Suivant La Dette de Dieu, qui abordait les thèmes de la surenchère du crédit et l’endettement dans son sens le plus large, la compagnie La nuit/Le bruit propose un deuxième opus : Contre la suite du monde. Cette fois, Jean-François Boisvenue et Claire Renaud s’attaquent plutôt au sentiment d’impuissance face à un monde sur lequel on a peu d’emprise et qui nous échappe, ainsi qu’à l’anxiété que cela génère dans un contexte de crise sociale et politique de plus en plus aiguë.
Sur scène, des objets caricaturaux aux couleurs primaires invitent aux ébats de la pensée, non sans rappeler les jeux télévisés où les concurrent·es les plus hardi·es s’affrontent dans des épreuves aussi ludiques qu’insensées. Lumières, sons et accessoires délimitent, réglementent et rythment la joute de façon convaincante, jusqu’à la saturation. Cette sensation est celle-là même que provoquent les technologies multimédias, qui accaparent notre attention jusqu’à l’épuisement, nous abandonnant au sentiment de vide et à une pulsion de décrochage social. Une saturation largement appuyée par l’interprétation dynamique des trois comédien·nes, Ève Pressault, Peter Farbridge et Philippe Racine, qui arrivent avec justesse tant à nous emporter du côté de la réflexion intellectuelle qu’à nous faire ressentir les sujets abordés.
Le théâtre devient un lieu de rencontre entre les quatre personnages : Ève, Philippe, Peter et le public. Leurs observations se chevauchent, passant de l’autodérision à la colère, au gré des dispositifs interactifs qui jalonnent leur déroulement. La cadence se fait procédurale. Les individus sont piégés dans le mécanisme qui les systématise et les avalent. Cet engrenage métaphorique donne à voir l’éclatement du social et du politique, de la communication surtout, ce liant du vivre-ensemble qui ne lie plus rien dans un monde de surinformations, où l’on navigue entre les fausses nouvelles et les commentaires haineux sur nos réseaux qui n’ont souvent de « sociaux » que le nom.
À la croisée du théâtre, de l’essai, des arts numériques et de la poésie, la pièce s’échelonne à la manière d’un laboratoire de pratiques intermédiales. Parfois sur le mode conflictuel, d’autres fois sur le mode dialogique, ces formes artistiques parlent et se parlent ; entre cacophonie et harmonie, on cherche un fil qui soit encore à même de produire du sens dans un monde en perte de repère.
Ce montage de réflexions éclectiques, qui se révèle parfois décousu, souvent entraînant, gagnerait toutefois à être resserré. Le démarrage est lent et certains monologues s’usent plus vite que les autres. C’est le cas du discours de Peter, sur la dépendance à la cigarette, dont l’intellectualisation poussée académise le sentiment, dressant ainsi un mur entre l’interprète et le public, et laissant celui-ci de glace devant la réalité dépeinte. De la même façon, la démonstration du non-sens d’une langue qui ne s’écrit pas comme elle s’entend échoue. L’écriture, difficile à déchiffrer, nous pousse à trancher en faveur de la convention sociale plutôt qu’en faveur de la liberté de l’enfant qui refuse de se plier à la norme.
Ceci dit, les insertions d’entrevues avec Alain Deneault (philosophe) et Zab Maboungou (artiste-chorégraphe, interprète, fondatrice de la compagnie Danse Nyata Nyata et philosophe) agissent comme des éclats de lumières, des temps de pause pour reprendre son souffle et se saisir de clés de lecture. Ainsi Contre la suite du monde peut se poser en point de rupture, non pas face à la pérennité du monde, mais face à la poursuite d’un monde nourri à la haine et à l’exclusion.
Texte et mise en scène : Claire Renaud et Jean-François Boisvenue. Assistance à la mise en scène et coordination de production : Marie-Jeanne Beaulieu. Scénographie et conception vidéo : Jean-François Boisvenue et Claire Renaud. Conception numérique, éclairages et régie : Catherine FP. Conception sonore : Marc-André Mignault. Conseiller artistique : René-Daniel Dubois. Direction technique : Dominic Dubé. Avec Peter Farbridge, Philippe Racine, Ève Pressault et avec la participation d’Alain Deneault et Zab Maboungou. Une production La nuit/Le bruit présentée au théâtre La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 2 novembre 2019.
Suivant La Dette de Dieu, qui abordait les thèmes de la surenchère du crédit et l’endettement dans son sens le plus large, la compagnie La nuit/Le bruit propose un deuxième opus : Contre la suite du monde. Cette fois, Jean-François Boisvenue et Claire Renaud s’attaquent plutôt au sentiment d’impuissance face à un monde sur lequel on a peu d’emprise et qui nous échappe, ainsi qu’à l’anxiété que cela génère dans un contexte de crise sociale et politique de plus en plus aiguë.
Sur scène, des objets caricaturaux aux couleurs primaires invitent aux ébats de la pensée, non sans rappeler les jeux télévisés où les concurrent·es les plus hardi·es s’affrontent dans des épreuves aussi ludiques qu’insensées. Lumières, sons et accessoires délimitent, réglementent et rythment la joute de façon convaincante, jusqu’à la saturation. Cette sensation est celle-là même que provoquent les technologies multimédias, qui accaparent notre attention jusqu’à l’épuisement, nous abandonnant au sentiment de vide et à une pulsion de décrochage social. Une saturation largement appuyée par l’interprétation dynamique des trois comédien·nes, Ève Pressault, Peter Farbridge et Philippe Racine, qui arrivent avec justesse tant à nous emporter du côté de la réflexion intellectuelle qu’à nous faire ressentir les sujets abordés.
Le théâtre devient un lieu de rencontre entre les quatre personnages : Ève, Philippe, Peter et le public. Leurs observations se chevauchent, passant de l’autodérision à la colère, au gré des dispositifs interactifs qui jalonnent leur déroulement. La cadence se fait procédurale. Les individus sont piégés dans le mécanisme qui les systématise et les avalent. Cet engrenage métaphorique donne à voir l’éclatement du social et du politique, de la communication surtout, ce liant du vivre-ensemble qui ne lie plus rien dans un monde de surinformations, où l’on navigue entre les fausses nouvelles et les commentaires haineux sur nos réseaux qui n’ont souvent de « sociaux » que le nom.
À la croisée du théâtre, de l’essai, des arts numériques et de la poésie, la pièce s’échelonne à la manière d’un laboratoire de pratiques intermédiales. Parfois sur le mode conflictuel, d’autres fois sur le mode dialogique, ces formes artistiques parlent et se parlent ; entre cacophonie et harmonie, on cherche un fil qui soit encore à même de produire du sens dans un monde en perte de repère.
Ce montage de réflexions éclectiques, qui se révèle parfois décousu, souvent entraînant, gagnerait toutefois à être resserré. Le démarrage est lent et certains monologues s’usent plus vite que les autres. C’est le cas du discours de Peter, sur la dépendance à la cigarette, dont l’intellectualisation poussée académise le sentiment, dressant ainsi un mur entre l’interprète et le public, et laissant celui-ci de glace devant la réalité dépeinte. De la même façon, la démonstration du non-sens d’une langue qui ne s’écrit pas comme elle s’entend échoue. L’écriture, difficile à déchiffrer, nous pousse à trancher en faveur de la convention sociale plutôt qu’en faveur de la liberté de l’enfant qui refuse de se plier à la norme.
Ceci dit, les insertions d’entrevues avec Alain Deneault (philosophe) et Zab Maboungou (artiste-chorégraphe, interprète, fondatrice de la compagnie Danse Nyata Nyata et philosophe) agissent comme des éclats de lumières, des temps de pause pour reprendre son souffle et se saisir de clés de lecture. Ainsi Contre la suite du monde peut se poser en point de rupture, non pas face à la pérennité du monde, mais face à la poursuite d’un monde nourri à la haine et à l’exclusion.
Contre la suite du monde
Texte et mise en scène : Claire Renaud et Jean-François Boisvenue. Assistance à la mise en scène et coordination de production : Marie-Jeanne Beaulieu. Scénographie et conception vidéo : Jean-François Boisvenue et Claire Renaud. Conception numérique, éclairages et régie : Catherine FP. Conception sonore : Marc-André Mignault. Conseiller artistique : René-Daniel Dubois. Direction technique : Dominic Dubé. Avec Peter Farbridge, Philippe Racine, Ève Pressault et avec la participation d’Alain Deneault et Zab Maboungou. Une production La nuit/Le bruit présentée au théâtre La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 2 novembre 2019.