Avec Foreman, Charles Fournier nous entraîne dans un univers d’hommes qu’on a peu dépeint au théâtre. Portée par une langue rude, crue, sans complexe, la pièce ouvre une porte sur la beauté de l’amitié et sur la rédemption, après nous avoir fait voir l’éclosion lente d’une souffrance sourde et dévastatrice.
Nous suivons deux histoires parallèles. D’abord celle de Carlos (Charles Fournier), qui raconte, un souvenir d’enfance à la fois, comment le désir d’être un « tough » et de montrer qu’il est un homme, donc digne de faire partie de la bande, lui a fait prendre une mauvaise pente. Puis celle de quatre amis qui partent dans le bois pour exécuter un plan dont on ne découvrira l’ampleur — et la beauté — qu’à la toute fin de la pièce.
Il y a Frank (Vincent Roy), le baveux jamais à court de reproches et de moqueries, mais muet lorsqu’on lui remet sa lâcheté sous le nez. Ils ont chacun leur façade, chacun leurs failles, de surface ou de grands fonds. Alors que Poitras (Pierre-Luc Désilets) s’attire les railleries à cause de sa blonde trop contrôlante, Jo (Steven Lee Potvin) « pêche à la dynamite » sur les applications de rencontres et Arnaud (Miguel Fontaine) — trop petit pour scorer avec les filles sur Tinder — s’évade dans les jeux vidéos et les grandeur nature. Des gars finalement moins typés qu’on pourrait le croire, des chevaliers aux méthodes drastiques et peu orthodoxes quand vient le temps de défendre leurs principes.
Tous les quatre forment un quatuor improbable et pourtant soudé. Ils multiplient les bravades, les mauvaises blagues, les coups de gueule et les actions douteuses. Leur nuit de camping est un feu roulant qui suscite autant les éclats de rire que les grimaces. Mais peu à peu, par à-coups, leur vulnérabilité transparaît. Leur maladresse et leur soif d’amour pointent derrière les débordements d’une amitié virile cabossée par les luttes de pouvoir et les émotions mal dégrossies.
Force de frappe
Nous ne sommes pas très loin de King Dave, le solo d’Alexandre Goyette porté à l’écran par Podz, où l’escalade de mauvaises décisions et de coups du sort est racontée d’un seul souffle. Mais il y a dans Foreman une émotivité touchante, une poésie cachée entre les lignes et une polyphonie (ponctuée de plusieurs moments de cacophonie assumée) qui décuple la force de frappe.
On se fait happer par le maelstrom complexe à l’humour féroce qui se déploie sur scène. Le texte est vivant, incarné, bien construit. Si certains points demeurent un peu nébuleux à la première écoute (qui est mort, quel est le plan, d’où les personnages se connaissent), on saute tout de même à pieds joints dans l’aventure. Notamment parce que les morceaux livrés par Charles Fournier sont limpides, imagés, à la fois violents et touchants, même s’ils deviennent de plus en plus sombres. Il raconte les séances d’intimidation des voisins plus vieux, le combat perdu contre une fille au Judo, son rendez-vous avec une prostituée ou encore une sanglante bagarre dans la rue avec une candeur touchante, qui se transforme au fil des souvenirs en désespoir poignant. Sa renaissance n’en sera que plus saisissante.
Des interludes où les quatre gars suivent Carlos comme un bataillon de chiots pour lui poser des questions sur ce qui fait un homme, des percussions en cadence sur leurs casques de construction et deux moments dansés (signés Olivier Arteau, dont on reconnaît la signature) donnent du rythme et canalisent l’énergie tribale, la libido et la souffrance qui soudent le groupe. En dansant tous ensemble, ils touchent à l’autodérision, à la compulsion, à ce qui écrase et pulvérise l’existence.
On retrouve une part de l’énergie brute qui transcendait la mise en scène de Trainspotting de Marie-Hélène Gendreau, qui cosigne celle de Foreman avec Arteau. Texte, jeu et mise en scène se sont arrimés au fil de laboratoires et de réécritures et ça paraît. Le résultat est cohérent et pleinement assumé. Les interprètes sont solides, les deux pieds bien plantés dans l’univers de Charles Fournier.
Ils évoluent dans une scénographie où les éléments réalistes côtoient la fantaisie. Les arbres sans feuilles suspendus au plafond renversent les perspectives. Une voiture amochée est démantelée graduellement afin de construire un tout autre moyen de transport pour fendre la brume et s’évader, en inventant de nouveaux rituels pour traverser l’existence.
Cette incursion dans la masculinité et le malaise identitaire de l’homme actuel est d’autant plus belle qu’elle s’est poursuivie avec un volet médiation baptisé For Men – Pour Hommes. Accompagnés par des auteurs professionnels, treize usagers des services d’organismes communautaires ont écrit des textes qui seront livrés le vendredi 26 avril à 18 h 30 dans le foyer du Périscope.
Texte et idée originale de Charles Fournier. Mise en scène de Olivier Arteau et de Marie-Hélène Gendreau. Assistance à la mise en scène Catherine Côté. Décor de Amélie Trépanier. Costumes et accessoires de Mélanie Robinson. Conception sonore de Vincent Roy. Direction technique de Mathieu C. Bernard. Mentorat d’écriture Erika Soucy. Avec : Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine, Charles Fournier, Steven Lee Potvin et Vincent Roy. Une production de Mon père est mort présentée au Studio Marc-Doré du Périscope du 16 avril au 4 mai.
Avec Foreman, Charles Fournier nous entraîne dans un univers d’hommes qu’on a peu dépeint au théâtre. Portée par une langue rude, crue, sans complexe, la pièce ouvre une porte sur la beauté de l’amitié et sur la rédemption, après nous avoir fait voir l’éclosion lente d’une souffrance sourde et dévastatrice.
Nous suivons deux histoires parallèles. D’abord celle de Carlos (Charles Fournier), qui raconte, un souvenir d’enfance à la fois, comment le désir d’être un « tough » et de montrer qu’il est un homme, donc digne de faire partie de la bande, lui a fait prendre une mauvaise pente. Puis celle de quatre amis qui partent dans le bois pour exécuter un plan dont on ne découvrira l’ampleur — et la beauté — qu’à la toute fin de la pièce.
Il y a Frank (Vincent Roy), le baveux jamais à court de reproches et de moqueries, mais muet lorsqu’on lui remet sa lâcheté sous le nez. Ils ont chacun leur façade, chacun leurs failles, de surface ou de grands fonds. Alors que Poitras (Pierre-Luc Désilets) s’attire les railleries à cause de sa blonde trop contrôlante, Jo (Steven Lee Potvin) « pêche à la dynamite » sur les applications de rencontres et Arnaud (Miguel Fontaine) — trop petit pour scorer avec les filles sur Tinder — s’évade dans les jeux vidéos et les grandeur nature. Des gars finalement moins typés qu’on pourrait le croire, des chevaliers aux méthodes drastiques et peu orthodoxes quand vient le temps de défendre leurs principes.
Tous les quatre forment un quatuor improbable et pourtant soudé. Ils multiplient les bravades, les mauvaises blagues, les coups de gueule et les actions douteuses. Leur nuit de camping est un feu roulant qui suscite autant les éclats de rire que les grimaces. Mais peu à peu, par à-coups, leur vulnérabilité transparaît. Leur maladresse et leur soif d’amour pointent derrière les débordements d’une amitié virile cabossée par les luttes de pouvoir et les émotions mal dégrossies.
Force de frappe
Nous ne sommes pas très loin de King Dave, le solo d’Alexandre Goyette porté à l’écran par Podz, où l’escalade de mauvaises décisions et de coups du sort est racontée d’un seul souffle. Mais il y a dans Foreman une émotivité touchante, une poésie cachée entre les lignes et une polyphonie (ponctuée de plusieurs moments de cacophonie assumée) qui décuple la force de frappe.
On se fait happer par le maelstrom complexe à l’humour féroce qui se déploie sur scène. Le texte est vivant, incarné, bien construit. Si certains points demeurent un peu nébuleux à la première écoute (qui est mort, quel est le plan, d’où les personnages se connaissent), on saute tout de même à pieds joints dans l’aventure. Notamment parce que les morceaux livrés par Charles Fournier sont limpides, imagés, à la fois violents et touchants, même s’ils deviennent de plus en plus sombres. Il raconte les séances d’intimidation des voisins plus vieux, le combat perdu contre une fille au Judo, son rendez-vous avec une prostituée ou encore une sanglante bagarre dans la rue avec une candeur touchante, qui se transforme au fil des souvenirs en désespoir poignant. Sa renaissance n’en sera que plus saisissante.
Des interludes où les quatre gars suivent Carlos comme un bataillon de chiots pour lui poser des questions sur ce qui fait un homme, des percussions en cadence sur leurs casques de construction et deux moments dansés (signés Olivier Arteau, dont on reconnaît la signature) donnent du rythme et canalisent l’énergie tribale, la libido et la souffrance qui soudent le groupe. En dansant tous ensemble, ils touchent à l’autodérision, à la compulsion, à ce qui écrase et pulvérise l’existence.
On retrouve une part de l’énergie brute qui transcendait la mise en scène de Trainspotting de Marie-Hélène Gendreau, qui cosigne celle de Foreman avec Arteau. Texte, jeu et mise en scène se sont arrimés au fil de laboratoires et de réécritures et ça paraît. Le résultat est cohérent et pleinement assumé. Les interprètes sont solides, les deux pieds bien plantés dans l’univers de Charles Fournier.
Ils évoluent dans une scénographie où les éléments réalistes côtoient la fantaisie. Les arbres sans feuilles suspendus au plafond renversent les perspectives. Une voiture amochée est démantelée graduellement afin de construire un tout autre moyen de transport pour fendre la brume et s’évader, en inventant de nouveaux rituels pour traverser l’existence.
Cette incursion dans la masculinité et le malaise identitaire de l’homme actuel est d’autant plus belle qu’elle s’est poursuivie avec un volet médiation baptisé For Men – Pour Hommes. Accompagnés par des auteurs professionnels, treize usagers des services d’organismes communautaires ont écrit des textes qui seront livrés le vendredi 26 avril à 18 h 30 dans le foyer du Périscope.
Foreman
Texte et idée originale de Charles Fournier. Mise en scène de Olivier Arteau et de Marie-Hélène Gendreau. Assistance à la mise en scène Catherine Côté. Décor de Amélie Trépanier. Costumes et accessoires de Mélanie Robinson. Conception sonore de Vincent Roy. Direction technique de Mathieu C. Bernard. Mentorat d’écriture Erika Soucy. Avec : Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine, Charles Fournier, Steven Lee Potvin et Vincent Roy. Une production de Mon père est mort présentée au Studio Marc-Doré du Périscope du 16 avril au 4 mai.