Confiné en son pays, le dramaturge iranien Nassim Soleimanpour distribue ses textes à l’étranger où ils seront traduits en une trentaine de langues et joués dans plus de 50 pays. Il ne verra alors jamais ces productions. Ayant obtenu son passeport en 2013, l’auteur peut désormais jouer son propre rôle dans cette quatrième pièce, autoréférentielle, où il entend reprendre le temps perdu pour se faire des ami·es dans tous les ports. Nassim, signifie « brise » en farsi. « Une histoire, c’est comme une brise. Et un filet ne peut jamais capturer une brise. »
Il ne s’agit pas d’un simple désir de fuir l’enfermement, mais d’un projet de rencontre réelle axé sur la communication et le partage d’un moment clé dans la vie de chacun·e. La procédure est singulière : la pièce est « jouée » par un comédien ou une comédienne différente à chaque représentation (pendant le Carrefour : Valérie Laroche, Erika Gagnon, Anne-Marie Olivier) qui ne connaît ni l’auteur ni le texte qu’elle doit défendre. Elle n’a ni indice sur la mise en scène, ni sur son personnage. Pour toute consigne, elle doit apporter son cellulaire. Sur la scène dépouillée, un micro et une table, où est déposée une boîte dans laquelle se trouve le texte. En fond de scène, un écran qu’utilisera l’auteur pour diriger la comédienne.
Alors commence un jeu d’apprivoisement respectif. Les deux protagonistes, ignorant la langue de l’autre, parviennent par approximations et acquisitions langagières minimales à communiquer, nous prenant à témoin de cette rencontre. La stratégie de séduction fonctionne à merveille. La distance entre l’Iran et le Québec, entre le farsi et le français, est lentement franchie et la rencontre improbable a lieu. Le prétexte s’appuie sur un livre bleu et un petit ours, qui sont les bases de la découverte de l’univers pour le petit Nassim. C’est ici qu’il apprend à lire, qu’il s’initie au monde et à la curiosité.
Vers un théâtre sans dramaturgie
En acceptant de se prêter au jeu de l’inconnu, la comédienne, dans la même posture que le public, devient l’intermédiaire entre deux étrangers qui se rencontrent. Pour transcender les préjugés, Soleimanpour utilise un cours de langue, lui, apprenant le français, elle, le farsi : pratique de phonèmes difficiles, mémorisation de quelques mots clés, traduction simultanée, acquisition de jurons… Trois volontaires du public viendront sur scène pour participer au cours de farsi, soutenus par un public enthousiaste et séduit par tant de candeur.
Le piège de Nassim est si finement structuré qu’il nous tient continuellement sur une ligne poreuse entre le quotidien et le théâtre. Dans une structure narrative pas aussi simple qu’il ne paraît, utilisant écran et caméra pour communiquer avec la comédienne, l’auteur-directeur nous amène subtilement vers sa ville natale en utilisant sa nouvelle amie. Avant-hier soir, cette amie se nommait Valérie Laroche, tout aussi incarnée comme citoyenne, mère et épouse, que comme comédienne… ne jouant pas d’autre personnage qu’elle-même. Tout comme Nassim, auteur et citoyen iranien, maintenant libéré et devenu citoyen du monde, qui a trouvé une porte unique pour traverser toutes les frontières : celle des pays, des langues, des préjugés.
Le théâtre est détourné de sa forme usuelle pour ouvrir directement sur le réel. Il ne s’agit pas de théâtre documentaire, mais d’un théâtre de l’humanité ordinaire qui partage les mêmes émotions, les mêmes expériences fondamentales. Il s’agit de l’histoire d’un jeune garçon qui veut écrire dans sa langue maternelle une histoire toute simple pour sa maman, elle qui n’a jamais pu voir les pièces de son fils jouées en langues étrangères dans des pays lointains.
Sur le plan spatial, l’auteur en coulisse incite la comédienne à le faire entrer sur scène. Nous assistons ainsi à leur complicité croissante. La boucle se referme sur ce cycle exponentiel : Nassim en ravaude planétaire crée des amitiés partout sur son passage, qu’il utilise ensuite pour transmettre à sa mère son rêve devenu réalité. Remarquable pirouette toute en douceur et en humour. Les artifices du théâtre sont utilisés pour rejoindre le réel, où le public s’engouffre avec un plaisir évident.
À la question politique, Nassim propose une réponse par l’échange et la communication ouverte, comme condition préalable au devenir planétaire. Car ici sont abolies les divergences politico-économiques au profit d’une enfance retrouvée, s’appuyant sur le seul point commun à tous : une maman.
Texte et performance : Nassim Soleimanpour. Avec un·e comédien·ne différent·e à chaque performance : Valérie Laroche, Erika Gagnon ou Anne-Marie-Olivier. Mise en scène : Omar Elerian. Scénographie : Rhys Jarman. Conception sonore : James Swadlo. Conception d’éclairages : Rajiv Pattani. Direction de production : Michael Ager. Régie : Kacey Gritters. Scriptes : Carolina Ortega et Stewart Pringle. Coproduction : Bush Theatre et Nassim Soleimanpour Productions. À l’occasion du Carrefour international de théâtre, présenté au Théâtre Périscope jusqu’au 26 mai.
Confiné en son pays, le dramaturge iranien Nassim Soleimanpour distribue ses textes à l’étranger où ils seront traduits en une trentaine de langues et joués dans plus de 50 pays. Il ne verra alors jamais ces productions. Ayant obtenu son passeport en 2013, l’auteur peut désormais jouer son propre rôle dans cette quatrième pièce, autoréférentielle, où il entend reprendre le temps perdu pour se faire des ami·es dans tous les ports. Nassim, signifie « brise » en farsi. « Une histoire, c’est comme une brise. Et un filet ne peut jamais capturer une brise. »
Il ne s’agit pas d’un simple désir de fuir l’enfermement, mais d’un projet de rencontre réelle axé sur la communication et le partage d’un moment clé dans la vie de chacun·e. La procédure est singulière : la pièce est « jouée » par un comédien ou une comédienne différente à chaque représentation (pendant le Carrefour : Valérie Laroche, Erika Gagnon, Anne-Marie Olivier) qui ne connaît ni l’auteur ni le texte qu’elle doit défendre. Elle n’a ni indice sur la mise en scène, ni sur son personnage. Pour toute consigne, elle doit apporter son cellulaire. Sur la scène dépouillée, un micro et une table, où est déposée une boîte dans laquelle se trouve le texte. En fond de scène, un écran qu’utilisera l’auteur pour diriger la comédienne.
Alors commence un jeu d’apprivoisement respectif. Les deux protagonistes, ignorant la langue de l’autre, parviennent par approximations et acquisitions langagières minimales à communiquer, nous prenant à témoin de cette rencontre. La stratégie de séduction fonctionne à merveille. La distance entre l’Iran et le Québec, entre le farsi et le français, est lentement franchie et la rencontre improbable a lieu. Le prétexte s’appuie sur un livre bleu et un petit ours, qui sont les bases de la découverte de l’univers pour le petit Nassim. C’est ici qu’il apprend à lire, qu’il s’initie au monde et à la curiosité.
Vers un théâtre sans dramaturgie
En acceptant de se prêter au jeu de l’inconnu, la comédienne, dans la même posture que le public, devient l’intermédiaire entre deux étrangers qui se rencontrent. Pour transcender les préjugés, Soleimanpour utilise un cours de langue, lui, apprenant le français, elle, le farsi : pratique de phonèmes difficiles, mémorisation de quelques mots clés, traduction simultanée, acquisition de jurons… Trois volontaires du public viendront sur scène pour participer au cours de farsi, soutenus par un public enthousiaste et séduit par tant de candeur.
Le piège de Nassim est si finement structuré qu’il nous tient continuellement sur une ligne poreuse entre le quotidien et le théâtre. Dans une structure narrative pas aussi simple qu’il ne paraît, utilisant écran et caméra pour communiquer avec la comédienne, l’auteur-directeur nous amène subtilement vers sa ville natale en utilisant sa nouvelle amie. Avant-hier soir, cette amie se nommait Valérie Laroche, tout aussi incarnée comme citoyenne, mère et épouse, que comme comédienne… ne jouant pas d’autre personnage qu’elle-même. Tout comme Nassim, auteur et citoyen iranien, maintenant libéré et devenu citoyen du monde, qui a trouvé une porte unique pour traverser toutes les frontières : celle des pays, des langues, des préjugés.
Le théâtre est détourné de sa forme usuelle pour ouvrir directement sur le réel. Il ne s’agit pas de théâtre documentaire, mais d’un théâtre de l’humanité ordinaire qui partage les mêmes émotions, les mêmes expériences fondamentales. Il s’agit de l’histoire d’un jeune garçon qui veut écrire dans sa langue maternelle une histoire toute simple pour sa maman, elle qui n’a jamais pu voir les pièces de son fils jouées en langues étrangères dans des pays lointains.
Sur le plan spatial, l’auteur en coulisse incite la comédienne à le faire entrer sur scène. Nous assistons ainsi à leur complicité croissante. La boucle se referme sur ce cycle exponentiel : Nassim en ravaude planétaire crée des amitiés partout sur son passage, qu’il utilise ensuite pour transmettre à sa mère son rêve devenu réalité. Remarquable pirouette toute en douceur et en humour. Les artifices du théâtre sont utilisés pour rejoindre le réel, où le public s’engouffre avec un plaisir évident.
À la question politique, Nassim propose une réponse par l’échange et la communication ouverte, comme condition préalable au devenir planétaire. Car ici sont abolies les divergences politico-économiques au profit d’une enfance retrouvée, s’appuyant sur le seul point commun à tous : une maman.
Nassim
Texte et performance : Nassim Soleimanpour. Avec un·e comédien·ne différent·e à chaque performance : Valérie Laroche, Erika Gagnon ou Anne-Marie-Olivier. Mise en scène : Omar Elerian. Scénographie : Rhys Jarman. Conception sonore : James Swadlo. Conception d’éclairages : Rajiv Pattani. Direction de production : Michael Ager. Régie : Kacey Gritters. Scriptes : Carolina Ortega et Stewart Pringle. Coproduction : Bush Theatre et Nassim Soleimanpour Productions. À l’occasion du Carrefour international de théâtre, présenté au Théâtre Périscope jusqu’au 26 mai.