Critiques

J’t’aime encore : Monologue à l’eau de rose sur fond de permaculture

La Licorne© Ariel Tarr

Seule en scène, Marie-Joanne Boucher tient les rênes de J’t’aime encore. Ce monologue, né d’une invitation lancée à la romancière Roxanne Bouchard (Nous étions les sels de la mer, Whisky et paraboles, En terrains minés), est mis en scène par François Bernier et présenté à la Petite Licorne, après une tournée dans plusieurs villes du Québec.

Visiblement à l’aise avec son texte, la comédienne, qui s’est fait connaître au petit écran pour ses rôles dans Virginie et Providence, livre avec justesse les questions qui le parcourent. Les doutes et les rêves abandonnés, le succès, l’enracinement, l’âge, l’infidélité, la pulsion de séduire sont abordés avec une dose d’humour qui empêche la lourdeur de s’installer.

Entre un amoureux souvent absent, un adolescent peu collaboratif, une jeune enfant toujours entre deux crises, une maison assez loin de la ville pour générer un sentiment d’isolement et un permajardin qui alourdit sa charge mentale, une comédienne dont la carrière est en perte de vitesse se voit confrontée à la visite impromptue d’une ancienne camarade de classe, désormais au sommet de sa carrière. Ce face-à-face forcé amorce une série de perturbations ébranlant l’équilibre de l’héroïne, qui, à l’aube de ses 40 ans, jette un regard interrogateur sur les choix qui ont déterminé son mode de vie.

La Licorne© Ariel Tarr

Présentée comme une lecture publique plutôt qu’un spectacle, cette performance ne manque pas de pointes de dérision et d’autodérision. Les jeux de lumière taquins de Martin Sirois ajoutent d’ailleurs une touche burlesque à la tonalité humoristique de la pièce. Cependant, les mécanismes comiques deviennent rapidement appuyés et apparents. L’enfilade de perma- quelque chose, tout au long du texte, est tellement récurrente qu’on la voit venir et l’effet tombe à plat. Le crowdworking, qui implique habituellement une plongée vertigineuse vers l’improvisation, doublée d’un habile sens de la répartie, échoue à convaincre. L’actrice ne quittant manifestement pas le carcan du texte, l’interaction avec le public semble filtrée et artificielle. Si l’idée d’apporter un morceau de happening dans la salle de spectacle, en proposant au public de déposer des mots d’amour dans un bol à fruits, semble dynamique sur papier, l’exécution en est laborieuse et la chute prévisible.

Les enjeux liés à la charge mentale, la division du travail ménager, la conciliation travail-famille, le soin des enfants, le care, les stéréotypes de rôles genrés apparaissent depuis une perspective féminine, mais n’aboutissent pas à une résolution originale et n’arrivent qu’à ressasser le dilemme entre poursuivre une grande carrière ou rester attachée à son fourneau. Une sorte de tout ou rien, qui ne s’impose qu’aux femmes si on en croit au succès de l’amoureux, dont le « nom est sur toutes les lèvres à Montréal », mais qui est aussi absent sur scène que dans son implication apparente au foyer. On se demande ainsi pourquoi, après avoir caché à son amoureuse l’invitation à un happening qui lui était destinée à elle, le conjoint se fâche lorsqu’elle décide de s’y rendre. Possessivité ? Manque de soutien en ce qui concerne la carrière de sa partenaire ? Et pourquoi, encore, le simple fait de penser à une infidélité pendant deux secondes mène la protagoniste à choisir une situation qu’elle n’a, de son propre aveu, jamais désirée, soit celle de la fée du logis qui sacrifie sa carrière au nom de l’amour, malencontreusement justifiée par des inégalités de genres au sein du couple. Le résultat évoque davantage une relation toxique et inéquitable que la belle histoire d’amour au dénouement heureux à laquelle on voudrait nous faire croire.

Toutefois, la pièce plaira sans doute à un public friand de comédies romantiques joviales et réconfortantes, mais elle peinera à persuader que « les mots les plus irrévérencieux à dire » sont, comme l’indique le metteur en scène dans le programme, « j’t’aime encore ».

J’t’aime encore

Texte : Roxanne Bouchard. Mise en scène : François Bernier. Interprétation : Marie-Joanne Boucher. Décor : Julie Vallée-Léger. Costumes et maquillages : Jennifer Tremblay. Éclairages : Martin Sirois. Musique : Ludovic Bonnier. Accessoires : Mariane Benny Perron. Une production d’Écoumène en codiffusion avec La Manufacture, présentée à La Licorne jusqu’au 11 octobre 2019.