Critiques

Please Thrill Me : La La Band

© Ludovic Rolland-Marcotte

« La compagnie BOP [Ballet Opéra Pantomime] remercie le théâtre La Chapelle pour la semaine de création allouée » : ainsi débute, peu ou prou en ces termes, Please Thrill Me, d’avance excusée pour les conditions expéditives de sa création. Une gageure pour le genre !

Les 12 représentations annoncées offriront surtout l’occasion d’applaudir un spectacle atypique d’une heure, en anglais et surtitré en français. La production nous paraît encore inachevée mais fort prometteuse, écrite et composée par l’artiste de la scène underground montréalaise Sean Nicholas Savage, également interprète du personnage principal.

L’argument reste classique : un jeune homme un peu paumé débarque dans une nouvelle ville, s’y fait des ami·es, et se demande où la vie l’a mené. Plus original, il atterrit dans un restaurant de fruits de mer à la clientèle et au personnel fort sympathiques, puis, un soir, investit un bateau de plaisance pour y faire la fête (on est punk ou on ne l’est pas) et finit par chanter sous la pluie. Please Thrill Me ne renie pas ses classiques.

© Ludovic Rolland-Marcotte

Chansons d’espoir, de désespoir, les tableaux en forme de pastiche de comédie musicale recopient des récits immarcescibles de ruptures sociales, des rengaines imputrescibles, et toutes ces recettes infaillibles ayant permis la conquête planétaire des La La Land et consorts. Dans la traversée nostalgique des musicals de référence, brille une division blindée de quatre synthétiseurs. Le spectacle compte d’ailleurs autant de musicien·nes que d’interprètes.

La galerie de personnages nous replonge dans l’âge d’or du genre, aux côtés d’un narrateur à l’allure de producteur Motown, mais aussi d’un compère aux cheveux gominés que l’on croirait évadé de Grease, d’une serveuse-artiste (mais pas automate) à la grâce d’une Demoiselle de Rochefort et d’une tenancière cuirassée.

Ici, le livret se modernise. Il inclut des thématiques plus contemporaines. On chante le multiculturalisme sur ces paroles : « On est tous différents, mais certaines choses nous lient », complétée par une chorégraphie surjouée, ce qui confirme que l’affaire ne devrait pas être prise trop au sérieux. Sean Nicholas Savage a d’ailleurs parfois du mal à ne pas rire.

Le voilà qui chante, la tête renversée en arrière (et en anglais) « ce que j’essaie d’élucider, c’est le mystère du soi ». Il ne se contente ni de la signification de ces paroles, ni de la ligne musicale qui les soutient : il lui faut encore dramatiser la phonétique, insister par le geste, tournoyer comme un coq sans tête. Ce pléonasme d’intentions, qui caractérise parfois les chansons théâtralisées, est particulièrement exacerbé ici et surligné par le maquillage des interprètes.

À la mise en scène, Sophie Cadieux charge délibérément la barque du mélodramatique dans une scénographie pourtant dépouillée – si ce n’est l’énorme crevette surplombant le plateau en guise d’enseigne lumineuse. L’équipe derrière la création a bien trouvé son ton, drôlement décalé et très second degré, mais elle gagnerait à fluidifier certains tableaux et à resserrer le rythme pour ne pas faire mentir son titre.

© Ludovic Rolland-Marcotte

Please Thrill Me

Texte et musique : Sean Nicholas Savage. Mise en scène : Sophie Cadieux. Chorégraphies : Catherine Dagenais-Savard. Scénographie : Félix Poirier. Lumière : Ted Stafford. Conception sonore : Nataq Huault. Costumes: Anne-Sophie Gaudet. Traduction : Charles Beaudoin. Avec Sean Nicholas Savage, Adam Byczkowski aka Better Person, Jane Penny, Lulu Hughes et Roland « Rollie » Pemberton aka Cadence Weapon. Musiciens : Pascal Chénard, Alexandre Colas-Jeffery, Antoine Langis, Juliette Leclerc, Max-Élie Oboukangongo-Laroche. Une production de Ballet Opéra Pantomime présentée à La Chapelle jusqu’au 1er mars 2020.

Maud Cucchi

À propos de

Collaboratrice de JEU depuis 2016, elle a été journaliste culturelle au quotidien Le Droit, à Ottawa, pendant 9 ans.