n’excède pas 90 minutes permet d’éviter un entracte.
Rappelons d’emblée que Mon héros Oussama a été écrite au lendemain du 11 septembre 2001, alors que le chef du réseau terroriste Al-Qaïda, déclaré ennemi numéro un des États-Unis, est traqué partout en Afghanistan et au Pakistan. Le sujet brûlant et le titre provocateur justifient la présence de policiers lors de la création de la pièce au Young Vic. Quinze ans plus tard, Oussama Ben Laden, capturé et tué par les forces américaines, ne fait plus la manchette, mais l’islamisation et la radicalisation de jeunes occidentaux et la présence d’attentats terroristes font que cette pièce ravive des questionnements et des inquiétudes très actuels.
En résumé, cette pièce raconte l’histoire de Gary (Gabriel Szabo), un jeune de 17 ans qui se cherche, qui détonne par ses propos et qui dérange. Suite à un exposé en classe, où il glorifie le chef des talibans, on l’associe immédiatement aux actes de vandalisme qui se répètent dans le quartier. Ses trois accusateurs et accusatrices, dont Louise (Anne-Justine Guestier) et Francis (Gabriel Simard), un jeune couple aux rapports conflictuels, décident de se faire justice en le séquestrant dans le garage récemment incendié de Mark (Éric Cabana), la cinquantaine, arborant une coupe de cheveux militaire et entretenant une relation ambiguë avec la toute jeune Manu (Elisabeth Smith). La vengeance n’est pas douce et le présumé coupable se transforme en victime avant même d’avoir eu son procès. N’est-ce pas ce qui arrive trop souvent sur les réseaux sociaux? On n’hésite pas à juger et à condamner sans avoir pris soin de bien s’informer au préalable. Un gros titre, une fausse nouvelle, une rumeur non fondée, nous suffisent pour démolir cruellement le premier ou la première venu·e. C’est exactement ce que soulève Mon héros Oussama : où se trouve la réelle violence? Qui est le ou la plus à craindre?
Le rythme des deux premiers actes est effréné, les répliques se chevauchent, les dialogues se croisent habilement, témoignant d’une structure dramatique solidement maîtrisée par Dennis Kelly. Nous ne pourrions en dire autant de la mise en scène de Reynald Robinson. Quand le texte est débité à grande vitesse, il ne laisse aucune place à la nuance pour les interprètes ni au public pour entrer dans l’univers qu’on tente de recréer sur scène.
La prédominance du texte
Les personnages et les situations décrites par l’auteur sont complexes. Ils provoquent, à l’instar de la tragédie, la catharsis, en inspirant « la terreur et la pitié ». Une fine direction d’acteur nous aurait révélé les multiples dimensions de ces personnages d’une extrême complexité construits par Kelly. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’interprétation de Gabriel Szabo attire notre sympathie envers Gary, mais ne nous laisse pas voir sa dangerosité. Quand il dit : « Je pense à devenir un terroriste », ça ne fonctionne pas. De même pour l’ambiguïté perverse de Mark et l’innocence de Manu, inconsciente de l’attraction sexuelle qu’elle représente pour lui. On peut toutefois déceler le caractère malsain du personnage interprété par Gabriel Simard, mais nous ne percevons pas la terreur (ou le ras-le-bol) de sa partenaire.
Les choix esthétiques du metteur en scène ne contribuent aucunement à mettre en valeur le jeu des interprètes. Dans l’exiguïté de l’espace scénique de cette salle, le set de cuisine peint en noir cantonne le jeu des acteurs à une proposition réaliste qui sied mal au texte. Les éclairages souvent insuffisants ajoutent à la lourdeur d’une situation déjà noire.
Ce n’est pas un hasard si plusieurs représentant·es de premier plan du mouvement In-Yer-Face sont des auteurs et autrices. C’est le texte qui est au premier plan. Or, si l’auteur propose une vision terrifiante du monde, il semble que le metteur en scène ne s’appuie que sur la seule puissance du texte, sans nous en offrir une lecture artistiquement satisfaisante.
Mon héros Oussama
Texte : Dennis Kelly. Traduction : Jean-François Rochon. Mise en scène : Reynald Robinson. Interprétation : Éric Cabana, Anne-Justine Guestier, Gabriel Simard, Elisabeth Smith, Gabriel Szabo. Assistance à la mise en scène : Charlie Cohen. Éclairages : Hubert Leduc-Villeneuve. Scénographie : Reynald Robinson et Noémi Paquette. Costumes : Noémi Paquette. Régie : Emmanuelle Brousseau. Une production du Collectif Les Fauves. À la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 20 avril 2019.