Entrevues

Résidences de création : retour de l’humain

© Amélie Dallaire

Malgré la pandémie, les directions artistiques ont redoublé d’innovation pour remettre l’humain·e à l’avant-plan au théâtre. À des années-lumière des cogitations du ministère de la Culture, les artistes réfléchissent à leur métier en même temps qu’ils et elles l’exercent dans des conditions difficiles. C’est le cas notamment au Théâtre Aux Écuries et au Festival TransAmériques.

En raison de l’annulation de son édition 2020, le Festival TransAmériques (FTA) a dégagé une marge de manœuvre financière de 244 000 $ qu’il a investie dans 27 productions portées par 42 artistes en danse et en théâtre. Les « Respirations » du FTA vont du conseil administratif ou technique au support dramaturgique. Deux résidences ont aussi été offertes à la troupe projets hybris et au duo formé par Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais.

Comme c’est le cas pour Marie Brassard et sa pièce Violence, certains spectacles programmés pour 2020 seront proposés au public l’an prochain au FTA, mais recevront une aide pour continuer à peaufiner le travail d’ici là.

« On s’est dit que les artistes avaient besoin de travailler maintenant et qu’il fallait les encourager, explique le directeur sortant du FTA, Martin Faucher, qui a créé cette initiative avec la conseillère artistique Jessie Mill. On voulait accompagner davantage des créateurs, des créatrices ou des productions qu’on jugeait intéressants même si la finalité du résultat n’est pas présentée au festival. »

L’échéancier importe peu, note-t-il, et il est possible que certains projets voient le jour dans la saison régulière d’un théâtre. Le FTA compte également augmenter ses coproductions dans le futur en fonction des sommes qui seront disponibles.

« Il y a une vingtaine d’années, Marie-Hélène Falcon [l’ex-directrice de l’événement] rêvait d’un lieu de création au FTA. Les Respirations du FTA nous permettent de concrétiser ce qu’elle souhaitait, sans la lourdeur d’avoir à administrer des lieux comme tels. Il y a plein d’endroits à Montréal où l’on peut loger des artistes. »

En résidence, le groupe projets hybris pourra développer son spectacle intitulé Cruel∙le, qui s’inscrit dans une démarche queer et multidisciplinaire.

Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais, de leur côté, sont présentement en écriture au CEAD et déménageront ensuite au Théâtre Aux Écuries, pour créer une pièce au sujet de l’héritage qu’on doit léguer aux générations futures.

Les Respirations du FTA n’entrent pas en concurrence avec le travail que fait déjà La Serre/Arts vivants à l’année, souligne Martin Faucher, puisque la seconde organisation soutient davantage les artistes de la relève. Il y voit, au contraire, une grande compatibilité.

« Si on vient augmenter la part de spectacles soutenus par La Serre, pourquoi pas ? On est dans un contexte où la collaboration, la coopération et l’accumulation des appuis ne sont que bienvenues. »

« La pandémie, poursuit-il, a replacé au centre du travail l’importance du temps, de la création, de la recherche. Nous, on voulait tisser un lien de confiance plus direct avec les artistes. La pandémie est terrible, mais les diver
ses structures théâtrales et chorégraphiques favorisent le travail en salles de répétition. On en revient à l’humilité et à l’humain. »

Théâtre Aux Écuries

Le Théâtre Aux Écuries, déjà en temps normal un centre de création pour ses six compagnies résidentes et quelques autres de passage, profite de la pandémie pour ouvrir encore plus grandes ses portes à de nouveaux projets.

« On a pris la décision au printemps dernier de se tourner vers ce qu’on appelle le Super centre de création. On a sorti des cartons des choses qu’on voulait faire depuis longtemps, c’est-à-dire l’accompagnement, le mentorat, le soutien et les rencontres sectorielles », explique la codirectrice, Marcelle Dubois.

En fait, les salles du théâtre bourdonnent comme jamais cet automne. Elles reçoivent, gratuitement et jusqu’à la fin du printemps prochain, une dizaine de résidences de création, au lieu de quatre habituellement, et 35 accueils éclair de quelques jours, soit une vingtaine de plus qu’en saison régulière. Et si les spectacles ne reprennent pas en janvier, les Écuries continueront de se mettre au service des artistes.

« On a fait contre mauvaise fortune bon cœur en se disant qu’on en profiterait pour essayer des choses, note Marcelle Dubois. Ça ne dérougit pas. Je crois que ça répond à un vrai besoin d’ancrage des artistes pour lutter contre la solitude. C’est un terrain d’essai, mais déjà on sait qu’il y a des initiatives comme les rencontres sectorielles qui seront renouvelées. »

Ces rendez-vous professionnels, qui ont eu lieu en septembre, rassemblaient des artisan·es, en présentiel et en virtuel, autour de sujets comme la mise en scène, la conception et les communications.

« On avait 25 participants et participantes en mise en scène et ça touchait autant les diplômé·es des écoles que des artistes aguerri·es. Il y avait une collégialité et une mise en commun des pratiques vraiment agréables. Même chose en communication, où l’on a réuni des théâtres institutionnels et des compagnies indépendantes. »

Selon celle qui est aussi la directrice du Festival Jamais Lu, il s’agissait de mettre l’argent au bon endroit, c’est-à-dire dans les poches des artistes. La dizaine de projets bénéficiant de résidences reçoivent tous une bourse de 1 000 $ de la part de la Fondation du Grand Montréal.

« Plein d’artistes qu’on accueille en nos murs n’ont pas reçu de réponses de subventions positives. Ils et elles sont inquiets et inquiètes puisqu’il n’y aura pas nécessairement de diffusion dans les prochains mois. Il fallait trouver la façon de les aider à compléter leur montage financier et à travailler. »

Marcelle Dubois constate que le milieu du théâtre s’est solidarisé durant la crise. Cependant, le gouvernement devra se mettre au diapason de ces femmes et de ces hommes qui ont innové pour continuer à pratiquer leur métier.

« Il y a encore trop de gens laissés sur la touche par les mesures actuelles », conclut-elle.