Lorsque les lumières s’allument, les cinq interprètes sont côte à côte, les yeux fermés, comme on peut les voir sur l’affiche promotionnelle du spectacle. S’effleurant à peine, les artistes se mettent à tracer des schémas circulaires sur le tapis de danse immaculé, sur un rythme électronique métronomique. Dès les premières secondes, le public est happé, fasciné par ces déplacements répétitifs exécutés à l’unisson. Peu à peu, les danseurs et danseuses ouvrent les yeux et braquent leur regard sur l’horizon.
Pendant un peu moins d’une heure, les liens tissés entre les membres de la distribution de L’Affadissement du merveilleux se font et se défont. Les interprètes sont traversé·es par une multitude de sensations et de sentiments. Les artistes bombent le torse de fierté, se recroquevillent, sont pris·es de violents soubresauts, esquissent des rictus psychotiques ou se déhanchent sensuellement.
Cet enchevêtrement d’états physiques, mentaux et émotionnels s’inscrit comme une routine, reproduite jusqu’à plus soif, jusqu’à en perdre la raison. Pour éviter l’aliénation, une seule avenue possible : élever cet éternel recommencement en rituel, pour toucher à quelque chose de plus grand que soi.
Ce n’est pas la première fois que la chorégraphe Catherine Gaudet s’intéresse aux transformations du corps et de l’esprit, à la complexité et à l’ambiguïté des émotions. Dans Je suis un autre, en 2012, elle nous racontait des êtres aux prises avec leurs contradictions, déchirés entre leur authenticité et les normes sociales. En 2014, avec Au sein des plus raides vertus, présentée dans le cadre du Festival TransAmériques, elle incitait ses interprètes à se libérer de leurs contraintes pour retrouver la foi.
Dans le processus créatif qui a mené à L’Affadissement du merveilleux, la créatrice s’est découvert un goût plus prononcé pour l’universel. Elle avait besoin de voir évoluer ses danseurs et danseuses dans des figures claires, ensemble. En a résulté une réflexion sur la circularité, qu’elle soit spatiale ou intérieure.
Présentée sur scène pour la première fois à l’Agora de la danse en septembre 2017, la dernière proposition de Catherine Gaudet est plus épurée que ses précédentes, reconnues pour leur forte théâtralité et leur humour noir. Le récit brut de ces cinq personnages animés de pulsions de vie et de mort n’est pas dénué d’absurdité, une caractéristique délicieuse de l’œuvre de la chorégraphe québécoise.
On ne peut qu’être fasciné par la gestuelle géométrique des interprètes, prisonniers et prisonnières du temps, assujetti·es à leur destin. Si les mouvements se répètent dans une boucle sans fin, on prend un énorme plaisir à remarquer les subtilités, les détails minutieux qu’y ajoutent les artistes. Un véritable travail d’orfèvre, dans lequel excellent Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Leïla Mailly et James Phillips. D’un magnétisme indéniable, la distribution s’abandonne sans compromis à l’œuvre et à ses exigences, démontrant autant de force que de vulnérabilité, comme en transe.
Les procédés scénographiques dépouillés laissent toute la place au talent immense des artistes, vêtu·es d’une simple culotte de couleur sobre. La lumière blanche et crue expose sans compromis les muscles bandés et les faciès intenses des interprètes. À l’exception de ce passage, vers la fin de la représentation, où les éclairages se font plus sombres et bleutés, sublimant la peau ruisselante de sueur des danseurs et danseuses. Un moment d’une grande beauté.
La scène où les mélodies électroniques se font plus discrètes, pour laisser place aux cris d’effroi et d’extase des cinq personnages, restera longtemps gravée dans nos mémoires. Poussé·es dans leurs derniers retranchements, les interprètes, haletant·es, le visage rougi par l’effort, laissent tout sur les planches. Entre horreur et ravissement, les corps ondulent, s’arquent et se désarticulent jusqu’à la fin, lorsque la noirceur tombe et vient clore leur éprouvant rituel.
Rarement une recherche sur le désenchantement aura été aussi fascinante. Avec L’Affadissement du merveilleux, la chorégraphe Catherine Gaudet prône le retour du sacré dans un monde qui carbure à l’individualisme. Sa proposition aussi envoûtante qu’anxiogène nous captive du début à la fin. Et si on se rassemblait autour de cette force intangible qui nous dépasse, plutôt que de se replier sur nous-mêmes ? À défaut de garantir la survie de l’espèce humaine, cette option nous inspire et nous permet de continuer de rêver.
Un spectacle de Lorganisme. Chorégraphie : Catherine Gaudet. Interprétation : Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Leïla Mailly, James Phillips. Musique : Antoine Berthiaume. Costumes : Max-Otto Fauteux. Aide à la dramaturgie et direction des répétitions : Sophie Michaud. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. Direction technique et régie : François Marceau. Direction technique (création) : Olivier Chopinet. Une coproduction Agora de la danse et Centre chorégraphique national de Tours, présentée au Théâtre Rouge du Conservatoire du 28 au 31 mai, à l’occasion du Festival TransAmériques.
Lorsque les lumières s’allument, les cinq interprètes sont côte à côte, les yeux fermés, comme on peut les voir sur l’affiche promotionnelle du spectacle. S’effleurant à peine, les artistes se mettent à tracer des schémas circulaires sur le tapis de danse immaculé, sur un rythme électronique métronomique. Dès les premières secondes, le public est happé, fasciné par ces déplacements répétitifs exécutés à l’unisson. Peu à peu, les danseurs et danseuses ouvrent les yeux et braquent leur regard sur l’horizon.
Pendant un peu moins d’une heure, les liens tissés entre les membres de la distribution de L’Affadissement du merveilleux se font et se défont. Les interprètes sont traversé·es par une multitude de sensations et de sentiments. Les artistes bombent le torse de fierté, se recroquevillent, sont pris·es de violents soubresauts, esquissent des rictus psychotiques ou se déhanchent sensuellement.
Cet enchevêtrement d’états physiques, mentaux et émotionnels s’inscrit comme une routine, reproduite jusqu’à plus soif, jusqu’à en perdre la raison. Pour éviter l’aliénation, une seule avenue possible : élever cet éternel recommencement en rituel, pour toucher à quelque chose de plus grand que soi.
Ce n’est pas la première fois que la chorégraphe Catherine Gaudet s’intéresse aux transformations du corps et de l’esprit, à la complexité et à l’ambiguïté des émotions. Dans Je suis un autre, en 2012, elle nous racontait des êtres aux prises avec leurs contradictions, déchirés entre leur authenticité et les normes sociales. En 2014, avec Au sein des plus raides vertus, présentée dans le cadre du Festival TransAmériques, elle incitait ses interprètes à se libérer de leurs contraintes pour retrouver la foi.
Dans le processus créatif qui a mené à L’Affadissement du merveilleux, la créatrice s’est découvert un goût plus prononcé pour l’universel. Elle avait besoin de voir évoluer ses danseurs et danseuses dans des figures claires, ensemble. En a résulté une réflexion sur la circularité, qu’elle soit spatiale ou intérieure.
Présentée sur scène pour la première fois à l’Agora de la danse en septembre 2017, la dernière proposition de Catherine Gaudet est plus épurée que ses précédentes, reconnues pour leur forte théâtralité et leur humour noir. Le récit brut de ces cinq personnages animés de pulsions de vie et de mort n’est pas dénué d’absurdité, une caractéristique délicieuse de l’œuvre de la chorégraphe québécoise.
On ne peut qu’être fasciné par la gestuelle géométrique des interprètes, prisonniers et prisonnières du temps, assujetti·es à leur destin. Si les mouvements se répètent dans une boucle sans fin, on prend un énorme plaisir à remarquer les subtilités, les détails minutieux qu’y ajoutent les artistes. Un véritable travail d’orfèvre, dans lequel excellent Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Leïla Mailly et James Phillips. D’un magnétisme indéniable, la distribution s’abandonne sans compromis à l’œuvre et à ses exigences, démontrant autant de force que de vulnérabilité, comme en transe.
Les procédés scénographiques dépouillés laissent toute la place au talent immense des artistes, vêtu·es d’une simple culotte de couleur sobre. La lumière blanche et crue expose sans compromis les muscles bandés et les faciès intenses des interprètes. À l’exception de ce passage, vers la fin de la représentation, où les éclairages se font plus sombres et bleutés, sublimant la peau ruisselante de sueur des danseurs et danseuses. Un moment d’une grande beauté.
La scène où les mélodies électroniques se font plus discrètes, pour laisser place aux cris d’effroi et d’extase des cinq personnages, restera longtemps gravée dans nos mémoires. Poussé·es dans leurs derniers retranchements, les interprètes, haletant·es, le visage rougi par l’effort, laissent tout sur les planches. Entre horreur et ravissement, les corps ondulent, s’arquent et se désarticulent jusqu’à la fin, lorsque la noirceur tombe et vient clore leur éprouvant rituel.
Rarement une recherche sur le désenchantement aura été aussi fascinante. Avec L’Affadissement du merveilleux, la chorégraphe Catherine Gaudet prône le retour du sacré dans un monde qui carbure à l’individualisme. Sa proposition aussi envoûtante qu’anxiogène nous captive du début à la fin. Et si on se rassemblait autour de cette force intangible qui nous dépasse, plutôt que de se replier sur nous-mêmes ? À défaut de garantir la survie de l’espèce humaine, cette option nous inspire et nous permet de continuer de rêver.
L’Affadissement du merveilleux
Un spectacle de Lorganisme. Chorégraphie : Catherine Gaudet. Interprétation : Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Leïla Mailly, James Phillips. Musique : Antoine Berthiaume. Costumes : Max-Otto Fauteux. Aide à la dramaturgie et direction des répétitions : Sophie Michaud. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. Direction technique et régie : François Marceau. Direction technique (création) : Olivier Chopinet. Une coproduction Agora de la danse et Centre chorégraphique national de Tours, présentée au Théâtre Rouge du Conservatoire du 28 au 31 mai, à l’occasion du Festival TransAmériques.