Critiques

Introduction à la violence : Un premier volet beau et troublant

© Marlène Gélineau Payette

Pas de tonnerre d’applaudissements quand le rideau tombe; la spectatrice et le spectateur sont encore abasourdis. C’est qu’avec Introduction à la violence, Marie Brassard propose une œuvre d’une grande beauté visuelle et d’une cohérence formelle impressionnante — comme à son habitude —, mais aussi cauchemardesque et émotivement exigeante. 

Réalités, rêves, fantasmes, projections dans l’avenir, ici, tout s’entremêle pour mettre en scène les multiples déclinaisons de la violence : enfantine, symbolique, sexuelle, politique. Au fil de tableaux souvent troublants, Brassard déploie ses microhistoires, oniriques et tendues. Comme pour tenter de réparer « une porcelaine cassée », elle raconte une femme dansant dans un bar, des enfants sur un bateau qui saluent gentiment de la main l’étrangère sur le quai ou l’apparition d’un chanteur adulé nommé Renard. Bien vite, ce qui semblait prometteur apparaît sous un jour plus sombre. Nous ne sommes jamais loin du gouffre. Ce n’est pas en vain que le texte évoque en ouverture Lewis Carroll et plus tard Francis Bacon ou le film Johnny’s Got His Gun. La tentative pour reconstituer le trauma ou remonter « le fleuve de la conscience pour naviguer sur ses eaux imprécises et méconnues » s’avère toujours incomplète et nébuleuse. Black-out.

introduction à la violence© Marlène Gélineau Payette

Le caractère intangible de l’œuvre trouve son pendant dans les projections (Sabrina Ratté) parfois abstraites, aux horizons ouverts et aux points de fuite lointains : univers géométriques stylisés, ville submergée par la montée des océans, édifices du futur envahis par la végétation dans un monde dénué de la présence humaine. Tout aussi omniprésente, la musique d’Alexander McSween contribue pour beaucoup aux atmosphères graves; Kosma n’aurait certainement pas approuvé sa réorchestration des Feuilles mortes. Les habitué·es d’Infrarouge ne sont guère surpris·es de retrouver ces suspect·es habituel.les en plus d’Antonin Sorel à la scénographie et Mikko Hynninen aux éclairages. L’équipe est rodée et ici  d’une cohésion parfaite.

Le très beau texte recèle d’éclats poétiques désenchantés : « les marchands de sommeil s’enrichissent », « il n’y aura pas de victoire, il n’y aura pas de moments où nous pourrons nous reposer ». Il offre néanmoins de brèves échappées, des bouffées d’air pour « ouvrir une fenêtre », dont une invitation au salon de la création, sorte d’aparté au cours duquel Brassard s’explique sur l’élément déclencheur. Bien qu’il ne fournisse guère de réponses, il remplit son rôle d’exercice de distanciation et, disons-le plus franchement, de répit, dans cette densité à couper au couteau. Car, même si la violence dont il est question n’est jamais littéralement représentée, elle n’en est pas moins figurée, et avec une acuité rare. Je pense au tableau du temps des cerises, chanté d’une voix dénaturée et devenue catacombesque tandis que des coulisses de sang s’épandent sur les écrans. 

Cette pièce unique est portée par la performance maîtrisée de Brassard, qui évoque par moments un automate désarticulé dans sa gestuelle. Elle constitue le premier mouvement d’un diptyque annoncé dont on attend déjà la suite avec joie, même si, dans le contexte, le mot apparaît incongru. 

© Marlène Gélineau Payette

Introduction à la violence

Texte, mise en scène et interprétation : Marie Brassard. Conception sonore et musique en direct : Alexander MacSween. Scénographie : Antonin Sorel. Lumières : Mikko Hynninen. Images vidéo et projections en direct : Sabrina Ratté. Costumes : Marie Brassard et Julie Chartrand. Production Infrarouge. À l’Usine C jusqu’au 4 mai.  

À propos de

Diplômé de l’Université Laval, de l’UQAM et de l’Université de Montréal, où il a aussi été auxiliaire d’enseignement et agent de recherche, il collabore à JEU depuis 2017.