Il y a des spectacles qui marquent, qui restent gravés en soi et qui vont même jusqu’à teinter le regard que l’on porte sur la vie. Si Lentement la beauté a sans doute eu cet effet chez plusieurs lorsque la pièce fut créée à Québec en 2003, puis présentée à Montréal en 2004, c’est assurément ce que vit le héros de ce texte écrit en collectif par Michel Nadeau, Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Jack Robitaille, Pierre-François Legendre, Véronika Makdissi-Warren et Hugues Frenette, et qui fait l’objet d’une nouvelle mise en scène, elle aussi, comme la toute première, signée par Michel Nadeau.
Un fonctionnaire quadragénaire, marié – mais dont l’épouse, ayant embrassé une nouvelle carrière d’agente d’immeuble, a des horaires de travail incompatibles avec les siens – et père de deux enfants pratiquement adultes, peine à voir quel sens est censé avoir l’existence. La sienne, mais aussi celle de ses semblables. Entre un collègue trentenaire « galvanisé » par son plan de retraite à 55 ans et un autre, de la même tranche d’âge, dont la mort prématurée vient interrompre abruptement projets, espoirs et ambitions, cet homme à la sensibilité brute non rassasiée par une société où il faut à tout prix être « proactif », « efficient » et « congruent », cède sous le poids d’un spleen existentiel. Des billets pour une production des Trois Sœurs, d’Anton Tchékhov, gagnés dans le cadre d’un tirage, lui permettront d’entamer une démarche ontologique salvatrice.
Disons-le sans détour, Hugues Frenette – qui tenait le rôle du fils lors de la création de la pièce et qui, cette fois, campe le personnage central – offre une performance impeccable. Son jeu subtil, alliant retenue et vérité, donne corps à la quête de celui qu’il incarne, un homme dont l’éloquence, l’aisance à exprimer ce qu’il ressent est inversement proportionnelle à la vastitude des sentiments qu’il éprouve. La scène où il enjoint sa fille de choisir un métier qui la rendra heureuse, puis l’embrasse timidement sur le front, s’avère aussi exempte de grandiloquence que franchement émouvante.
Parmi le reste de la distribution, il convient aussi de noter l’apport de Charles-Étienne Beaulne, qui prête aux multiples personnages qui lui sont confiés, personnalité, humour et substance. D’ailleurs, la pièce oscille constamment entre le drame et la comédie, sans jamais s’enfoncer trop profondément dans l’un ou dans l’autre. Sauf peut-être lors de cette scène illustrant une réunion, où les collègues du protagoniste ne s’expriment qu’en charabia onomatopéique, un peu à la manière de dessins animés. À part cette incartade dissonant avec le ton doux-amer du spectacle, la mise en scène se révèle plutôt classique, pour ne pas dire sans grand relief. De la même façon, le décor, un long mur gris percé de portes et fenêtres, n’épate pas.
Le principal intérêt de Lentement la beauté réside donc, en plus de la prestation d’Hugues Frenette, en son propos, à savoir que l’art peut sauver des âmes naufragées, que le bonheur, la plénitude et l’épanouissement peuvent avoir des origines modestes, que plutôt que de chercher à tout prix un sens à la vie, on peut simplement décider de l’apprécier pour ce qu’elle est et que de se morfondre sur un Moscou mythique et hors de portée, comme le font les Macha, Olga et Irina de Tchékhov, est certainement moins profitable que de laisser lentement la beauté en latence un peu partout autour de soi produire son effet salutaire.
Texte : Michel Nadeau, en collaboration avec Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Pierre-François Legendre, Véronika Makssidi-Warren et Jack Robitaille. Mise en scène : Michel Nadeau. Scénographie, costumes et accessoires : Monique Dion. Musique : Stéphane Caron. Éclairages : Denis Guérette. Avec Charles-Étienne Beaulne, Claude Breton-Potvin, Hugues Frenette, Marc-Antoine Marceau, Véronika Makdissi-Warren et Nathalie Séguin. Une coproduction de la Bordée et du Théâtre Niveau Parking au Théâtre de la Bordée jusqu’au 12 octobre 2019.
Il y a des spectacles qui marquent, qui restent gravés en soi et qui vont même jusqu’à teinter le regard que l’on porte sur la vie. Si Lentement la beauté a sans doute eu cet effet chez plusieurs lorsque la pièce fut créée à Québec en 2003, puis présentée à Montréal en 2004, c’est assurément ce que vit le héros de ce texte écrit en collectif par Michel Nadeau, Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Jack Robitaille, Pierre-François Legendre, Véronika Makdissi-Warren et Hugues Frenette, et qui fait l’objet d’une nouvelle mise en scène, elle aussi, comme la toute première, signée par Michel Nadeau.
Un fonctionnaire quadragénaire, marié – mais dont l’épouse, ayant embrassé une nouvelle carrière d’agente d’immeuble, a des horaires de travail incompatibles avec les siens – et père de deux enfants pratiquement adultes, peine à voir quel sens est censé avoir l’existence. La sienne, mais aussi celle de ses semblables. Entre un collègue trentenaire « galvanisé » par son plan de retraite à 55 ans et un autre, de la même tranche d’âge, dont la mort prématurée vient interrompre abruptement projets, espoirs et ambitions, cet homme à la sensibilité brute non rassasiée par une société où il faut à tout prix être « proactif », « efficient » et « congruent », cède sous le poids d’un spleen existentiel. Des billets pour une production des Trois Sœurs, d’Anton Tchékhov, gagnés dans le cadre d’un tirage, lui permettront d’entamer une démarche ontologique salvatrice.
Disons-le sans détour, Hugues Frenette – qui tenait le rôle du fils lors de la création de la pièce et qui, cette fois, campe le personnage central – offre une performance impeccable. Son jeu subtil, alliant retenue et vérité, donne corps à la quête de celui qu’il incarne, un homme dont l’éloquence, l’aisance à exprimer ce qu’il ressent est inversement proportionnelle à la vastitude des sentiments qu’il éprouve. La scène où il enjoint sa fille de choisir un métier qui la rendra heureuse, puis l’embrasse timidement sur le front, s’avère aussi exempte de grandiloquence que franchement émouvante.
Parmi le reste de la distribution, il convient aussi de noter l’apport de Charles-Étienne Beaulne, qui prête aux multiples personnages qui lui sont confiés, personnalité, humour et substance. D’ailleurs, la pièce oscille constamment entre le drame et la comédie, sans jamais s’enfoncer trop profondément dans l’un ou dans l’autre. Sauf peut-être lors de cette scène illustrant une réunion, où les collègues du protagoniste ne s’expriment qu’en charabia onomatopéique, un peu à la manière de dessins animés. À part cette incartade dissonant avec le ton doux-amer du spectacle, la mise en scène se révèle plutôt classique, pour ne pas dire sans grand relief. De la même façon, le décor, un long mur gris percé de portes et fenêtres, n’épate pas.
Le principal intérêt de Lentement la beauté réside donc, en plus de la prestation d’Hugues Frenette, en son propos, à savoir que l’art peut sauver des âmes naufragées, que le bonheur, la plénitude et l’épanouissement peuvent avoir des origines modestes, que plutôt que de chercher à tout prix un sens à la vie, on peut simplement décider de l’apprécier pour ce qu’elle est et que de se morfondre sur un Moscou mythique et hors de portée, comme le font les Macha, Olga et Irina de Tchékhov, est certainement moins profitable que de laisser lentement la beauté en latence un peu partout autour de soi produire son effet salutaire.
Lentement la beauté
Texte : Michel Nadeau, en collaboration avec Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Pierre-François Legendre, Véronika Makssidi-Warren et Jack Robitaille. Mise en scène : Michel Nadeau. Scénographie, costumes et accessoires : Monique Dion. Musique : Stéphane Caron. Éclairages : Denis Guérette. Avec Charles-Étienne Beaulne, Claude Breton-Potvin, Hugues Frenette, Marc-Antoine Marceau, Véronika Makdissi-Warren et Nathalie Séguin. Une coproduction de la Bordée et du Théâtre Niveau Parking au Théâtre de la Bordée jusqu’au 12 octobre 2019.