Un an après avoir tué le père, la mère et le fils revivent en boucle ce souper fatidique. Eux qui croyaient s’être libérés du monstre, se trouvent au contraire emprisonnés dans une ritournelle de la souffrance qui les ramène sans arrêt dans la tourmente de la violence familiale. Le texte de Nicolas Fretel explore sans complaisance les mécanismes autodestructeurs qui poussent le trio au cœur de l’abîme. Texte coup de poing où s’entremêlent alcoolisme, inceste, torture psychologique… Ici, aucun des protagonistes ne peut invoquer la vertu. Tous sont contaminés par des pulsions contradictoires, embourbés dans un cycle ancestral, d’où ce titre évocateur : HLA (de l’anglais Human Leucocyte Antigen) comme facteur génétique qui se transmettrait de génération en génération. Fretel, ex-fonctionnaire au ministère de la Justice de France, a pu observer pendant 15 ans les cas lourds de maltraitance sur les enfants. Les dommages de la violence familiale sont plus dévastateurs que toutes les guerres. Alors, comment sortir de cette fatalité ? Comment échapper à sa propre abjection ?
Cette tragédie techno, où le texte s’appuie sur une musique électronique de sampling, s’impose tel un vers d’oreille qui se répète à l’infini, nous emportant dans l’abysse. « Je l’aime j’ai peur et j’ai honte à penser avec remords au plaisir troublant de ses douleurs. » Voilà bien le cœur du drame : la mère refuse de condamner le père abuseur, dominateur, parce que, dit-elle, « les mauvais moments s’effacent et s’estompent comme le faisaient ses traces sur mon corps ». La haine de l’autre se confond avec la haine de soi-même, la condamnation n’étant jamais univoque. Jusqu’au père qui suggère à son fils de le tuer pour se libérer enfin de ce traumatisme, qui l’a dénaturé lui aussi dans son enfance.
La scène comme salle de torture
La scénographie dépouillée consiste en un mur de céramique blanche, avec deux portes d’accès latéral. Au centre, une table massive devant un buffet, sur lequel est déposé un aquarium. La technologie est bien visible, disposée au sol devant le public. Dispositif sans histoire, espace froid et neutre, comme un monde aseptisé où se cachent des horreurs. Ici se répètera le drame, dans une réminiscence incertaine, souvenir évanescent où les faits se métamorphosent selon les aléas de la mémoire. Au son de la musique techno, la mère (remarquable Nancy Bernier à la fois tendre et libidinale) entre dans une transe saccadée, objet dépossédé de son âme. Le fils (fascinant Vincent Nolin-Bouchard entre brutalité et abandon) au contraire, y trouve l’évasion dans de langoureux mouvements de danse. Le père (étonnant Carol Cassistat dans un rôle tout en subtilité), fantôme omniprésent, se meut dans un espace gélatineux qui entrave son débit, ses déplacements, son timbre de voix. Comme si la dureté du monde se dissipait dans l’évanescence.
Guillaume Pepin nous offre une mise en scène terrifiante. Le texte cru, souvent poétique, se démultiplie dans des formes inouïes qui nous interpellent sans cesse : images éthérées d’une technologie défaillante, chorégraphies d’un pas de trois où l’on s’attire et se fuit, sensualité de tous les instants, contacts furtifs laissés en flottement, tout concourt à nous engouffrer dans le piège mortifère et gluant de la violence latente. Celle qui porte les visages de l’amour et de la haine. Nous aimons cette lenteur progressive qui va de la frénésie techno du début jusqu’aux chuchotements du père abhorré, qui accueille la mort presque avec délectation. Ce faisant, il fait ressurgir sur ses meurtriers la culpabilité qui l’habite d’aussi loin qu’il se souvienne. Et la vie se referme sur eux. Ils ne peuvent sortir de la salle de torture.
Le Projet HLA est une pièce d’une dureté foudroyante qui ne laisse aucun répit au public. Pour le jeune metteur en scène, qui avait révélé son propre parcours dans Hôtel-Dieu (2018) d’Alexandre Fecteau, racontant sa venue au monde après s’être libéré d’une famille Témoins de Jéhovah où l’homosexualité est condamnée, ce projet pose une question fondamentale : peut-on échapper à la fatalité qui semble inscrite dans nos gènes ? Fretel répond par la négative, si les conditions familiales restent les mêmes. Voici un petit bijou en forme d’angoisse. Cœurs sensibles, s’abstenir.
Texte : Nicolas Fretel. Mise en scène : Guillaume Pepin. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Distribution : Nancy Bernier, Carol Cassistat et Vincent Nolin-Bouchard. Lumière et intégration vidéo : Keven Dubois. Costumes : Laurie Carrier. Décor et accessoires : Dominique Giguère. Conseillère au mouvement : Ève Rousseau-Cyr. Conception sonore : Étienne Lambert. Conception vidéo : Keven Dubois et Alexandre Berthier. Direction de production : Laurence Croteau-Langevin. Une production de La Trâlée, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 22 février 2020.
Un an après avoir tué le père, la mère et le fils revivent en boucle ce souper fatidique. Eux qui croyaient s’être libérés du monstre, se trouvent au contraire emprisonnés dans une ritournelle de la souffrance qui les ramène sans arrêt dans la tourmente de la violence familiale. Le texte de Nicolas Fretel explore sans complaisance les mécanismes autodestructeurs qui poussent le trio au cœur de l’abîme. Texte coup de poing où s’entremêlent alcoolisme, inceste, torture psychologique… Ici, aucun des protagonistes ne peut invoquer la vertu. Tous sont contaminés par des pulsions contradictoires, embourbés dans un cycle ancestral, d’où ce titre évocateur : HLA (de l’anglais Human Leucocyte Antigen) comme facteur génétique qui se transmettrait de génération en génération. Fretel, ex-fonctionnaire au ministère de la Justice de France, a pu observer pendant 15 ans les cas lourds de maltraitance sur les enfants. Les dommages de la violence familiale sont plus dévastateurs que toutes les guerres. Alors, comment sortir de cette fatalité ? Comment échapper à sa propre abjection ?
Cette tragédie techno, où le texte s’appuie sur une musique électronique de sampling, s’impose tel un vers d’oreille qui se répète à l’infini, nous emportant dans l’abysse. « Je l’aime j’ai peur et j’ai honte à penser avec remords au plaisir troublant de ses douleurs. » Voilà bien le cœur du drame : la mère refuse de condamner le père abuseur, dominateur, parce que, dit-elle, « les mauvais moments s’effacent et s’estompent comme le faisaient ses traces sur mon corps ». La haine de l’autre se confond avec la haine de soi-même, la condamnation n’étant jamais univoque. Jusqu’au père qui suggère à son fils de le tuer pour se libérer enfin de ce traumatisme, qui l’a dénaturé lui aussi dans son enfance.
La scène comme salle de torture
La scénographie dépouillée consiste en un mur de céramique blanche, avec deux portes d’accès latéral. Au centre, une table massive devant un buffet, sur lequel est déposé un aquarium. La technologie est bien visible, disposée au sol devant le public. Dispositif sans histoire, espace froid et neutre, comme un monde aseptisé où se cachent des horreurs. Ici se répètera le drame, dans une réminiscence incertaine, souvenir évanescent où les faits se métamorphosent selon les aléas de la mémoire. Au son de la musique techno, la mère (remarquable Nancy Bernier à la fois tendre et libidinale) entre dans une transe saccadée, objet dépossédé de son âme. Le fils (fascinant Vincent Nolin-Bouchard entre brutalité et abandon) au contraire, y trouve l’évasion dans de langoureux mouvements de danse. Le père (étonnant Carol Cassistat dans un rôle tout en subtilité), fantôme omniprésent, se meut dans un espace gélatineux qui entrave son débit, ses déplacements, son timbre de voix. Comme si la dureté du monde se dissipait dans l’évanescence.
Guillaume Pepin nous offre une mise en scène terrifiante. Le texte cru, souvent poétique, se démultiplie dans des formes inouïes qui nous interpellent sans cesse : images éthérées d’une technologie défaillante, chorégraphies d’un pas de trois où l’on s’attire et se fuit, sensualité de tous les instants, contacts furtifs laissés en flottement, tout concourt à nous engouffrer dans le piège mortifère et gluant de la violence latente. Celle qui porte les visages de l’amour et de la haine. Nous aimons cette lenteur progressive qui va de la frénésie techno du début jusqu’aux chuchotements du père abhorré, qui accueille la mort presque avec délectation. Ce faisant, il fait ressurgir sur ses meurtriers la culpabilité qui l’habite d’aussi loin qu’il se souvienne. Et la vie se referme sur eux. Ils ne peuvent sortir de la salle de torture.
Le Projet HLA est une pièce d’une dureté foudroyante qui ne laisse aucun répit au public. Pour le jeune metteur en scène, qui avait révélé son propre parcours dans Hôtel-Dieu (2018) d’Alexandre Fecteau, racontant sa venue au monde après s’être libéré d’une famille Témoins de Jéhovah où l’homosexualité est condamnée, ce projet pose une question fondamentale : peut-on échapper à la fatalité qui semble inscrite dans nos gènes ? Fretel répond par la négative, si les conditions familiales restent les mêmes. Voici un petit bijou en forme d’angoisse. Cœurs sensibles, s’abstenir.
Le Projet HLA
Texte : Nicolas Fretel. Mise en scène : Guillaume Pepin. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Distribution : Nancy Bernier, Carol Cassistat et Vincent Nolin-Bouchard. Lumière et intégration vidéo : Keven Dubois. Costumes : Laurie Carrier. Décor et accessoires : Dominique Giguère. Conseillère au mouvement : Ève Rousseau-Cyr. Conception sonore : Étienne Lambert. Conception vidéo : Keven Dubois et Alexandre Berthier. Direction de production : Laurence Croteau-Langevin. Une production de La Trâlée, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 22 février 2020.