La reprise de cette production du Théâtre Sortie de secours, 25 ans après sa création, s’avère à la hauteur du succès qu’elle a connu à l’époque. L’action se passe entre 1919 et 1923, à la Residencia de Estudiantes de Madrid, où cohabitent trois jeunes étudiants qui deviendront trois des plus grands artistes espagnols du XXe siècle. Le texte de Simone Chartrand et Philippe Soldevila nous convie à cette savoureuse rencontre-choc entre Salvador Dali, Luis Buñuel et Federico Garcia Lorca, qui vont marquer la peinture, le cinéma et la poésie.
Les jeunes hommes, issus de milieux bourgeois, se reconnaissent mutuellement un talent certain, et une amitié torturée naîtra de leur différence : il y a l’élégant poète, le déjà très original peintre et le futur cinéaste qui se cherche encore un destin. Partant de cette situation historique réelle, les deux dramaturges ont inventé Lolita, une chanteuse de cabaret qui deviendra leur muse et mentore. Ce personnage fantasque fréquente les grands de ce monde, des colonels jusqu’au roi d’Espagne, mais aussi les révolutionnaires et anarchistes qui ébranlent les colonnes du temple. Elle insuffle aux jeunes hommes encore naïfs la conscience de l’époque tourmentée où ils vivent. Mais elle excite aussi leurs neurones visionnaires en leur parlant du foisonnement culturel de Paris, attracteur des artistes du monde entier.
Basculer dans le décor
La scène naturaliste, saturée de portes, avec un lit, une table, quelques chaises et une scène avec piano, annonce d’emblée un décor de sitcom. Mais, soudain, cet espace narratif se disloque dans une chorégraphie de tous les instants. Pas de deux, pas de trois dans cette chambre où les étudiants se côtoient sans se voir ni se toucher. Couloirs, escaliers, cabaret, tous les lieux se dessinent par la seule action des comédiens, leurs déplacements étant conditionnés par des murs qu’on ne voit pas et en dialogue avec le piano.
La scène ainsi manipulée devient une architecture modulée où l’on voit la créativité se développer dans l’esprit des futures célébrités, au même rythme que celle de Soldevila s’éclate dans la mise à scène. Clin d’œil au cabaret des années 1920, au cinéma muet de Buster Keaton et Charles Chaplin, aux artistes étoiles comme Pablo Picasso, évocation du manifeste du surréalisme mettant « l’imaginaire au pouvoir », présence souterraine des poseurs de bombes et autres anarchistes.
Sur un ton léger de fête pour l’esprit, Le Miel est plus doux que le sang présente, au premier acte, la genèse de la créativité de ses protagonistes. Confrontations, discussions houleuses sur l’homosexualité, la virilité, les déviances, lorsque l’élégance, l’originalité et la force animale se rencontrent. Débat sur l’art et sa nature, son contenu, son esthétique, sa forme. Tel un leitmotiv, ils refuseront d’entendre le rêve de la danseuse de flamenco, figure symbolique d’un monde traditionnel et folklorique. Mais influencés par les surréalistes, ils écouteront enfin ce rêve où ils reconnaîtront la force des stratégies de création surréaliste, à l’exemple de la paranoïa-critique de Dali. Au deuxième acte, les destins sont scellés, et Buñuel trouve sa voie. Une scène de remue-méninges, en particulier, illustre le fonctionnement du cerveau créateur. Petit délice où on annonce les œuvres futures, dont plusieurs sont devenues célèbres.
Les cinq comédiens excellent dans leur interprétation, mais soulignons la remarquable présence de Gabriel Cloutier Tremblay, renversant en Lorca. La puissance brute et attachante d’Élie St-Cyr (Buñuel), jumelée aux étranges comportements à la fois condescendants et paranoïaques de Vincent Legault (Dali), complète bien ce trio exceptionnel. Malgré quelques failles dans la voix, Savina Figueras joue une Lolita, personnage clef du devenir artiste, fort convaincante. Karine Parisé, la danseuse-serveuse éconduite, exécute un flamenco décapant. L’omniprésente musique interprétée par Antoine Breton vient souder cette mise en scène réglée au quart de tour. Avec Le Miel est plus doux que le sang, le Théâtre Sortie de Secours nous offre un superbe cadeau à l’occasion de son 30e anniversaire.
Texte : Simone Chartrand et Philippe Soldevila. Mise en scène : Philippe Soldevila. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Musicien sur scène : Antoine Breton. Décor : Christian Fontaine d’après un décor original d’Anne Fortin. Lumières : Christian Fontaine. Musique : Antoine Breton d’après la musique originale de Marc Vallée et Pierre Potvin. Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt, assistée par Pascale Bassani. Avec Gabriel Cloutier Tremblay, Savina Figueras, Vincent Legault, Karine Parisé et Élie St-Cyr. Une production du Théâtre Sortie de Secours présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 5 octobre 2019.
La reprise de cette production du Théâtre Sortie de secours, 25 ans après sa création, s’avère à la hauteur du succès qu’elle a connu à l’époque. L’action se passe entre 1919 et 1923, à la Residencia de Estudiantes de Madrid, où cohabitent trois jeunes étudiants qui deviendront trois des plus grands artistes espagnols du XXe siècle. Le texte de Simone Chartrand et Philippe Soldevila nous convie à cette savoureuse rencontre-choc entre Salvador Dali, Luis Buñuel et Federico Garcia Lorca, qui vont marquer la peinture, le cinéma et la poésie.
Les jeunes hommes, issus de milieux bourgeois, se reconnaissent mutuellement un talent certain, et une amitié torturée naîtra de leur différence : il y a l’élégant poète, le déjà très original peintre et le futur cinéaste qui se cherche encore un destin. Partant de cette situation historique réelle, les deux dramaturges ont inventé Lolita, une chanteuse de cabaret qui deviendra leur muse et mentore. Ce personnage fantasque fréquente les grands de ce monde, des colonels jusqu’au roi d’Espagne, mais aussi les révolutionnaires et anarchistes qui ébranlent les colonnes du temple. Elle insuffle aux jeunes hommes encore naïfs la conscience de l’époque tourmentée où ils vivent. Mais elle excite aussi leurs neurones visionnaires en leur parlant du foisonnement culturel de Paris, attracteur des artistes du monde entier.
Basculer dans le décor
La scène naturaliste, saturée de portes, avec un lit, une table, quelques chaises et une scène avec piano, annonce d’emblée un décor de sitcom. Mais, soudain, cet espace narratif se disloque dans une chorégraphie de tous les instants. Pas de deux, pas de trois dans cette chambre où les étudiants se côtoient sans se voir ni se toucher. Couloirs, escaliers, cabaret, tous les lieux se dessinent par la seule action des comédiens, leurs déplacements étant conditionnés par des murs qu’on ne voit pas et en dialogue avec le piano.
La scène ainsi manipulée devient une architecture modulée où l’on voit la créativité se développer dans l’esprit des futures célébrités, au même rythme que celle de Soldevila s’éclate dans la mise à scène. Clin d’œil au cabaret des années 1920, au cinéma muet de Buster Keaton et Charles Chaplin, aux artistes étoiles comme Pablo Picasso, évocation du manifeste du surréalisme mettant « l’imaginaire au pouvoir », présence souterraine des poseurs de bombes et autres anarchistes.
Sur un ton léger de fête pour l’esprit, Le Miel est plus doux que le sang présente, au premier acte, la genèse de la créativité de ses protagonistes. Confrontations, discussions houleuses sur l’homosexualité, la virilité, les déviances, lorsque l’élégance, l’originalité et la force animale se rencontrent. Débat sur l’art et sa nature, son contenu, son esthétique, sa forme. Tel un leitmotiv, ils refuseront d’entendre le rêve de la danseuse de flamenco, figure symbolique d’un monde traditionnel et folklorique. Mais influencés par les surréalistes, ils écouteront enfin ce rêve où ils reconnaîtront la force des stratégies de création surréaliste, à l’exemple de la paranoïa-critique de Dali. Au deuxième acte, les destins sont scellés, et Buñuel trouve sa voie. Une scène de remue-méninges, en particulier, illustre le fonctionnement du cerveau créateur. Petit délice où on annonce les œuvres futures, dont plusieurs sont devenues célèbres.
Les cinq comédiens excellent dans leur interprétation, mais soulignons la remarquable présence de Gabriel Cloutier Tremblay, renversant en Lorca. La puissance brute et attachante d’Élie St-Cyr (Buñuel), jumelée aux étranges comportements à la fois condescendants et paranoïaques de Vincent Legault (Dali), complète bien ce trio exceptionnel. Malgré quelques failles dans la voix, Savina Figueras joue une Lolita, personnage clef du devenir artiste, fort convaincante. Karine Parisé, la danseuse-serveuse éconduite, exécute un flamenco décapant. L’omniprésente musique interprétée par Antoine Breton vient souder cette mise en scène réglée au quart de tour. Avec Le Miel est plus doux que le sang, le Théâtre Sortie de Secours nous offre un superbe cadeau à l’occasion de son 30e anniversaire.
Le Miel est plus doux que le sang
Texte : Simone Chartrand et Philippe Soldevila. Mise en scène : Philippe Soldevila. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Musicien sur scène : Antoine Breton. Décor : Christian Fontaine d’après un décor original d’Anne Fortin. Lumières : Christian Fontaine. Musique : Antoine Breton d’après la musique originale de Marc Vallée et Pierre Potvin. Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt, assistée par Pascale Bassani. Avec Gabriel Cloutier Tremblay, Savina Figueras, Vincent Legault, Karine Parisé et Élie St-Cyr. Une production du Théâtre Sortie de Secours présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 5 octobre 2019.