Retourner au théâtre après six mois de privation nous a confirmé que nous étions en manque. En manque de parole vivante, de présence, d’histoires humaines livrées par des êtres en chair et en os. Au sous-sol du Grand Théâtre de Québec, dans une salle de répétition aménagée en salle de représentation intime, quelques minutes après le début de Ce qu’on respire sur Tatouine, c’est d’abord cela qui nous frappe de plein fouet.
Après avoir fait la file en respectant les marques au sol, avec son masque, et avoir attendu que le personnel d’accueil nous désigne une place, être sur une chaise à deux mètres de tou·tes les autres accentue l’impression de bulle, de tête-à-tête, qui accompagne souvent les solos.
Parce que même s’il est ponctué de dialogues — drôles et touchants — avec les personnages qui gravitent autour du narrateur, Ce qu’on respire sur Tatouine est avant tout le récit singulier d’un homme de 31 ans qui patauge dans une vie un peu trop petite où les bonheurs vertigineux (ceux qui récolent 300 « j’aime » et plus sur les réseaux sociaux) se font rares.
Pourtant, l’homme joué par Marc-Antoine Marceau se raconte avec un mélange de fantaisie, d’humour et de lucidité qui illumine les passages les plus glauques et les moins glorieux. Le metteur en scène Olivier Arteau l’a placé dans un bassin rempli de matière friable, sablonneuse, qui rappelle à la fois la fameuse planète Tatouine du titre et une piscine de céréales Lucky Charms, sans guimauves colorées. Enseveli comme Winnie dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett, le trentenaire raconte comment il n’a « jamais vraiment eu de blonde », mais a été charmé par des centaines de sourires et de mentons. Comment, derrière son comptoir du bureau d’information touristique, il se sent comme un fantôme. Comment la fibrose kystique l’étouffe, l’enfle, lui fait cracher du sang.
La principale qualité du texte (un montage d’Olivier Arteau réalisé à partir du roman de Jean-Christophe Réhel qui a remporté le Prix littéraire des collégiens) est de ne jamais verser dans le jugement, l’apitoiement ou le cynisme. De montrer qu’on peut tomber amoureux dans l’entrée d’un Maxi, qu’un propriétaire qui fait des gâteaux aux rigatonis peut aimer son locataire comme s’il était son fils, qu’un poète peut se comparer à John McClane dans Die Hard et qu’un sous-sol de Repentigny peut constituer un endroit où être heureux. Vus à travers le filtre des références à Star Wars et des films à succès des années 1980 et 1990, les évènements les plus banals peuvent s’auréoler de rayons lumineux.
On s’attache à Marceau, à son sourire et à sa manière toujours un peu décalée de raconter les faits d’armes de son personnage. Stéfanelle Auger réussit avec habileté à nous faire voir chacun des protagonistes qu’elle incarne (la sœur, le beau-frère, le propriétaire, Amidala et une flopée de collègues). Même à deux mètres de distance, les partenaires de jeu parviennent à tisser une complicité touchante. Le musicien Olivier Forest, quant à lui, fait tournoyer des tuyaux et s’active sur les percussions pour créer un environnement sonore cosmico-rythmique qui colle bien au texte.
Le dispositif scénique, où Marceau est englouti jusqu’aux genoux, oblige le comédien à fouiller autour de lui pour déterrer des accessoires et à sortir des granules des collants de lutin qu’il remonte sur ses boxers de Star Wars, ce qui ajoute au comique et à la douce étrangeté de la proposition. À défaut de nous bousculer, ou de renverser complètement notre manière de voir le monde, Ce qu’on respire sur Tatouine propose un filtre qui donne à la grisaille du quotidien des éclats fluorescents.
Lorsqu’on retrouve la surface après la représentation, on ne peut s’empêcher de penser qu’on aura toujours l’impression que Tatouine n’est pas dans le désert tunisien, mais au sous-sol du Grand Théâtre.
Texte : Jean-Christophe Réhel. Mise en scène et montage : Olivier Arteau. Assistance à la mise en scène : Léa Aubin. Scénographie et costumes : Élène Pearson. Musique : Olivier Forest. Éclairages : Keven Dubois. Avec Marc-Antoine Marceau, accompagné de Stéfanelle Auger et d’Olivier Forest. Présenté dans la salle John-Applin du Grand Théâtre de Québec jusqu’au 18 octobre 2020.
Retourner au théâtre après six mois de privation nous a confirmé que nous étions en manque. En manque de parole vivante, de présence, d’histoires humaines livrées par des êtres en chair et en os. Au sous-sol du Grand Théâtre de Québec, dans une salle de répétition aménagée en salle de représentation intime, quelques minutes après le début de Ce qu’on respire sur Tatouine, c’est d’abord cela qui nous frappe de plein fouet.
Après avoir fait la file en respectant les marques au sol, avec son masque, et avoir attendu que le personnel d’accueil nous désigne une place, être sur une chaise à deux mètres de tou·tes les autres accentue l’impression de bulle, de tête-à-tête, qui accompagne souvent les solos.
Parce que même s’il est ponctué de dialogues — drôles et touchants — avec les personnages qui gravitent autour du narrateur, Ce qu’on respire sur Tatouine est avant tout le récit singulier d’un homme de 31 ans qui patauge dans une vie un peu trop petite où les bonheurs vertigineux (ceux qui récolent 300 « j’aime » et plus sur les réseaux sociaux) se font rares.
Pourtant, l’homme joué par Marc-Antoine Marceau se raconte avec un mélange de fantaisie, d’humour et de lucidité qui illumine les passages les plus glauques et les moins glorieux. Le metteur en scène Olivier Arteau l’a placé dans un bassin rempli de matière friable, sablonneuse, qui rappelle à la fois la fameuse planète Tatouine du titre et une piscine de céréales Lucky Charms, sans guimauves colorées. Enseveli comme Winnie dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett, le trentenaire raconte comment il n’a « jamais vraiment eu de blonde », mais a été charmé par des centaines de sourires et de mentons. Comment, derrière son comptoir du bureau d’information touristique, il se sent comme un fantôme. Comment la fibrose kystique l’étouffe, l’enfle, lui fait cracher du sang.
La principale qualité du texte (un montage d’Olivier Arteau réalisé à partir du roman de Jean-Christophe Réhel qui a remporté le Prix littéraire des collégiens) est de ne jamais verser dans le jugement, l’apitoiement ou le cynisme. De montrer qu’on peut tomber amoureux dans l’entrée d’un Maxi, qu’un propriétaire qui fait des gâteaux aux rigatonis peut aimer son locataire comme s’il était son fils, qu’un poète peut se comparer à John McClane dans Die Hard et qu’un sous-sol de Repentigny peut constituer un endroit où être heureux. Vus à travers le filtre des références à Star Wars et des films à succès des années 1980 et 1990, les évènements les plus banals peuvent s’auréoler de rayons lumineux.
On s’attache à Marceau, à son sourire et à sa manière toujours un peu décalée de raconter les faits d’armes de son personnage. Stéfanelle Auger réussit avec habileté à nous faire voir chacun des protagonistes qu’elle incarne (la sœur, le beau-frère, le propriétaire, Amidala et une flopée de collègues). Même à deux mètres de distance, les partenaires de jeu parviennent à tisser une complicité touchante. Le musicien Olivier Forest, quant à lui, fait tournoyer des tuyaux et s’active sur les percussions pour créer un environnement sonore cosmico-rythmique qui colle bien au texte.
Le dispositif scénique, où Marceau est englouti jusqu’aux genoux, oblige le comédien à fouiller autour de lui pour déterrer des accessoires et à sortir des granules des collants de lutin qu’il remonte sur ses boxers de Star Wars, ce qui ajoute au comique et à la douce étrangeté de la proposition. À défaut de nous bousculer, ou de renverser complètement notre manière de voir le monde, Ce qu’on respire sur Tatouine propose un filtre qui donne à la grisaille du quotidien des éclats fluorescents.
Lorsqu’on retrouve la surface après la représentation, on ne peut s’empêcher de penser qu’on aura toujours l’impression que Tatouine n’est pas dans le désert tunisien, mais au sous-sol du Grand Théâtre.
Ce qu’on respire sur Tatouine
Texte : Jean-Christophe Réhel. Mise en scène et montage : Olivier Arteau. Assistance à la mise en scène : Léa Aubin. Scénographie et costumes : Élène Pearson. Musique : Olivier Forest. Éclairages : Keven Dubois. Avec Marc-Antoine Marceau, accompagné de Stéfanelle Auger et d’Olivier Forest. Présenté dans la salle John-Applin du Grand Théâtre de Québec jusqu’au 18 octobre 2020.