Critiques

Dévoré(s) : L’Halloween n’est pas une excuse

© Maxim Paré Fortin

« C’est l’Halloween ! », répète plusieurs fois la mère, dans Dévoré(s), sur le ton qu’on emprunterait pour dire « C’est Noël ! », afin de mettre fin à une dispute puérile, ou pour dire « C’est le dernier jour du monde ! », en marquant l’importance exceptionnelle de cette journée. Mais l’Halloween, dans l’univers parallèle imaginé par Jean-Denis Beaudoin, est à la fois une marque de commerce télévisuelle, comme La Voix ou OD, et le jour où l’on joue sa vie.

Maxime Paré-Fortin

Dans une maison placardée, une mère (Lise Castonguay) s’affaire à faire bouillir les restes du chien de son fils (Mathieu Richard). Celui-ci, hagard et rongé par des cauchemars, se terre dans le trou qui lui sert de chambre. Arrive un livreur de lait (Hugues Frenette), qui passera la nuit, puis la petite amie (Ariane Bellavance-Fafard) et le meilleur ami (Dayne Simard) du fils, qui a un étrange intimidateur (Jean-Denis Beaudoin) sur les talons. L’assemblée participe à un jeu télévisé où toutes les horreurs sont permises pour capter l’attention des téléspectateurs et téléspectatrices, et remporter un gros lot.

Déjà, le mélange de tons et de référents culturels mérite notre attention. Accoler une téléréalité soumise à la faveur populaire et les films de série B nous entraîne dans des zones peu explorées au théâtre. Le « théâtre de l’horreur » développé par Jean-Denis Beaudoin, qui a retenu les services de Jocelyn Pelletier pour la mise en scène, verse dans le grotesque, l’absurde, les dédales de l’inconscient, les traumatismes d’enfance, la sorcellerie, l’anticipation, un patchwork audacieux qui manque nécessairement d’unité et qui a du mal à trouver son rythme.

Le public est tenu à distance et voit très bien les mécanismes (ou « effets spéciaux ») qui sont utilisés devant lui. Si des bruits soudains arrivent à nous faire sursauter et qu’un étalage de boyaux et une gorge tranchée réussissent à susciter un frisson de dégoût, on n’éprouve jamais vraiment la peur que l’auteur souhaitait engendrer. Ce n’est donc pas la violence, les effets stroboscopiques ou les coups de fusil qui nous échaudent pendant Dévoré(s), c’est autre chose, qui tient à la structure de l’intrigue. La banalité de certains échanges est questionnable sur le plan de l’écriture, mais puisqu’ils sont livrés avec une lenteur qui crée du malaise et de l’humour, elle trouve une certaine raison d’être sur scène.

Maxime Paré-Fortin

Après une séquence rythmée par le tournage en direct et les pauses publicitaires, la pièce s’enlise dans les explications tortueuses sur « ces monstres qui nous regardent de l’intérieur de nous ». Les actions s’éparpillaient déjà depuis le début de la pièce, mais c’est alors au tour des mots de s’obscurcir de poésie et de nous assommer tout à fait. Jouer sur les variations de rythmes, dans le débit des répliques et la mise en scène, crée des effets de surprise et de l’étrangeté, mais ce n’est pas pleinement maîtrisé. Peut-être à cause du texte lui-même, ou peut-être parce que la mise en scène de Jocelyn Pelletier semble suivre une théorie qui lui est propre et qui néglige de maintenir la tension nécessaire au thriller.

On retiendra tout de même la singularité de la proposition ainsi que le jeu complètement décalé des acteurs et actrices, qui ont dû avoir bien du plaisir à s’inscrire dans cette mascarade. Les mimiques et le ton de Lise Castonguay sont savoureux, tout comme les moments où les membres du groupe prend des airs de chevreuil surpris par des phares, lorsqu’ils sont filmés en direct. Toute la distribution fait preuve d’une conviction et d’un engagement honorables et évidents, malgré les lacunes de la pièce.

Dévoré(s)

Texte : Jean-Denis Beaudoin. Mise en scène : Jocelyn Pelletier. Conception du décor et des éclairages : Jean-François Labbé. Conception des costumes et accessoires : Virginie Leclerc. Conception vidéo : Keven Dubois. Conception musicale et sonore : Christophe Dubé. Avec Mathieu Ricard, Lise Castonguay, Hugues Frenette, Ariane Bellavance-Fafard, Dayne Simard et Jean-Denis Beaudoin. Une production de La Bête noire, présentée au théâtre Périscope jusqu’au 16 novembre 2019.