Critiques

Small Mouth Sounds : Le silence, c’est tendance

© Leslie Schachter

Cours de yoga, méditation, retraites déconnectées… les cures de silence s’invitent aussi au théâtre, ces temps-ci, au Centre Segal, où la metteuse en scène « maison » propose sa version de Small Mouth Sounds, une comédie de Bess Wohl présentée à New York en 2015 et restée dans un circuit plutôt confidentiel depuis. Six personnages en quête de silence devront se côtoyer lors d’une retraite de cinq jours en pleine nature, seulement guidés par la voix d’un gourou dématérialisé. La production usurpe allègrement son titre en proposant un spectacle bavard (en anglais), aux enfantillages parfois rigolos mais perdus dans une mise en scène brouillon que ne cache pas le joli feuillage d’une forêt reconstituée.

Tous les ingrédients d’une troupe de bouffons plongés dans la vie en communauté sont à la disposition de la metteuse en scène qui, malheureusement, peine à les exploiter. Il y a le yogi allumé et libidineux, prompt à éveiller tous ses sens à la moindre occasion. Le couple de lesbiennes au bord de l’implosion, à la recherche d’un nouveau souffle. L’accro au cellulaire et au sac de chips, anxieuse, hystérique et névrosée. Le grand blessé sur qui tous les malheurs s’abattent, et enfin, celui dont on se demande jusqu’au bout ce qu’il fait là. Tous et toutes ont signé pour ce programme aussi vertueux qu’impraticable : « Une pause dans votre routine, une pause de vous-même. » Si seulement…

© Leslie Schachter

Une parodie de Vipassana

La première nuit révèle les contradictions des uns et des autres, souvent hantés de mauvaise foi. On s’empiffre en cachette alors que le règlement l’interdit, on parle, on textote, on fume, on ose sortir un bâton d’encens (aussi interdit, malheureux !). Les entorses au règlement restent gentillettes et alimentent à tout petit feu un comique de situation éculé. Emberlificotages amoureux, arrangements entre amis, esprit de camp de vacances… Les blagues, souvent puériles, finissent pas être navrantes et le jeu de certains acteurs, franchement insupportable. C’est triste, on a parfois l’impression d’assister à du (mauvais) théâtre amateur. À bout de nerfs, l’un des personnages s’écriera : « Who needs enlightment, just have Merlot ! » (« Qui a besoin d’illumination, buvons plutôt du Merlot ! »). On acquiesce : par où la sortie ?

L’intrigue de Bess Wohl passe à côté d’une critique sociale qui avait matière à être plus féroce : l’engouement absurde pour n’importe quoi, la dictature du plaisir immédiat, les remises en question d’une catégorie de gens qui n’ont pas de problèmes majeurs dans la vie mais toute une palanquée de problèmes mineurs extrêmement préoccupants… La dernière scène apporte une nuance de ton inattendue, comme un essai de rattrapage d’un fond sinon monolithique.

Il faut néanmoins rendre hommage au dispositif bifrontal de la salle, qui oblige spectatrices et spectateurs à l’être d’eux-mêmes ; un choix raccord avec l’enfermement en communauté, qui incite à se toiser mutuellement. On peut donc affirmer que de l’autre côté du plateau il y eut des sourires, quelques éclats de rire isolés et des mines franchement consternées.

© Leslie Schachter

Small Mouth Sounds 

Texte :  Bess Wohl. Mise en scène : Caitlin Murphy. Avec Andreas Apergis, Marcelo Arroyo, Alison Darcy, Matthew Gagnon, Gabe Grey, Zara Jestadt et Warona Setshwaelo. Décors : Bruno-Pierre Houle. Costumes : Sophie El Assaad. Éclairages : Martin Sirois. Musique et son : Rob Denton. Régisseuse : Heather Ellen Strain. Régisseuse apprentie : Tali Anzel-Sivkin. Une production du Centre Segal des arts de la scène présentée jusqu’au 1er mars 2020.

Maud Cucchi

À propos de

Collaboratrice de JEU depuis 2016, elle a été journaliste culturelle au quotidien Le Droit, à Ottawa, pendant 9 ans.