Dès son ouverture, le FTA faisait à son public un cadeau d’envergure : Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, une pièce interrogeant la construction de l’identité, avec pour toile de fond le conflit israélo-palestinien, déployée sur trois continents.
Voilà une pièce immense qui débute par une histoire d’amour et se termine en une tragédie éminemment contemporaine. L’action parcourt trois générations et se nourrit, comme c’était le cas dans le cycle du « Sang des promesses », des rapports complexes entre l’histoire individuelle et l’histoire générale – dans un lieu où conflits familiaux et géopolitiques se rejoignent et où l’ennemi occupe le même territoire, parfois la même famille.
Hasard ou destin, Eitan (Jérémie Galiana) rencontre Wahida (Nellie Lawson) dans une bibliothèque de New York. L’amour naît aussitôt. Pour fêter la pâque juive, Eitan invite son père, sa mère et son grand-père d’Allemagne à le rejoindre pour lui présenter la femme qu’il aime. Son père, David (Raphael Weinstock), ne supporte pas que son fils puisse être amoureux d’une Arabe, lui, un juif d’Israël, et les discours de Norah (Judith Rosmair), sa femme, n’y changeront rien.
Témoin de la colère irraisonnée de son père, Eitan est pris d’un doute sur ses origines. Il se rend, avec Wahida, en Israël. Celle-ci en profite pour continuer ses recherches pour sa thèse de doctorat portant sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzân, dit Léon l’Africain (Jalal Altawil). Les deux protagonistes se retrouvent parmi les victimes d’un attentat. Eitan plonge dans un coma alors que Wahida remue ciel et terre pour que sa famille vienne le retrouver. Elle y arrivera avec l’aide de Leah (Leora Rivlin), mère de David et ancienne épouse d’Etgar (Rafael Tabor), grand-père d’Eitan qui a vécu les camps de concentration et la guerre des Six Jours.
Mais un malheur n’attend pas l’autre et la famille, réunie à Jérusalem, se retrouve coincée en Israël alors que des bombes éclatent à l’aéroport de Tel-Aviv et que Wahida, aidée par une soldate de Tsahal nommée Eden (Darya Sheizaf), rejoint la Palestine. Dans cette sorte de huis clos, les tensions s’accentuent, les langues se dénouent à grand-peine, et des vérités tues depuis un demi-siècle explosent au grand jour.
Une tension palpable est maintenue tout au long de cette pièce de quatre heures (avec entracte) par la musique, sombre et minimale, et des changements de décor à la fois fluides et solennels. Des scènes plus prenantes les unes que les autres succèdent à d’autres, plus poétiques. Les scènes muettes qui servent d’ellipses temporelles sont particulièrement réussies. Malgré la durée, pas une phrase ni un instant de trop : les questions, la détresse, la colère sourde et les aveux, les invectives, les pleurs, les surprises, les rires aussi, jaillissent, mus par l’urgence de vivre.
Le décor, composé de blocs monolithiques amovibles, accueille des projections comme dessinées à la craie ainsi que les surtitres français – fort nécessaires, car la pièce est en hébreu, en allemand, en arabe, et en anglais. Ce choix de faire parler les personnages en plusieurs langues plutôt que dans un français factice vient marquer le passage sur eux de l’Histoire et du temps, mais souligne aussi à gros traits les fractures qui les divisent. Il indique aussi le rapport de chacun·e au langage et, par le fait même, creuse leur intimité.
Pièce foisonnante, Tous des oiseaux repose aussi sur une distribution particulièrement juste. On pourra reprocher la voix toujours hargneuse de Raphael Weinstock (avant que l’histoire ne le justifie), les larmes faciles de Jérémie Galiana (mais certainement pas l’aplomb de ses monologues) ou le jeu parfois anecdotique de Judith Rosmair (méfiez-vous du loup qui dort). En revanche, on applaudira la complexité de chacun des personnages, le jeu parfait, aussi drôle qu’implacable, de Leora Rivlin et l’intensité remarquable de Nellie Lawson.
C’est par une écriture lumineuse et adroite, et une mise en scène fluide et épurée, que Mouawad décrit la contamination du corps individuel par l’Histoire. Une démonstration menée de main de maître qui se termine finalement trop vite ; le dénouement, sobre et grandiose, est bouleversant. Beaucoup de têtes demeuraient baissées au moment de sortir de la salle.
Un spectacle de La Colline – théâtre national. Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad. Interprétation : Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Nelly Lawson, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf. Rafael Tabor, Raphael Weinstock. Assistance à la mise en scène : Valérie Nègre. Dramaturgie : Charlotte Farcet. Conseil artistique : François Ismert. Conseil historique : Natalie Zemon Davis. Musique originale : Eleni Karaindrou. Scénographie : Emmanuel Clolus. Lumières : Éric Champoux. Son : Michel Maurer. Costumes : Emmanuelle Thomas. Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar. Traduction : Uli Menke (allemand), Linda Gaboriau (anglais), Jalal Altawil (arabe), Eli Bijaoui (hébreu). Présenté au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts, dans le cadre du Festival TransAmériques, jusqu’au 27 mai 2019.
Dès son ouverture, le FTA faisait à son public un cadeau d’envergure : Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, une pièce interrogeant la construction de l’identité, avec pour toile de fond le conflit israélo-palestinien, déployée sur trois continents.
Voilà une pièce immense qui débute par une histoire d’amour et se termine en une tragédie éminemment contemporaine. L’action parcourt trois générations et se nourrit, comme c’était le cas dans le cycle du « Sang des promesses », des rapports complexes entre l’histoire individuelle et l’histoire générale – dans un lieu où conflits familiaux et géopolitiques se rejoignent et où l’ennemi occupe le même territoire, parfois la même famille.
Hasard ou destin, Eitan (Jérémie Galiana) rencontre Wahida (Nellie Lawson) dans une bibliothèque de New York. L’amour naît aussitôt. Pour fêter la pâque juive, Eitan invite son père, sa mère et son grand-père d’Allemagne à le rejoindre pour lui présenter la femme qu’il aime. Son père, David (Raphael Weinstock), ne supporte pas que son fils puisse être amoureux d’une Arabe, lui, un juif d’Israël, et les discours de Norah (Judith Rosmair), sa femme, n’y changeront rien.
Témoin de la colère irraisonnée de son père, Eitan est pris d’un doute sur ses origines. Il se rend, avec Wahida, en Israël. Celle-ci en profite pour continuer ses recherches pour sa thèse de doctorat portant sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzân, dit Léon l’Africain (Jalal Altawil). Les deux protagonistes se retrouvent parmi les victimes d’un attentat. Eitan plonge dans un coma alors que Wahida remue ciel et terre pour que sa famille vienne le retrouver. Elle y arrivera avec l’aide de Leah (Leora Rivlin), mère de David et ancienne épouse d’Etgar (Rafael Tabor), grand-père d’Eitan qui a vécu les camps de concentration et la guerre des Six Jours.
Mais un malheur n’attend pas l’autre et la famille, réunie à Jérusalem, se retrouve coincée en Israël alors que des bombes éclatent à l’aéroport de Tel-Aviv et que Wahida, aidée par une soldate de Tsahal nommée Eden (Darya Sheizaf), rejoint la Palestine. Dans cette sorte de huis clos, les tensions s’accentuent, les langues se dénouent à grand-peine, et des vérités tues depuis un demi-siècle explosent au grand jour.
Une tension palpable est maintenue tout au long de cette pièce de quatre heures (avec entracte) par la musique, sombre et minimale, et des changements de décor à la fois fluides et solennels. Des scènes plus prenantes les unes que les autres succèdent à d’autres, plus poétiques. Les scènes muettes qui servent d’ellipses temporelles sont particulièrement réussies. Malgré la durée, pas une phrase ni un instant de trop : les questions, la détresse, la colère sourde et les aveux, les invectives, les pleurs, les surprises, les rires aussi, jaillissent, mus par l’urgence de vivre.
Le décor, composé de blocs monolithiques amovibles, accueille des projections comme dessinées à la craie ainsi que les surtitres français – fort nécessaires, car la pièce est en hébreu, en allemand, en arabe, et en anglais. Ce choix de faire parler les personnages en plusieurs langues plutôt que dans un français factice vient marquer le passage sur eux de l’Histoire et du temps, mais souligne aussi à gros traits les fractures qui les divisent. Il indique aussi le rapport de chacun·e au langage et, par le fait même, creuse leur intimité.
Pièce foisonnante, Tous des oiseaux repose aussi sur une distribution particulièrement juste. On pourra reprocher la voix toujours hargneuse de Raphael Weinstock (avant que l’histoire ne le justifie), les larmes faciles de Jérémie Galiana (mais certainement pas l’aplomb de ses monologues) ou le jeu parfois anecdotique de Judith Rosmair (méfiez-vous du loup qui dort). En revanche, on applaudira la complexité de chacun des personnages, le jeu parfait, aussi drôle qu’implacable, de Leora Rivlin et l’intensité remarquable de Nellie Lawson.
C’est par une écriture lumineuse et adroite, et une mise en scène fluide et épurée, que Mouawad décrit la contamination du corps individuel par l’Histoire. Une démonstration menée de main de maître qui se termine finalement trop vite ; le dénouement, sobre et grandiose, est bouleversant. Beaucoup de têtes demeuraient baissées au moment de sortir de la salle.
Tous des oiseaux
Un spectacle de La Colline – théâtre national. Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad. Interprétation : Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Nelly Lawson, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf. Rafael Tabor, Raphael Weinstock. Assistance à la mise en scène : Valérie Nègre. Dramaturgie : Charlotte Farcet. Conseil artistique : François Ismert. Conseil historique : Natalie Zemon Davis. Musique originale : Eleni Karaindrou. Scénographie : Emmanuel Clolus. Lumières : Éric Champoux. Son : Michel Maurer. Costumes : Emmanuelle Thomas. Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar. Traduction : Uli Menke (allemand), Linda Gaboriau (anglais), Jalal Altawil (arabe), Eli Bijaoui (hébreu). Présenté au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts, dans le cadre du Festival TransAmériques, jusqu’au 27 mai 2019.