C’est au Théâtre Denise-Pelletier que la compagnie saguenéenne La Rubrique reprend L’État, pièce créée l’année dernière à Jonquière. Solange Speilmann (Louise Laprade), éditorialiste vedette du journal L’État, s’apprête à remettre son dernier texte à François (Robert Lalonde), son ex-mari et rédacteur en chef. Seulement voilà, à cinq jours des élections provinciales, doit-on publier cet ultime éditorial ? Il faut dire qu’il constitue une véritable bombe politique ; l’inévitable scandale qui suivrait la révélation de cette histoire remontant à la crise d’Octobre pourrait même changer le résultat du vote et le sort du Québec. Les dés ne sont donc pas jetés puisque François Speilmann se demande s’il doit effectivement rendre l’affaire publique, d’autant plus que Solange est personnellement impliquée dans ce scoop. Ajoutez à cela le fait que le ministre de la Sécurité publique tire des ficelles et fait pression en coulisses. N’en disons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des futurs spectateurs et spectatrices.
Manipulations politiques et mort du papier
Difficile d’assister à L’État sans penser à nos élections fédérales – et spécifiquement à ce « scandale » tiré d’une photographie compromettante surgie du passé – comme à la toute récente commission sur l’avenir des médias. Manipulations politiques et mort annoncée des médias écrits conventionnels : le texte de Normand Canac-Marquis (Le Syndrome de Cézanne) ne pourrait être plus en phase avec l’actualité.
La pièce repose presque entièrement sur l’affrontement entre Solange et François. Solange, la combattante, à l’orée de la vieillesse et de la retraite, veut tirer sa révérence sur un coup d’éclat, mais surtout assumer son passé et révéler enfin la vérité. Elle incarne la quête d’absolu ; le mot kamikaze lui revient d’ailleurs sans cesse à la bouche. Son idéalisme se bute au pragmatisme et à la résignation de François, lui qui semble revenu de tout et complètement désillusionné : « Tu veux être quoi ? Une kamikaze ? Kamikaze, mon cul ! Tu sais parfaitement bien qu’en publiant maintenant, y aura rien d’autre à en tirer qu’un scandale […]. »
Omniprésente (ou presque), Louise Laprade livre une performance complexe dans un rôle exigeant. Sa Solange est aussi opiniâtre que tourmentée, parfois au bord de l’effondrement, et pour cause : elle a trop longtemps porté, non pas un, mais deux lourds secrets. Son insistance et sa propension à tout mélanger, comme le lui reproche à juste titre François, la rendent par moments agaçante. Si Solange est un personnage fort, ce n’est pas le cas de son ex-mari. Et Robert Lalonde ne semble pas toujours confortable dans ces souliers-là. Ses emportements sont faits de demi-mesures et son François reste flou, même en considérant que ce rédacteur en chef soit blasé et que le comédien ait voulu profiter de l’intimité de la salle Fred-Barry pour jouer la nuance. Le duel d’acteurs laisse donc le public sur sa faim, malgré de bons moments.
Qu’il s’agisse de la figure spectrale de la suicidée Maude Gagnon (Josée Gagnon), ouvrant la pièce et faisant songer à Hamlet, de cette contamination réciproque des sphères privées et publiques ou du dilemme cornélien de François (publier ou ne pas publier ?), on distingue ici et là des ombres de la tragédie classique, même si l’auteur a injecté une bonne dose de comique à sa pièce. À ce sujet, le personnage de Roxane Lasnier (Monique Gauvin), la secrétaire du journal, qui joue un peu le rôle de comic relief, apparaît peu convaincant.
En fin de compte, L’État laisse une impression mi-figue mi-raisin, du moins en ce qui concerne la dimension politique, car la joute de pouvoir proposée mise beaucoup plus sur les blessures personnelles et les traumas refoulés que sur les enjeux et les ressorts des officines de ce quatrième pouvoir que formeraient les médias de masse.
L’État
Texte : Normand Canac-Marquis. Mise en scène : Martine Beaulne. Assistance à la mise en scène : Manon Bouchard. Scénographie : Serge Lapierre. Costumes : Hélène Soucy. Lumières et vidéo : Alexandre Nadeau. Musique : Sylvie Grenier. Avec Louise Laprade, Robert Lalonde, Josée Gagnon et Monique Gauvin. Une production du Théâtre La Rubrique présentée en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier, à la Salle Fred-Barry jusqu’au 12 octobre 2019.
C’est au Théâtre Denise-Pelletier que la compagnie saguenéenne La Rubrique reprend L’État, pièce créée l’année dernière à Jonquière. Solange Speilmann (Louise Laprade), éditorialiste vedette du journal L’État, s’apprête à remettre son dernier texte à François (Robert Lalonde), son ex-mari et rédacteur en chef. Seulement voilà, à cinq jours des élections provinciales, doit-on publier cet ultime éditorial ? Il faut dire qu’il constitue une véritable bombe politique ; l’inévitable scandale qui suivrait la révélation de cette histoire remontant à la crise d’Octobre pourrait même changer le résultat du vote et le sort du Québec. Les dés ne sont donc pas jetés puisque François Speilmann se demande s’il doit effectivement rendre l’affaire publique, d’autant plus que Solange est personnellement impliquée dans ce scoop. Ajoutez à cela le fait que le ministre de la Sécurité publique tire des ficelles et fait pression en coulisses. N’en disons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des futurs spectateurs et spectatrices.
Manipulations politiques et mort du papier
Difficile d’assister à L’État sans penser à nos élections fédérales – et spécifiquement à ce « scandale » tiré d’une photographie compromettante surgie du passé – comme à la toute récente commission sur l’avenir des médias. Manipulations politiques et mort annoncée des médias écrits conventionnels : le texte de Normand Canac-Marquis (Le Syndrome de Cézanne) ne pourrait être plus en phase avec l’actualité.
La pièce repose presque entièrement sur l’affrontement entre Solange et François. Solange, la combattante, à l’orée de la vieillesse et de la retraite, veut tirer sa révérence sur un coup d’éclat, mais surtout assumer son passé et révéler enfin la vérité. Elle incarne la quête d’absolu ; le mot kamikaze lui revient d’ailleurs sans cesse à la bouche. Son idéalisme se bute au pragmatisme et à la résignation de François, lui qui semble revenu de tout et complètement désillusionné : « Tu veux être quoi ? Une kamikaze ? Kamikaze, mon cul ! Tu sais parfaitement bien qu’en publiant maintenant, y aura rien d’autre à en tirer qu’un scandale […]. »
Omniprésente (ou presque), Louise Laprade livre une performance complexe dans un rôle exigeant. Sa Solange est aussi opiniâtre que tourmentée, parfois au bord de l’effondrement, et pour cause : elle a trop longtemps porté, non pas un, mais deux lourds secrets. Son insistance et sa propension à tout mélanger, comme le lui reproche à juste titre François, la rendent par moments agaçante. Si Solange est un personnage fort, ce n’est pas le cas de son ex-mari. Et Robert Lalonde ne semble pas toujours confortable dans ces souliers-là. Ses emportements sont faits de demi-mesures et son François reste flou, même en considérant que ce rédacteur en chef soit blasé et que le comédien ait voulu profiter de l’intimité de la salle Fred-Barry pour jouer la nuance. Le duel d’acteurs laisse donc le public sur sa faim, malgré de bons moments.
Qu’il s’agisse de la figure spectrale de la suicidée Maude Gagnon (Josée Gagnon), ouvrant la pièce et faisant songer à Hamlet, de cette contamination réciproque des sphères privées et publiques ou du dilemme cornélien de François (publier ou ne pas publier ?), on distingue ici et là des ombres de la tragédie classique, même si l’auteur a injecté une bonne dose de comique à sa pièce. À ce sujet, le personnage de Roxane Lasnier (Monique Gauvin), la secrétaire du journal, qui joue un peu le rôle de comic relief, apparaît peu convaincant.
En fin de compte, L’État laisse une impression mi-figue mi-raisin, du moins en ce qui concerne la dimension politique, car la joute de pouvoir proposée mise beaucoup plus sur les blessures personnelles et les traumas refoulés que sur les enjeux et les ressorts des officines de ce quatrième pouvoir que formeraient les médias de masse.
L’État
Texte : Normand Canac-Marquis. Mise en scène : Martine Beaulne. Assistance à la mise en scène : Manon Bouchard. Scénographie : Serge Lapierre. Costumes : Hélène Soucy. Lumières et vidéo : Alexandre Nadeau. Musique : Sylvie Grenier. Avec Louise Laprade, Robert Lalonde, Josée Gagnon et Monique Gauvin. Une production du Théâtre La Rubrique présentée en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier, à la Salle Fred-Barry jusqu’au 12 octobre 2019.