Le Devisement du monde est le dernier morceau du « Triptyque migratoire » de Kevin McCoy, où il explore le cheminement des migrant·es, ces nouveaux citoyens du 21e siècle qui vivent déracinement et transhumance. Après Ailleurs (lui et ses comparses migrants, 2006) et Norge (lui et sa filiation maternelle norvégienne, 2015), Le Devisement porte sur la relation père-fils. Au premier acte, l’auteur se rend au chevet de son père comateux sur lequel il veillera dans les derniers jours de sa vie. Celui-ci ne se réveillera que l’espace d’un moment pour recevoir le témoignage de son fils, qui lui déclare un amour filial profond : il est le phare de sa vie. Pendant les cinq jours de cette agonie silencieuse, il lui lit des passages du Devisement du monde, le célèbre récit de Marco Polo sur l’empire mongol de Kubilai Khan.
Au deuxième acte, la scène se déplace en Mongolie, dans la yourte de Saraa, une jeune mongole préposée aux soins palliatifs rencontrée au chevet du paternel. Changement de décor, changement de propos : la relation avec son père Larry fait place au lien père-fils des marchands vénitiens Niccolò et Marco Polo, comme une métaphore dont le sens nous échappe. McCoy y présente des scènes de la vie quotidienne dans la steppe mongole : traite de vache, cueillette de bouse, rassemblement du troupeau de moutons et, enfin, la statue de Marco Polo à Oulan-Bator… Cette vie au ralenti, interrompue par l’arrivée inopinée d’un photographe de guerre en quête de chamanes, devient le prétexte d’une ethnographie de surface. Où la simplicité et l’hospitalité paysannes sont mises en opposition au fugace voyageur, qui s’alimente à l’exotisme des mythologies pré-monothéistes.
On parvient mal à saisir le propos de cette pièce, comme si le projet en était encore aux balbutiements, remplis de maladresses et surtout d’une grande vacuité. Sur le plan formel, tout se déroule à partir d’un plateau circulaire rotatif, la rencontre avec le père alité, puis le séjour dans la yourte au deuxième acte. Le jeu et les espaces sont amplifiés par une captation vidéo en direct diffusée en fond de scène. Les gros plans sur les protagonistes, vus de face, vus du plafond, Venise traversée en gondole, les steppes de Mongolie… se fondent avec les comédien·nes sur scène. Ce déplacement de perspective invite le public à modifier son point de vue. La dynamique de l’image parvient à maintenir quelque peu l’attention dans une proposition tout en lenteur, basculant parfois dans la longueur. Mais le dispositif, malgré la polyvalence d’un Louis Fortier qui interprète les autres personnages, ne parvient pas à maintenir l’intérêt.
Il y a des moments touchants de sincérité dans la première partie, dont cette scène de rage d’un McCoy exaspéré, comme s’il sortait de son corps, alors qu’il accepte de se soumettre aux consignes du préposé. Mais, au-delà de cette mise en scène, on reste sur son appétit, tellement le repas est léger. Comme si le deuxième acte était décroché du premier, donnant l’impression d’assister à deux pièces. La première sur le rapprochement ultime entre un fils et son père. La seconde comme un récit de voyage alimenté de clichés et de quelques notes superficielles, autant pour le portrait de la Mongolie actuelle que pour la mythologique de Marco Polo, réduit à une statue ignorée dans Oulan-Bator. On ne parvient à intégrer ni la magnifique carte de Fra Mauro (15e s.), qui a donné son nom à une zone lunaire, ni l’insertion du vol d’Apollo 14, qui nous y amène à la fin du spectacle, alors que la Lune se rapproche jusqu’à occuper tout le champ de vision. Toutes ces pistes d’« explication » du monde ne dessinent plus alors que le portrait googlé de notre planète.
Le Devisement du monde
Texte, mise en scène : Kevin McCoy. Avec Louis Fortier, Kevin McCoy et Sarangerel Tserenpil. Assistance à la mise en scène : Catherine Allard. Scénographie et accessoires : Christian Fontaine. Costumes et accessoires : Jeanne Lapierre. Éclairages : Laurent Routhier. Vidéo : Jocelyn Langlois. Musique originale : Miriane Rouillard. Environnement sonore : François Leclerc. Collaboration artistique : Louis Fortier, Nicolas Léger et Sarangerel Tserenpil. Production du Théâtre Humain, présentée au Diamant jusqu’au 20 février. Le Triptyque migratoire est offert en intégral le 22 février.
Le Devisement du monde est le dernier morceau du « Triptyque migratoire » de Kevin McCoy, où il explore le cheminement des migrant·es, ces nouveaux citoyens du 21e siècle qui vivent déracinement et transhumance. Après Ailleurs (lui et ses comparses migrants, 2006) et Norge (lui et sa filiation maternelle norvégienne, 2015), Le Devisement porte sur la relation père-fils. Au premier acte, l’auteur se rend au chevet de son père comateux sur lequel il veillera dans les derniers jours de sa vie. Celui-ci ne se réveillera que l’espace d’un moment pour recevoir le témoignage de son fils, qui lui déclare un amour filial profond : il est le phare de sa vie. Pendant les cinq jours de cette agonie silencieuse, il lui lit des passages du Devisement du monde, le célèbre récit de Marco Polo sur l’empire mongol de Kubilai Khan.
Au deuxième acte, la scène se déplace en Mongolie, dans la yourte de Saraa, une jeune mongole préposée aux soins palliatifs rencontrée au chevet du paternel. Changement de décor, changement de propos : la relation avec son père Larry fait place au lien père-fils des marchands vénitiens Niccolò et Marco Polo, comme une métaphore dont le sens nous échappe. McCoy y présente des scènes de la vie quotidienne dans la steppe mongole : traite de vache, cueillette de bouse, rassemblement du troupeau de moutons et, enfin, la statue de Marco Polo à Oulan-Bator… Cette vie au ralenti, interrompue par l’arrivée inopinée d’un photographe de guerre en quête de chamanes, devient le prétexte d’une ethnographie de surface. Où la simplicité et l’hospitalité paysannes sont mises en opposition au fugace voyageur, qui s’alimente à l’exotisme des mythologies pré-monothéistes.
On parvient mal à saisir le propos de cette pièce, comme si le projet en était encore aux balbutiements, remplis de maladresses et surtout d’une grande vacuité. Sur le plan formel, tout se déroule à partir d’un plateau circulaire rotatif, la rencontre avec le père alité, puis le séjour dans la yourte au deuxième acte. Le jeu et les espaces sont amplifiés par une captation vidéo en direct diffusée en fond de scène. Les gros plans sur les protagonistes, vus de face, vus du plafond, Venise traversée en gondole, les steppes de Mongolie… se fondent avec les comédien·nes sur scène. Ce déplacement de perspective invite le public à modifier son point de vue. La dynamique de l’image parvient à maintenir quelque peu l’attention dans une proposition tout en lenteur, basculant parfois dans la longueur. Mais le dispositif, malgré la polyvalence d’un Louis Fortier qui interprète les autres personnages, ne parvient pas à maintenir l’intérêt.
Il y a des moments touchants de sincérité dans la première partie, dont cette scène de rage d’un McCoy exaspéré, comme s’il sortait de son corps, alors qu’il accepte de se soumettre aux consignes du préposé. Mais, au-delà de cette mise en scène, on reste sur son appétit, tellement le repas est léger. Comme si le deuxième acte était décroché du premier, donnant l’impression d’assister à deux pièces. La première sur le rapprochement ultime entre un fils et son père. La seconde comme un récit de voyage alimenté de clichés et de quelques notes superficielles, autant pour le portrait de la Mongolie actuelle que pour la mythologique de Marco Polo, réduit à une statue ignorée dans Oulan-Bator. On ne parvient à intégrer ni la magnifique carte de Fra Mauro (15e s.), qui a donné son nom à une zone lunaire, ni l’insertion du vol d’Apollo 14, qui nous y amène à la fin du spectacle, alors que la Lune se rapproche jusqu’à occuper tout le champ de vision. Toutes ces pistes d’« explication » du monde ne dessinent plus alors que le portrait googlé de notre planète.
Le Devisement du monde
Texte, mise en scène : Kevin McCoy. Avec Louis Fortier, Kevin McCoy et Sarangerel Tserenpil. Assistance à la mise en scène : Catherine Allard. Scénographie et accessoires : Christian Fontaine. Costumes et accessoires : Jeanne Lapierre. Éclairages : Laurent Routhier. Vidéo : Jocelyn Langlois. Musique originale : Miriane Rouillard. Environnement sonore : François Leclerc. Collaboration artistique : Louis Fortier, Nicolas Léger et Sarangerel Tserenpil. Production du Théâtre Humain, présentée au Diamant jusqu’au 20 février. Le Triptyque migratoire est offert en intégral le 22 février.