Critiques

Migraaaants : Comme autant de bouteilles à la mer

Conséquences de la mondialisation, des guerres civiles, des famines, des changements climatiques, les crises migratoires se multiplient un peu partout sur la planète. Des populations entières souffrent, étouffent et sont poussées à l’exil dans l’espoir d’une vie meilleure. On ne peut oublier la scène dramatique de cet enfant d’origine syrienne mort noyé en Méditerranée et découvert sur une plage turque en 2015. Ou encore, plus récemment, les 39 victimes vietnamiennes retrouvées dans un camion frigorifique près de Londres en Grande-Bretagne, résultat d’un sordide trafic de migrants.

Et pourtant, face à ces drames abjects, l’indifférence gagne du terrain. Anesthésiée par ce venin pernicieux, l’opinion publique a besoin d’être secouée. D’où la pertinence de présenter un texte comme celui de Mateï Visniec pour provoquer des réactions, susciter la réflexion. Né en 1956 dans la Roumanie totalitaire de Ceausescu, attiré par Kafka, Camus, Beckett, Ionesco et inspiré par le théâtre de l’absurde et du grotesque, cet auteur installé en France depuis 1987 use d’une plume  vitriolique. Ses textes sont traduits et joués dans plus d’une trentaine de pays.

Avec Migraaaants, Visniec signe une oeuvre frontale, composée de courtes scènes qui soulignent les contradictions d’un monde en pleine mutation. Ainsi, une migrante paye de son capital physique (rein, cornée) le droit de passage vers l’occident. Un président d’une démocratie bien-pensante doit réagir face au flot incessant de réfugié ·es pour contrer l’émergence de l’extrême droite dans son pays. Un grand-père cherche l’endroit où ont été inhumés ses enfants et petits-enfants, échoués sur une île perdue. Des publicitaires sans scrupules s’évertuent à inventer des gadgets anti-migratoires : barbelés écolo-esthétiques et détecteurs de battements de cœur pour débusquer les clandestin·es. Le ton est résolument caustique. Avec pareille matière, on est prêt à prendre le large et à faire face à la tempête.

Migraaants

Ressac attendu

Dans la salle intime du Théâtre Prospero, la scénographie est minimaliste. Quelques tabourets et deux lignes parallèles qui traversent l’espace scénique, suggérant tantôt des frontières, tantôt le bord de mer ou encore le bastingage d’une embarcation, constituent l’essentiel du décor. En fond de scène, un ensemble de vêtements monochromes placardés sur un panneau évoquent les lambeaux de vie laissés à la dérive. 

Pour habiter cet espace, une distribution aux origines diverses (roumaine, mexicaine, belgo-tunisienne, ukrainienne ) apporte toute la crédibilité voulue aux migrant·es exploité·es, aux passeurs étrangers sans scrupules et aux citoyen·nes confronté.es au débarquement des   intrus·es. Leur énergie est palpable. À souligner, la scène improbable entre deux expatriées (suaves Luiza Cocora et Lesly Velazquez) qui discutent avec une naïveté assumée des effets du corps féminin sur leurs congénères masculins. 

Toutefois, les maquillages ubuesques et le jeu frôlant trop souvent la caricature alourdissent la plupart des situations, où le grinçant est omniprésent et l’humour noir, constant. Une direction plus sensible aurait ajouté un peu de finesse à certaines scènes qui demandaient une émotion sentie. On aurait souhaité que la mise en scène de Margarita Herrera Dominguez traduise plus efficacement l’atmosphère du huis clos, de la promiscuité étouffante et des mouvements marins angoissants. On espérait être chamboulés.

Il en résulte un spectacle plein de bonne volonté mais un peu éparpillé, comme ces bouteilles lancées à la mer, dont le message reste malheureusement trop vague…

Migraaaants

Texte : Mateï Visniec. Mise en scène : Margarita Herrera-Dominguez. Assistance à la mise en scène : Ximena Ferrer. Installation scénographique : Claudia Bernal. Éclairages : Raul Herrera. Vidéo : Julien Blais. Conception sonore : Ian Alexandre. Costumes : Manon Guiraud. Conseil Dramaturgique : Florence Bobier. Directeur technique : William Couture. Mentor numérique : Teo Zamudio. Distribution : Luiza Cocora, Sébastien Dodge, Mohsen El Gharbi, Sasha Samar et Lesly Vélazquez. Une production du Coop Ludotek-art théâtre, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 30 novembre 2019.