Critiques

Toutes les choses parfaites : Apprivoiser la vie

A play a pie and a pintDuceppe

La pièce du dramaturge britannique Duncan Macmillan Toutes les choses parfaites, présentée à nouveau cet automne, est celle qui a été retenue pour initier à Montréal, à la Licorne en 2016, puis chez Duceppe en 2018, le concept, importé d’Écosse, de théâtre à prix modique, offert à l’heure de l’apéro et accompagné d’un verre et d’une collation. Concept fort sympathique, cela ne fait aucun doute. D’autant plus que la représentation, ici, a lieu dans les coulisses du théâtre de la Place des Arts, où des chaises ont été disposées sur de coquets tapis, autour d’une toute petite estrade. Pourtant, ce solo, traduit par Jean-Simon Traversy et interprété par François-Simon Poirier, aborde, certes en multipliant les incartades comiques, un sujet grave, soit le suicide et ses répercussions humaines.

C’est à sept ans, soit lorsque sa mère tente de mettre fin à ses jours, que le narrateur-héros a commencé à inventorier les menus plaisirs qui font en sorte que la vie mérite d’être vécue. Quoi qu’il en soit, les fusils à eau, les choses rayées ou encore le fait de voir quelqu’un tomber se révéleront impuissants à chasser les pulsions de mort animant celle-ci, qui tentera à nouveau de s’enlever la vie dix ans plus tard. L’adolescent s’affairera alors à bonifier sa liste, puis, toujours incapable d’insuffler l’envie d’exister à sa mère, la mettra de côté jusqu’à ce qu’il rencontre l’amour et découvre de tout nouveaux items à ajouter à son énumération.

La grande force de ce texte réside en son approche sensible, mais exempte de pathos, des états d’âme d’un fils confronté aux élans dépressifs de celle qui l’a mis au monde. Culpabilité, espoirs timides, insécurité et même une certaine morosité héréditaire se mêleront en lui tout au long de sa vie. Il y a donc plusieurs beaux moments d’émotions dans Toutes les choses parfaites. Malheureusement, on n’y laisse jamais vraiment libre cours puisque, à tout moment, le rythme et le fil narratif sont rompus par la participation du public. Spectateurs et spectatrices sont recruté·es afin de scander divers éléments de la liste, mais surtout pour incarner divers personnages secondaires, comme le père du jeune homme, l’enseignante auprès de qui il s’épanchait, la demoiselle qui fera fondre son cœur.

a play, a pie and a pintSi cette approche vise entre autres à apporter convivialité et humour au spectacle, elle prive celui-ci d’une part de sa portée dramatique, l’alourdit même parfois de malaises (qui ne sont pas nécessairement reliés au sujet abordé) et distrait l’auditoire du propos véhiculé. Il apparaît intéressant de noter que lors de la création de cette pièce interactive à Édimbourg, en 2014, le rôle avait été octroyé au stand-up comedian Jonny Donahoe, dont le métier d’humoriste lui avait permis de développer, au préalable, une certaine habileté relativement aux interactions avec le public. Car cette variable imprévisible ajoute un niveau de difficulté supplémentaire à la performance solo confiée à François-Simon Poirier. Il est par ailleurs raisonnable de supposer que la magie de l’expérience collective opère à différents degrés d’une représentation à l’autre.

La mise en scène de Frédéric Blanchette, plutôt nerveuse, ne laisse certainement pas place à l’apitoiement. Il était d’ailleurs important pour celui qui a aussi signé la pièce Des arbres de ne pas susciter l’incidence que l’on prête (et dont il est question dans le texte de Macmillan) aux Souffrances du jeune Werther, de Johann Wolfgang Von Goethe, soit une vague pandémique de suicide. L’effet émanant de Toutes les choses parfaites en est plutôt un de réconfort, voire d’incitation à la solidarité. En ripostant aux dogmes de la psychologie populaire et de la publicité prônant l’adhésion impérative au culte hégémonique d’un bonheur digne d’être affiché sur Instagram, en osant affirmer que tout individu aura au cours de sa vie, bien que sans forcément songer à attenter à ses jours, des doutes quant à la beauté de l’aventure humaine, ce spectacle sème le désir d’entamer sa propre liste des éléments qui donnent envie d’exister.

Toutes les choses parfaites

Texte : Duncan Macmillan. Traduction : Jean-Simon Traversy. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Scénographie : Jeanne Ménard-Leblanc. Éclairages : Renaud Pettigrew. Avec François-Simon Poirier. Une coproduction LAB87, Duceppe et Place des Arts présentée au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 4 octobre 2019.