Alors qu’on entend en bruit de fond le tumulte des manifestations, un professeur, Luc, et une étudiante, Zoé, se retrouvent isolés dans une salle de classe, préparés tant bien que mal à ce face-à-face. Le premier est contraint par la loi d’y être, l’autre l’a choisi. En effet, durant une grève étudiante, comme celle du Printemps érable de 2012, Zoé a obtenu de la cour une injonction forçant son professeur de philosophie à lui donner des cours sous peine d’emprisonnement. Déjà, la relation revêt un caractère inhabituel, car on est plutôt habitué à voir l’autorité du côté du professeur. Et la jeune fille est bien décidée à recevoir ce à quoi elle dit avoir droit. Cette instabilité, dès le départ, ouvre les portes aux multiples questionnements auxquels le public sera amené à participer.
Convaincue qu’il est primordial pour elle de finir ses études afin de participer activement à la vie en société, et mue par cette idée romanesque de faire sa marque, Zoé juge que l’action des grévistes n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Individualisme crasse ou liberté fondamentale ? Qu’est-ce qui prime : l’individu ou le groupe ? La majorité a-t-elle forcément raison ? Doit-on toujours se ranger de son côté ? Bonnes questions !
Mais déterminer la justesse ou non de sa position n’est pas le cœur de ce spectacle écrit et mis en scène par Olivier Choinière. En effet, celui-ci choisit cette situation pour amener tous et chacun·e à s’interroger sur les motivations derrière les gestes, sur les conséquences de ces gestes ainsi que sur les contraintes, familiales et sociales qui, veut veut pas, les influencent. C’est l’occasion d’une véritable rencontre entre deux individus forcés par un conflit social à « vivre » un cours de philosophie !
Ainsi assisterons-nous à un chassé-croisé de questions et de réponses, mais plus souvent de questions, le professeur jouant de la maïeutique, selon la tradition socratique, méthode qui veut que l’interlocuteur trouve lui-même ses réponses. Mais Zoé lui emboîtera rapidement le pas, délaissant sa posture de départ : « Apprenez-moi quelque chose, vous êtes le prof ! », pour finalement pousser Luc aussi dans ses retranchements, le forçant à une redéfinition de sa propre liberté.
Le décor est simple mais efficacement symbolique : les personnages évoluent sur une plate-forme restreinte montée sur la grande scène du théâtre où sont plantées des chaises vides, métaphore des grévistes absent·es de la salle de classe mais, paradoxalement, toujours présent·es. On ne peut faire fi du collectif ! Incliné, ce « ring » force les interprètes à des jeux d’équilibre qui ne font qu’accentuer les efforts des personnages à trouver leurs repères. Les éclairages, qui modulent l’espace, la répétition de certaines scènes, légèrement modifiées, participent de la multiplication des points de vue. L’idée même de décuplement des perspectives étant le moteur de cette mise en scène.
De l’importance de la transmission
Marc Béland incarne un professeur de philosophie au collégial tout à fait crédible, un peu débraillé, débonnaire mais franc, très loin du Pygmalion auquel certain·es se seraient peut-être attendu·es devant cette situation professeur / étudiante. Devant lui, Zoé Tremblay-Bianco impose une Zoé sûre d’elle-même, un peu crâneuse, toutefois finalement capable d’introspection. Ils forment un duo qui touche les spectateurs et spectatrices.
L’être humain est à la fois individu et partie d’une collectivité, une personne et un·e citoyen·ne, et on ne peut nier que les deux sont en constante interrelation. Mais comment vivre cette dualité ? La pièce Zoé montre que la philosophie, qui se penche sur ces questions depuis des lustres, peut contribuer, sinon à résoudre toutes les situations où des possibilités opposées se présentent, du moins à les comprendre.
Quelques réserves, relatives à des costumes de Zoé (qui parleront peut-être plus à un public jeune), à des allusions guerrières mal intégrées et à une fin un peu obscure, n’empêchent pas d’apprécier l’ensemble.
Ce spectacle ne peut qu’être bénéfique, car il souligne combien la réflexion, le dialogue, la confrontation des idées, voire la capacité à se mettre dans la peau de l’autre, sont nécessaires pour éviter l’intransigeance et le dogmatisme. Sans laisser entendre qu’il ne s’adresse qu’aux jeunes, il est certain qu’il est parfait pour le Théâtre Denise-Pelletier !
Texte et mise en scène : Olivier Choinière. Interprétation : Marc Béland et Zoé Tremblay-Bianco. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Dramaturgie : Andréane Roy. Direction de création : Annie Lalande. Scénographie : Simon Guilbault. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : André Rioux. Conception vidéo : Hugues Caillères et Antonin Gougeon / HUB Studio. Conception sonore : Éric Forget. Coiffures et maquillages : Sylvie Rolland Provost. Assistance aux costumes : Robin Brazill. Une coproduction Théâtre Denise-Pelletier et L’ACTIVITÉ, à l’affiche jusqu’au 29 février 2020.
Alors qu’on entend en bruit de fond le tumulte des manifestations, un professeur, Luc, et une étudiante, Zoé, se retrouvent isolés dans une salle de classe, préparés tant bien que mal à ce face-à-face. Le premier est contraint par la loi d’y être, l’autre l’a choisi. En effet, durant une grève étudiante, comme celle du Printemps érable de 2012, Zoé a obtenu de la cour une injonction forçant son professeur de philosophie à lui donner des cours sous peine d’emprisonnement. Déjà, la relation revêt un caractère inhabituel, car on est plutôt habitué à voir l’autorité du côté du professeur. Et la jeune fille est bien décidée à recevoir ce à quoi elle dit avoir droit. Cette instabilité, dès le départ, ouvre les portes aux multiples questionnements auxquels le public sera amené à participer.
Convaincue qu’il est primordial pour elle de finir ses études afin de participer activement à la vie en société, et mue par cette idée romanesque de faire sa marque, Zoé juge que l’action des grévistes n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Individualisme crasse ou liberté fondamentale ? Qu’est-ce qui prime : l’individu ou le groupe ? La majorité a-t-elle forcément raison ? Doit-on toujours se ranger de son côté ? Bonnes questions !
Mais déterminer la justesse ou non de sa position n’est pas le cœur de ce spectacle écrit et mis en scène par Olivier Choinière. En effet, celui-ci choisit cette situation pour amener tous et chacun·e à s’interroger sur les motivations derrière les gestes, sur les conséquences de ces gestes ainsi que sur les contraintes, familiales et sociales qui, veut veut pas, les influencent. C’est l’occasion d’une véritable rencontre entre deux individus forcés par un conflit social à « vivre » un cours de philosophie !
Ainsi assisterons-nous à un chassé-croisé de questions et de réponses, mais plus souvent de questions, le professeur jouant de la maïeutique, selon la tradition socratique, méthode qui veut que l’interlocuteur trouve lui-même ses réponses. Mais Zoé lui emboîtera rapidement le pas, délaissant sa posture de départ : « Apprenez-moi quelque chose, vous êtes le prof ! », pour finalement pousser Luc aussi dans ses retranchements, le forçant à une redéfinition de sa propre liberté.
Le décor est simple mais efficacement symbolique : les personnages évoluent sur une plate-forme restreinte montée sur la grande scène du théâtre où sont plantées des chaises vides, métaphore des grévistes absent·es de la salle de classe mais, paradoxalement, toujours présent·es. On ne peut faire fi du collectif ! Incliné, ce « ring » force les interprètes à des jeux d’équilibre qui ne font qu’accentuer les efforts des personnages à trouver leurs repères. Les éclairages, qui modulent l’espace, la répétition de certaines scènes, légèrement modifiées, participent de la multiplication des points de vue. L’idée même de décuplement des perspectives étant le moteur de cette mise en scène.
De l’importance de la transmission
Marc Béland incarne un professeur de philosophie au collégial tout à fait crédible, un peu débraillé, débonnaire mais franc, très loin du Pygmalion auquel certain·es se seraient peut-être attendu·es devant cette situation professeur / étudiante. Devant lui, Zoé Tremblay-Bianco impose une Zoé sûre d’elle-même, un peu crâneuse, toutefois finalement capable d’introspection. Ils forment un duo qui touche les spectateurs et spectatrices.
L’être humain est à la fois individu et partie d’une collectivité, une personne et un·e citoyen·ne, et on ne peut nier que les deux sont en constante interrelation. Mais comment vivre cette dualité ? La pièce Zoé montre que la philosophie, qui se penche sur ces questions depuis des lustres, peut contribuer, sinon à résoudre toutes les situations où des possibilités opposées se présentent, du moins à les comprendre.
Quelques réserves, relatives à des costumes de Zoé (qui parleront peut-être plus à un public jeune), à des allusions guerrières mal intégrées et à une fin un peu obscure, n’empêchent pas d’apprécier l’ensemble.
Ce spectacle ne peut qu’être bénéfique, car il souligne combien la réflexion, le dialogue, la confrontation des idées, voire la capacité à se mettre dans la peau de l’autre, sont nécessaires pour éviter l’intransigeance et le dogmatisme. Sans laisser entendre qu’il ne s’adresse qu’aux jeunes, il est certain qu’il est parfait pour le Théâtre Denise-Pelletier !
ZOÉ
Texte et mise en scène : Olivier Choinière. Interprétation : Marc Béland et Zoé Tremblay-Bianco. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Dramaturgie : Andréane Roy. Direction de création : Annie Lalande. Scénographie : Simon Guilbault. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : André Rioux. Conception vidéo : Hugues Caillères et Antonin Gougeon / HUB Studio. Conception sonore : Éric Forget. Coiffures et maquillages : Sylvie Rolland Provost. Assistance aux costumes : Robin Brazill. Une coproduction Théâtre Denise-Pelletier et L’ACTIVITÉ, à l’affiche jusqu’au 29 février 2020.