Fleuve repose sur quatre récits écrits à la première personne et signés par Sylvie Drapeau. Des histoires intimes qui relatent des périodes charnières de la vie de la comédienne, à savoir la fin tragique de quatre figures importantes de son entourage. Dans Le Fleuve, Le Ciel, L’Enfer et La Terre, elle livre des tranches de vie essentielles et marquantes à travers une écriture fine, précise et dense à la fois, sans fioritures ni digressions distrayantes. Chaque mot est pesé, réfléchi et lourd de sens. Chaque histoire se déploie dans la puissance évocatrice des paysages, des sentiments, des émotions, avec, toujours, l’insondable souffrance de la perte et du départ, et la rédemption qui s’y rattache, en trame de fond.
Déjà, dans les livres, la dimension poétique de l’écriture et l’universalité des émotions étaient paroxystiques. Transposer cette tétralogie sur scène représentait tout un défi, auquel s’est attelée Angela Konrad, avec la complicité de l’autrice. Mais il est parfois des évidences qu’il faut admettre : ces textes ne pouvaient pas se formater à une adaptation théâtrale classique. La metteure en scène a donc choisi de les faire simplement raconter par trois interprètes d’âges différents, mais représentant le même personnage, en ne gardant que l’essence de chacune des tragédies.
L’universalité des sentiments face à la mort
Le Fleuve ouvre ce quatuor d’hommages aux disparu·es de Sylvie Drapeau, racontant les conditions du décès accidentel du grand frère, Roch, noyé dans les eaux noires du fleuve. La meute, surnom que se donnaient les enfants de cette famille nombreuse, en sortira usée de désespoir, mais encore plus unie et soudée que jamais. Aussi personnel qu’il puisse être, ce récit est aussi celui du quotidien de la classe ouvrière de l’époque, coincée entre le travail et l’église. On voit déjà poindre la personnalité de Sylvie Drapeau, brillamment incarnée par Alice Bouchard, une jeune comédienne qui fait preuve d’une grande solidité. Le rôle est aussi tenu, en alternance, par Marion Vigneault.
Vient ensuite Le Ciel, évoquant non seulement la disparition de la mère, mais aussi les questionnements et les doutes d’une femme entrant dans l’âge adulte. Statique durant presque tout son monologue, Karelle Tremblay n’en reste pas moins envoûtante, avec une certaine nonchalance dans l’attitude, propre à la nouvelle génération. La beauté du texte de Sylvie Drapeau suspend le public aux lèvres de l’interprète.
Pour les deux derniers tableaux, L’Enfer et La Terre, Sylvie Drapeau se charge elle-même de nous raconter la vie tragique de son petit frère Richard, en proie à des épisodes psychotiques et atteint de schizophrénie, avant de nous décrire son propre anéantissement lorsque sa sœur aînée, l’autre artiste de la fratrie, a été terrassée par un AVC. Sans fausse pudeur, la comédienne décrit également sa propre cassure à la suite de tous ces drames familiaux. Elle livre aussi un intéressant passage sur son choix d’incarner des tragédies sur scène, ainsi que quelques réflexions savoureuses sur le métier de comédien·ne.
L’intelligence de la scénographie d’Anick La Bissonnière, bien que somme toute assez simple au premier abord, épouse l’idée de laisser toute la place aux mots. D’ailleurs, plus la représentation avance, moins la parole est poétique, et plus les acteurs et actrices se rapprochent du public. Le souvenir suranné des jeunes années, qui se déroule en fond de scène, laisse place à la réalité brute, comme si la fin inéluctable de sa vie semblait plus concrète, alors que Sylvie Drapeau est à l’avant-scène. Le placement judicieux des comédien·nes dans l’espace scénique, avec la complicité des éclairages de Sonoyo Nishikawa, ajoute une couche d’élégance esthétique à l’ensemble.
Malgré les morts tragiques, la déchirure des liens fraternel, sororal et maternel et la douleur des pertes successives, Fleuve est irradié d’une lumière apaisante et bienfaitrice. Par ces mots justes et tendres, Sylvie Drapeau arrive à transcender sa peine pour la commuer en un bonheur de vie libérateur et partagé.
Texte original et adaptation : Sylvie Drapeau. Mise en scène : Angela Konrad. Décor : Anick La Bissonnière. Costumes : Angela Konrad et Pierre-Guy Lapointe. Éclairages : Sonoyo Nishikawa. Conception vidéo : Thomas Payette et Antonin Gougeon Moisan. Musique : Simon Gauthier. Maquillages : Angelo Barsetti. Avec Sylvie Drapeau, Karelle Tremblay, Alice Bouchard et Marion Vigneault (en alternance), Samuël Côté, Patricia Houle, Théo Macameau, Jeanne Madore, Alex-Aimée Martel, Elle-Séane Martel, Rosalie Payotte, Edward Sheridan Moras. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et de La Fabrik présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 7 décembre 2019.
Fleuve repose sur quatre récits écrits à la première personne et signés par Sylvie Drapeau. Des histoires intimes qui relatent des périodes charnières de la vie de la comédienne, à savoir la fin tragique de quatre figures importantes de son entourage. Dans Le Fleuve, Le Ciel, L’Enfer et La Terre, elle livre des tranches de vie essentielles et marquantes à travers une écriture fine, précise et dense à la fois, sans fioritures ni digressions distrayantes. Chaque mot est pesé, réfléchi et lourd de sens. Chaque histoire se déploie dans la puissance évocatrice des paysages, des sentiments, des émotions, avec, toujours, l’insondable souffrance de la perte et du départ, et la rédemption qui s’y rattache, en trame de fond.
Déjà, dans les livres, la dimension poétique de l’écriture et l’universalité des émotions étaient paroxystiques. Transposer cette tétralogie sur scène représentait tout un défi, auquel s’est attelée Angela Konrad, avec la complicité de l’autrice. Mais il est parfois des évidences qu’il faut admettre : ces textes ne pouvaient pas se formater à une adaptation théâtrale classique. La metteure en scène a donc choisi de les faire simplement raconter par trois interprètes d’âges différents, mais représentant le même personnage, en ne gardant que l’essence de chacune des tragédies.
L’universalité des sentiments face à la mort
Le Fleuve ouvre ce quatuor d’hommages aux disparu·es de Sylvie Drapeau, racontant les conditions du décès accidentel du grand frère, Roch, noyé dans les eaux noires du fleuve. La meute, surnom que se donnaient les enfants de cette famille nombreuse, en sortira usée de désespoir, mais encore plus unie et soudée que jamais. Aussi personnel qu’il puisse être, ce récit est aussi celui du quotidien de la classe ouvrière de l’époque, coincée entre le travail et l’église. On voit déjà poindre la personnalité de Sylvie Drapeau, brillamment incarnée par Alice Bouchard, une jeune comédienne qui fait preuve d’une grande solidité. Le rôle est aussi tenu, en alternance, par Marion Vigneault.
Vient ensuite Le Ciel, évoquant non seulement la disparition de la mère, mais aussi les questionnements et les doutes d’une femme entrant dans l’âge adulte. Statique durant presque tout son monologue, Karelle Tremblay n’en reste pas moins envoûtante, avec une certaine nonchalance dans l’attitude, propre à la nouvelle génération. La beauté du texte de Sylvie Drapeau suspend le public aux lèvres de l’interprète.
Pour les deux derniers tableaux, L’Enfer et La Terre, Sylvie Drapeau se charge elle-même de nous raconter la vie tragique de son petit frère Richard, en proie à des épisodes psychotiques et atteint de schizophrénie, avant de nous décrire son propre anéantissement lorsque sa sœur aînée, l’autre artiste de la fratrie, a été terrassée par un AVC. Sans fausse pudeur, la comédienne décrit également sa propre cassure à la suite de tous ces drames familiaux. Elle livre aussi un intéressant passage sur son choix d’incarner des tragédies sur scène, ainsi que quelques réflexions savoureuses sur le métier de comédien·ne.
L’intelligence de la scénographie d’Anick La Bissonnière, bien que somme toute assez simple au premier abord, épouse l’idée de laisser toute la place aux mots. D’ailleurs, plus la représentation avance, moins la parole est poétique, et plus les acteurs et actrices se rapprochent du public. Le souvenir suranné des jeunes années, qui se déroule en fond de scène, laisse place à la réalité brute, comme si la fin inéluctable de sa vie semblait plus concrète, alors que Sylvie Drapeau est à l’avant-scène. Le placement judicieux des comédien·nes dans l’espace scénique, avec la complicité des éclairages de Sonoyo Nishikawa, ajoute une couche d’élégance esthétique à l’ensemble.
Malgré les morts tragiques, la déchirure des liens fraternel, sororal et maternel et la douleur des pertes successives, Fleuve est irradié d’une lumière apaisante et bienfaitrice. Par ces mots justes et tendres, Sylvie Drapeau arrive à transcender sa peine pour la commuer en un bonheur de vie libérateur et partagé.
Fleuve
Texte original et adaptation : Sylvie Drapeau. Mise en scène : Angela Konrad. Décor : Anick La Bissonnière. Costumes : Angela Konrad et Pierre-Guy Lapointe. Éclairages : Sonoyo Nishikawa. Conception vidéo : Thomas Payette et Antonin Gougeon Moisan. Musique : Simon Gauthier. Maquillages : Angelo Barsetti. Avec Sylvie Drapeau, Karelle Tremblay, Alice Bouchard et Marion Vigneault (en alternance), Samuël Côté, Patricia Houle, Théo Macameau, Jeanne Madore, Alex-Aimée Martel, Elle-Séane Martel, Rosalie Payotte, Edward Sheridan Moras. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et de La Fabrik présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 7 décembre 2019.