Critiques

La Face cachée de la Lune : grand comme le ciel

La face cachée de la luneDavid Leclerc

Créée au Théâtre du Trident, à Québec en 2000, La Face cachée de la Lune a depuis fait le tour du monde. D’abord interprétée par Robert Lepage, elle a été jouée plus de 300 fois par Yves Jacques, en français et en anglais. C’est dire si l’acteur possède parfaitement son rôle et ses multiples personnages !

La face cachée de la luneDavid Leclerc

Lepage est particulièrement habile à mêler la grande histoire à celle de l’intime, le personnel à l’universel. Entre chaos et cosmos, il met en parallèle la rivalité des Russes et des Américains dans la conquête de l’espace, et la réconciliation impossible de deux frères, aussi différents l’un de l’autre que la Lune l’est du Soleil. 

Philippe, l’aîné, est féru de science et d’astronomie. Son héros, c’est le cosmonaute Alexeï Leonov, le premier « à prendre une marche dans l’espace », en 1965. André est présentateur de la météo à la télévision — une autre façon d’avoir la tête dans les nuages, mais de façon très terre à terre ! Menteur, frimeur, exubérant, c’est de son frère le portrait tout inversé. Mais on pourrait aussi voir en eux deux facettes d’une même personnalité, l’un étant le miroir déformant de l’autre, comme la Lune l’est de la Terre. La mort de leur mère les réunit brièvement, alors que tout les sépare. Les souvenirs d’enfance, les blessures, les humiliations laissent, comme les traces de météorite, des cicatrices à l’âme. 

La face cachée de la luneDavid Leclerc

Que dire d’Yves Jacques qui n’aurait été dit ? Comédien virtuose dans ce solo de deux heures et dix minutes, il se fond en chaque personnage avec une aisance et une générosité extraordinaires. Jamais (et la tentation serait grande), il ne tombe dans le numéro ou la prouesse d’acteur. Et pourtant, c’en est une ! Tout simplement, il a l’immense humilité et l’élégance de jouer le texte et seulement le texte. Mieux que cela : il est le texte. Les mots lui passent à travers le corps, on ne sait plus s’il les habite ou s’il est habité par eux. 

La face cachée de la luneDavid Leclerc

La scénographie cinématographique, très efficace, est faite d’une longue paroi coulissante qui laisse s’ouvrir des portes, comme autant de passages vers un autre monde, celui de l’envers du décor, de la face cachée du spectacle. Outre la pure beauté esthétique qui en soi est déjà bouleversante, on vit devant La Face cachée de la Lune un éventail d’émotions, passant de moments très drôles, comme la dispute autour du poisson rouge, nommé Beethoven, ou les usages variés que l’on peut faire d’une planche à repasser, à des scènes poignantes, comme celle où le fils évoque la fin de vie de sa mère, en découvrant dans sa garde-robe une paire de souliers verts… Tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité dans ce spectacle complexe, avec des projections vidéos, des jeux de miroirs créant des images d’une infinie poésie (notamment la magnifique scène finale, où l’acteur semble se mouvoir en apesanteur), de la manipulation d’objets et de marionnettes, ainsi que de multiples changements de décor. L’illusion est parfaite, et l’équipe technique aussi rodée que l’interprète ! 

Bref, en un mot comme en 500 : magnifique ! (Mais on le savait déjà…)

La Face cachée de la Lune

Conception et mise en scène : Robert Lepage. Interprétation : Yves Jacques. Marionnettiste : Éric Leblanc. Collaboration artistique : Peder Bjurman. Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt. Musique : Laurie Anderson. Marionnettes : Sylvie Courbron et Pierre Robitaille. Une production Ex Machina, présentée au Duceppe jusqu’au 11 mai 2019.