La crise de la quarantaine. L’envie de fuir une vie construite par inadvertance, par habitude de conformité, sans trop se demander si les choix qu’on a faits sont réellement les nôtres, parce que se poser des questions est trop vertigineux. Puis, dans l’exotisme d’un sauna mixte, alors qu’on est touché par la grâce, par une vision de beauté, dans une épiphanie de nudité, on décide. Ça y est ! On met le feu dans le sapinage.
Après son succès, il y a deux ans, voilà que Je suis mixte, spectacle écrit et mis en scène par Mathieu Quesnel, revient sur les planches pour ouvrir la nouvelle saison théâtrale de La Licorne et faire acte de résistance face à la pandémie. Car quoi de mieux pour faire oublier l’austérité sociale et l’angoisse latente auxquelles le virus nous a habitué·es qu’une solide dose d’humour et de délire.
La pièce de théâtre se déploie entre le stand-up et la performance. François (Benoît Mauffette), aidé de son oncle (Yves Jacques) et d’un musicien d’origine slave (Navet Confit), entreprend d‘exposer au public le carrefour au cœur duquel il se trouve. À coups de faux départs, de vidéos loufoques et de synth pop, une tragédie se jouera, mais on comprendra bien vite que François en est l’architecte et que le carrefour est peut-être un cul-de-sac.
Conjoint, père de famille et Drummondvillois endormi sous la pile de ses possessions, François est l’héritier d’une grosse entreprise familiale. Il n’a jamais eu à se demander qui il était ou ce qu’il avait envie de faire, il lui suffisait de suivre le chemin tracé et de prospérer. Il s’ennuie, mais n’en fait pas trop de cas, jusqu’à ce que, envoyé en Allemagne pour un congrès, il vagabonde du côté de Berlin et reconnecte avec son essence, ou du moins, le croit-il. Parce qu’après des semaines d’exploration festive, voilà que le doute l’assaille. Et si tout ça n’était qu’un leurre et que sa place était près de sa famille ?
Énergie adolescente
On retrouve dans la proposition de Mathieu Quesnel un univers résolument masculin, certes, mais surtout adolescent. À partir du moment où François entre en rupture avec sa vie au Québec, il se met en quête de son identité et embrasse l’adulescent enfoui en lui. Il y a dans sa description du corps de la femme (quand même assez convenue en ce qui concerne les standards de beauté, admettons-le) une fascination qui relève de la découverte du sexe opposé, et dans sa façon de s’enthousiasmer ou de s’affoler, une urgence à l’avenant (soulignée par plusieurs retentissants « tabarnaaaaaaaaak », hurlés en courant d’un bout à l’autre du plateau). Cette couleur teinte également la direction d’acteurs, où chacun embrasse son énergie juvénile, ainsi que la mise en scène, qui épouse la même esthétique de spontanéité. Les éclairages sont contrôlés par les personnages avec une manette, les chansons sont faussement improvisées et, bien vite, la scène croulera sous les accessoires ayant servi à illustrer les lubies des protagonistes, recréant physiquement le chaos mental dans lequel erre François.
Et c’est précisément dans ce chaos que se situe le plaisir du spectateur et de la spectatrice, dans l’abandon de tout ce qui est lisse et propre, dans l’admission qu’il n’existe ni bonne ni mauvaise décision. On est devant un personnage malheureux qui se débat pour trouver la voie vers son bonheur. Convaincu que sa nouvelle liberté le place au centre de l’univers de tous et toutes, il commettra quelques erreurs de lecture de situations, qui auront des conséquences dégrisantes, lui faisant prendre conscience qu’il a remplacé une illusion par une autre. Et c’est là que la pièce vient frapper fort.
Quesnel fait le portrait de l’homme occidental en mal de vivre en soulignant ses contradictions et le ridicule de certains raisonnements, sans toutefois perdre en compassion. Seul bémol : certain·es s’étonneront qu’une pièce, où le titre renvoie à la mixité, ne dépeint pas la femme en tant qu’entité propre. Ici, les personnages féminins sont des objets de désirs ou des castratrices ou des victimes collatérales. On comprendra que cette décision a été prise pour mettre l’accent sur une histoire masculine, mais il reste que cette façon de traiter le sujet perpétue des stéréotypes. Il aurait été intéressant de rajouter une couche au dilemme du héros en lui juxtaposant un écho féminin. Cependant, on pardonnera cette petite lacune, tant sont bien cernées la dichotomie qui règne en chaque humain et la perplexité qui résulte de ce constat. Comment choisir entre le besoin de facilité et le besoin d’aventures, entre l’envie simultanée du calme reposant d’une vie sans surprise et la rage de s’épivarder ? Drummondville ou Berlin ? Pourquoi pas Drummondville et Berlin?
Je suis mixte
Texte et mise en scène : Mathieu Quesnel. Scénographie : Estelle Charron. Musique : Navet Confit. Éclairages : Renaud Pettigrew. Vidéo : Mathieu Quesnel. Avec Yves Jacques, Benoit Mauffette et Navet Confit. Une production de Tôtoutard, en codiffusion avec La Manufacture, présentée jusqu’au 26 septembre à La Licorne, du 1er au 10 octobre au Théâtre Périscope et en tournée jusqu’au 1er décembre.
La crise de la quarantaine. L’envie de fuir une vie construite par inadvertance, par habitude de conformité, sans trop se demander si les choix qu’on a faits sont réellement les nôtres, parce que se poser des questions est trop vertigineux. Puis, dans l’exotisme d’un sauna mixte, alors qu’on est touché par la grâce, par une vision de beauté, dans une épiphanie de nudité, on décide. Ça y est ! On met le feu dans le sapinage.
Après son succès, il y a deux ans, voilà que Je suis mixte, spectacle écrit et mis en scène par Mathieu Quesnel, revient sur les planches pour ouvrir la nouvelle saison théâtrale de La Licorne et faire acte de résistance face à la pandémie. Car quoi de mieux pour faire oublier l’austérité sociale et l’angoisse latente auxquelles le virus nous a habitué·es qu’une solide dose d’humour et de délire.
La pièce de théâtre se déploie entre le stand-up et la performance. François (Benoît Mauffette), aidé de son oncle (Yves Jacques) et d’un musicien d’origine slave (Navet Confit), entreprend d‘exposer au public le carrefour au cœur duquel il se trouve. À coups de faux départs, de vidéos loufoques et de synth pop, une tragédie se jouera, mais on comprendra bien vite que François en est l’architecte et que le carrefour est peut-être un cul-de-sac.
Conjoint, père de famille et Drummondvillois endormi sous la pile de ses possessions, François est l’héritier d’une grosse entreprise familiale. Il n’a jamais eu à se demander qui il était ou ce qu’il avait envie de faire, il lui suffisait de suivre le chemin tracé et de prospérer. Il s’ennuie, mais n’en fait pas trop de cas, jusqu’à ce que, envoyé en Allemagne pour un congrès, il vagabonde du côté de Berlin et reconnecte avec son essence, ou du moins, le croit-il. Parce qu’après des semaines d’exploration festive, voilà que le doute l’assaille. Et si tout ça n’était qu’un leurre et que sa place était près de sa famille ?
Énergie adolescente
On retrouve dans la proposition de Mathieu Quesnel un univers résolument masculin, certes, mais surtout adolescent. À partir du moment où François entre en rupture avec sa vie au Québec, il se met en quête de son identité et embrasse l’adulescent enfoui en lui. Il y a dans sa description du corps de la femme (quand même assez convenue en ce qui concerne les standards de beauté, admettons-le) une fascination qui relève de la découverte du sexe opposé, et dans sa façon de s’enthousiasmer ou de s’affoler, une urgence à l’avenant (soulignée par plusieurs retentissants « tabarnaaaaaaaaak », hurlés en courant d’un bout à l’autre du plateau). Cette couleur teinte également la direction d’acteurs, où chacun embrasse son énergie juvénile, ainsi que la mise en scène, qui épouse la même esthétique de spontanéité. Les éclairages sont contrôlés par les personnages avec une manette, les chansons sont faussement improvisées et, bien vite, la scène croulera sous les accessoires ayant servi à illustrer les lubies des protagonistes, recréant physiquement le chaos mental dans lequel erre François.
Et c’est précisément dans ce chaos que se situe le plaisir du spectateur et de la spectatrice, dans l’abandon de tout ce qui est lisse et propre, dans l’admission qu’il n’existe ni bonne ni mauvaise décision. On est devant un personnage malheureux qui se débat pour trouver la voie vers son bonheur. Convaincu que sa nouvelle liberté le place au centre de l’univers de tous et toutes, il commettra quelques erreurs de lecture de situations, qui auront des conséquences dégrisantes, lui faisant prendre conscience qu’il a remplacé une illusion par une autre. Et c’est là que la pièce vient frapper fort.
Quesnel fait le portrait de l’homme occidental en mal de vivre en soulignant ses contradictions et le ridicule de certains raisonnements, sans toutefois perdre en compassion. Seul bémol : certain·es s’étonneront qu’une pièce, où le titre renvoie à la mixité, ne dépeint pas la femme en tant qu’entité propre. Ici, les personnages féminins sont des objets de désirs ou des castratrices ou des victimes collatérales. On comprendra que cette décision a été prise pour mettre l’accent sur une histoire masculine, mais il reste que cette façon de traiter le sujet perpétue des stéréotypes. Il aurait été intéressant de rajouter une couche au dilemme du héros en lui juxtaposant un écho féminin. Cependant, on pardonnera cette petite lacune, tant sont bien cernées la dichotomie qui règne en chaque humain et la perplexité qui résulte de ce constat. Comment choisir entre le besoin de facilité et le besoin d’aventures, entre l’envie simultanée du calme reposant d’une vie sans surprise et la rage de s’épivarder ? Drummondville ou Berlin ? Pourquoi pas Drummondville et Berlin?
Je suis mixte
Texte et mise en scène : Mathieu Quesnel. Scénographie : Estelle Charron. Musique : Navet Confit. Éclairages : Renaud Pettigrew. Vidéo : Mathieu Quesnel. Avec Yves Jacques, Benoit Mauffette et Navet Confit. Une production de Tôtoutard, en codiffusion avec La Manufacture, présentée jusqu’au 26 septembre à La Licorne, du 1er au 10 octobre au Théâtre Périscope et en tournée jusqu’au 1er décembre.