Le Festival TransAmériques présente une adaptation théâtrale de Soifs, le cycle romanesque de Marie-Claire Blais, dans une mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Cette vaste fresque de l’Amérique contemporaine entremêle dans une narration polyphonique les destins individuels d’une mosaïque de personnages aux enjeux collectifs de notre époque. La matière de la pièce est puisée principalement dans le premier tome, Soifs (1995), ainsi que dans Des chants pour Angel (2017) et Une réunion près de la mer (2018). Son action se déroule dans une île des Antilles, lors d’une fête chez Mélanie et Daniel, où leurs proches sont réunis.
Une adaptation incantatoire
Fidèle à la forme romanesque, l’adaptation refuse toute théâtralisation : elle ne restitue pas les dialogues, mais répartit la narration entre les personnages. Les acteurs et les actrices déclament le texte plutôt qu’ils et elles ne l’interprètent, esquissent vaguement les actions relatées. Les protagonistes parlent d’eux-mêmes à la troisième personne, accumulant les phrases interrogatives et les marqueurs d’énonciation. Ils et elles se frôlent sans interagir, comme appartenant à des mondes parallèles. Le rythme essoufflant de cette récitation froide et machinale produit une certaine lassitude. En l’absence de ressorts dramatiques, l’intrigue éclate en un flux de paroles, de pensées, de réminiscences désincarnées.
Cette forme déclamatoire procède de la volonté des créateurs et créatrices de céder toute la place à l’écriture singulière de Marie-Claire Blais, dont « la force réside dans sa respiration rythmique et musicale, presque incantatoire » (Stéphanie Jasmin), de préserver le flux continuel du discours, l’enchevêtrement des voix. Quoique louable, ce choix esthétique dessert la représentation et trahit la complexe humanité blaisienne.
Le spectateur et la spectatrice pénètrent lentement dans l’univers de la pièce comme du roman, lequel suscite au premier abord un sentiment de dépaysement, de circonspection et de perplexité.
L’ouverture, composée de monologues décousus et de mouvements erratiques, paraît interminable. La cloison de toile se lève enfin, révélant le lieu de la fête. Ce moment insuffle une nouvelle dynamique à la pièce : la scène auparavant dépouillée s’anime, l’univers fictionnel se concrétise. Mais l’enthousiasme retombe rapidement dans la monotonie de la récitation. La pièce réserve néanmoins quelques moments poétiques, notamment la contemplation des flots à la recherche de naufragé·es ou encore les mélancoliques souvenirs amoureux.
Le spectacle réunit sur scène une distribution imposante de vingt acteurs, actrices et six musicien·nes. Christiane Pasquier interprète magnifiquement une Esther sémillante et narquoise, tout en nuances. Jean Fayolle campe un pasteur Jérémy avenant et charitable. Lyndz Dantiste en Carlos et Florence Blain Mbaye en Vénus ajoutent une touche d’exubérance à la fadeur ambiante. Stephie Mazunya défend honorablement le rôle secondaire de Jenny. Les autres personnages manquent toutefois de naturel. La figure de l’écrivain, incarnée par Emmanuel Schwartz, est compassée, tout comme celle des poètes qui l’environnent. La prestation juste de Marcel Pomerlo ne suffit pas à tempérer le râle plaintif du valétudinaire Jacques. Égale à elle-même, Anne-Marie Cadieux joue une Renata hautaine, mais dénuée de profondeur.
L’intégration de la musique, tantôt classique, tantôt électroacoustique, crée une atmosphère mouvante, adaptée à chaque tableau, qui fait adroitement écho aux nombreuses références musicales du texte.
Une soif inassouvie
Soifs matériaux demeure fidèle aux thèmes récurrents du cycle romanesque, tels les failles de la justice, la violence contre les femmes, le suprémacisme racial, la dévastation des guerres, le sort des enfants-soldats, l’affrontement du puritanisme et de la luxure, les ravages du sida, les naufrages de migrant·es. La « creuse sensation de soif » qui tenaille Renata, cette lancinante question à laquelle elle cherche désespérément une réponse, « comment concilier l’amour et l’errance », résument la quête de tous ces marginaux.
Cette ambitieuse adaptation de Soifs, la première en son genre, demeure fidèle à la voix singulière de la narration blaisienne, mais elle échoue à la transposer au théâtre. Elle comporte néanmoins de fécondes idées artistiques. Il faut espérer que le « chantier de création » suggéré par le titre aboutira à une œuvre plus achevée.
Texte : Marie-Claire Blais. Adaptation : Denis Marleau. Mise en scène : Stéphanie Jasmin et Denis Marleau. Distribution : Florence Blain Mbaye, Jean-François Blanchard, Anne-Marie Cadieux, Sophie Cadieux, Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge, Alice Dorval, Lucien Gittes, Fayolle Jean, Fayolle Jr Jean, Yousef Kadoura, Luca Lebrun, Stephie Mazunya, Antoine Nicolas, Christiane Pasquier, Mina Petrous, Marcel Pomerlo, Dominique Quesnel, Mattis Savard-Verhoeven, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani. Musique : Philippe Brault, Jérôme Minière, Isabelle Bozzini, Stéphanie Bozzini, Alissa Cheung, Clemens Merkel. Régie : Carol-Anne Bourgon Sicard, Mylène Caya. Lecture : Gabrielle Couillard, Sophie Devirieux, Gabriel Rémy-Handfield. Diction : Marie-Claude Lefebvre. Scénographie : Stéphanie Jasmin, Marine Plasse. Costumes : Elen Ewing, Pascale Bassani, Nicole Langlois, Jeanne Dupré, Claudie Landry. Éclairage : Marc Parent, Lee Anholt, Delphine Rochefort-Boulanger. Composition : Philippe Brault, Jérôme Minière. Direction musicale : Philippe Brault. Son : Joël Lavoie, François Thibault, Renaud Dionne. Vidéo : Stéphanie Jasmin, Pierre Laniel, Florence Blais-Thivierge. Mouvement : Virginie Brunelle. Maquillage et coiffure : Julie Bégin, Marie Chinda Sok. Technique : Simon Beetschen, Sophie Bergeron. Production : Sylvain Béland. Une production de la compagnie Ubu à l’occasion du Festival TransAmériques, à l’affiche à Espace Go du 31 mai au 3 juin 2019.
Le Festival TransAmériques présente une adaptation théâtrale de Soifs, le cycle romanesque de Marie-Claire Blais, dans une mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Cette vaste fresque de l’Amérique contemporaine entremêle dans une narration polyphonique les destins individuels d’une mosaïque de personnages aux enjeux collectifs de notre époque. La matière de la pièce est puisée principalement dans le premier tome, Soifs (1995), ainsi que dans Des chants pour Angel (2017) et Une réunion près de la mer (2018). Son action se déroule dans une île des Antilles, lors d’une fête chez Mélanie et Daniel, où leurs proches sont réunis.
Une adaptation incantatoire
Fidèle à la forme romanesque, l’adaptation refuse toute théâtralisation : elle ne restitue pas les dialogues, mais répartit la narration entre les personnages. Les acteurs et les actrices déclament le texte plutôt qu’ils et elles ne l’interprètent, esquissent vaguement les actions relatées. Les protagonistes parlent d’eux-mêmes à la troisième personne, accumulant les phrases interrogatives et les marqueurs d’énonciation. Ils et elles se frôlent sans interagir, comme appartenant à des mondes parallèles. Le rythme essoufflant de cette récitation froide et machinale produit une certaine lassitude. En l’absence de ressorts dramatiques, l’intrigue éclate en un flux de paroles, de pensées, de réminiscences désincarnées.
Cette forme déclamatoire procède de la volonté des créateurs et créatrices de céder toute la place à l’écriture singulière de Marie-Claire Blais, dont « la force réside dans sa respiration rythmique et musicale, presque incantatoire » (Stéphanie Jasmin), de préserver le flux continuel du discours, l’enchevêtrement des voix. Quoique louable, ce choix esthétique dessert la représentation et trahit la complexe humanité blaisienne.
Le spectateur et la spectatrice pénètrent lentement dans l’univers de la pièce comme du roman, lequel suscite au premier abord un sentiment de dépaysement, de circonspection et de perplexité.
L’ouverture, composée de monologues décousus et de mouvements erratiques, paraît interminable. La cloison de toile se lève enfin, révélant le lieu de la fête. Ce moment insuffle une nouvelle dynamique à la pièce : la scène auparavant dépouillée s’anime, l’univers fictionnel se concrétise. Mais l’enthousiasme retombe rapidement dans la monotonie de la récitation. La pièce réserve néanmoins quelques moments poétiques, notamment la contemplation des flots à la recherche de naufragé·es ou encore les mélancoliques souvenirs amoureux.
Le spectacle réunit sur scène une distribution imposante de vingt acteurs, actrices et six musicien·nes. Christiane Pasquier interprète magnifiquement une Esther sémillante et narquoise, tout en nuances. Jean Fayolle campe un pasteur Jérémy avenant et charitable. Lyndz Dantiste en Carlos et Florence Blain Mbaye en Vénus ajoutent une touche d’exubérance à la fadeur ambiante. Stephie Mazunya défend honorablement le rôle secondaire de Jenny. Les autres personnages manquent toutefois de naturel. La figure de l’écrivain, incarnée par Emmanuel Schwartz, est compassée, tout comme celle des poètes qui l’environnent. La prestation juste de Marcel Pomerlo ne suffit pas à tempérer le râle plaintif du valétudinaire Jacques. Égale à elle-même, Anne-Marie Cadieux joue une Renata hautaine, mais dénuée de profondeur.
L’intégration de la musique, tantôt classique, tantôt électroacoustique, crée une atmosphère mouvante, adaptée à chaque tableau, qui fait adroitement écho aux nombreuses références musicales du texte.
Une soif inassouvie
Soifs matériaux demeure fidèle aux thèmes récurrents du cycle romanesque, tels les failles de la justice, la violence contre les femmes, le suprémacisme racial, la dévastation des guerres, le sort des enfants-soldats, l’affrontement du puritanisme et de la luxure, les ravages du sida, les naufrages de migrant·es. La « creuse sensation de soif » qui tenaille Renata, cette lancinante question à laquelle elle cherche désespérément une réponse, « comment concilier l’amour et l’errance », résument la quête de tous ces marginaux.
Cette ambitieuse adaptation de Soifs, la première en son genre, demeure fidèle à la voix singulière de la narration blaisienne, mais elle échoue à la transposer au théâtre. Elle comporte néanmoins de fécondes idées artistiques. Il faut espérer que le « chantier de création » suggéré par le titre aboutira à une œuvre plus achevée.
Soifs matériaux
Texte : Marie-Claire Blais. Adaptation : Denis Marleau. Mise en scène : Stéphanie Jasmin et Denis Marleau. Distribution : Florence Blain Mbaye, Jean-François Blanchard, Anne-Marie Cadieux, Sophie Cadieux, Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge, Alice Dorval, Lucien Gittes, Fayolle Jean, Fayolle Jr Jean, Yousef Kadoura, Luca Lebrun, Stephie Mazunya, Antoine Nicolas, Christiane Pasquier, Mina Petrous, Marcel Pomerlo, Dominique Quesnel, Mattis Savard-Verhoeven, Emmanuel Schwartz, Monique Spaziani. Musique : Philippe Brault, Jérôme Minière, Isabelle Bozzini, Stéphanie Bozzini, Alissa Cheung, Clemens Merkel. Régie : Carol-Anne Bourgon Sicard, Mylène Caya. Lecture : Gabrielle Couillard, Sophie Devirieux, Gabriel Rémy-Handfield. Diction : Marie-Claude Lefebvre. Scénographie : Stéphanie Jasmin, Marine Plasse. Costumes : Elen Ewing, Pascale Bassani, Nicole Langlois, Jeanne Dupré, Claudie Landry. Éclairage : Marc Parent, Lee Anholt, Delphine Rochefort-Boulanger. Composition : Philippe Brault, Jérôme Minière. Direction musicale : Philippe Brault. Son : Joël Lavoie, François Thibault, Renaud Dionne. Vidéo : Stéphanie Jasmin, Pierre Laniel, Florence Blais-Thivierge. Mouvement : Virginie Brunelle. Maquillage et coiffure : Julie Bégin, Marie Chinda Sok. Technique : Simon Beetschen, Sophie Bergeron. Production : Sylvain Béland. Une production de la compagnie Ubu à l’occasion du Festival TransAmériques, à l’affiche à Espace Go du 31 mai au 3 juin 2019.