Malgré les coups durs qu’elles encaissent depuis mars dernier, les compagnies de théâtre jeunesse ne baissent pas les bras et continuent de résister aux embûches engendrées par la pandémie. C’est le cas, notamment, du Théâtre Bluff, du Projet MÛ et des Incomplètes, qui traversent la tempête avec un objectif commun et vital : trouver des façons d’amener l’art vivant aux citoyen·nes de demain.
Fondée en 2011 à Québec, Les Incomplètes, compagnie de recherche et de création explorant les arts visuels et ceux de la scène, s’adresse à tous les publics, mais se distingue, entre autres, par ses œuvres offertes à la petite enfance et particulièrement aux bébés. « Chez nous, ça n’a pas empêché l’émulation des projets. On ressent vraiment une responsabilité d’amener du sens, de la contemplation, de l’introspection et de favoriser le vivre-ensemble, malgré tout », explique Laurence P. Lafaille, fondatrice et codirectrice artistique des Incomplètes.
Le groupe de créatrices a donc rapidement lancé plusieurs propositions en réponse au climat imposé par la pandémie. Il y eut d’abord une série de « happenings berçants » lors desquels la population était conviée à aller se bercer avec les artistes au bord du fleuve. « Modestement et à l’échelle de ce qu’on était capable de faire, on avait l’impression de semer quelque chose de bon et de beau, de mettre un baume sur ce qui se passait dans notre société à ce moment-là », confie Lafaille. Cette création en deux temps s’est conclue par un parcours déambulatoire en forêt, toujours autour du thème des berceuses. Puis a suivi, entre autres, Prendre le large, un projet de performances et d’installations au cœur de centres de la petite enfance (CPE).
Ce n’est là qu’une partie de l’agenda des derniers mois, repensé mais pas pour autant moins chargé, des Incomplètes, motivées par l’envie d’insuffler une dose de réconfort à ce monde présentement si chaotique. « Se rassembler autour d’un moment extra-quotidien, dans la contemplation, l’introspection, la sensibilité, la sensorialité, c’est ce qu’on fait et il n’y a pas de raison qu’on arrête de faire ça parce que la COVID-19 est arrivée dans nos vies. »
Un frein apaisant
Bien que cela ait causé pour elles de grands deuils, l’impossibilité des tournées, notamment à l’international, aura néanmoins permis aux Incomplètes de se replonger dans le moment présent et de pouvoir se réancrer à leur territoire immédiat, ce dont elles rêvaient depuis longtemps.
Nini Bélanger, directrice artistique de Projet MÛ, qui propose depuis 2006 des œuvres destinées tantôt aux jeunes, tantôt aux adultes, a elle aussi su voir un certain côté positif au ralentissement imposé par l’absence de tournée. « Dans la vie, j’aime créer lentement », dit-elle.
Malgré cela, la pandémie n’aura pas pour autant été synonyme de repos. « Ça faisait des années que je n’avais pas travaillé comme ça » lance Nini Bélanger, qui a préféré se concentrer sur la création de projets dont une finalité serait garantie plutôt que de s’acharner à tenter de reprogrammer ses annulations de l’automne dernier. En raison des engagements préalablement pris avec les salles, les spectacles à venir sont toutefois demeurés annoncés malgré l’incertitude planante. « On reste programmé, on signe des contrats, on répète. La seule différence, c’est de ne pas savoir si notre travail va aboutir à une représentation. »
Elle ajoute : « Je me considère chanceuse de travailler avec des diffuseurs très engagés qui ont vraiment la volonté d’aller rejoindre le public et les enfants particulièrement. Le but n’était pas de remplir les salles, mais plutôt de se demander : comment fait-on pour que la culture se rende à eux et à elles ? »
Dans cette optique, Projet MÛ a développé différentes initiatives, dont une adaptation de son spectacle Petite sorcière – solo, revisité pour être présenté en classe en diffusion simultanée. Vue la volonté de Bélanger de préserver un lien avec les enfants qui soit le plus vivant possible, le préenregistrement n’était pas une option pour elle. La pièce s’est aussi déclinée sous la forme d’un balado de quatre épisodes, disponible en français et en anglais sur le site internet de la compagnie. Celle-ci s’est également lancée dans la mise sur pied d’ateliers de médiation, a tenu quelques résidences de création et s’est repenchée sur Splendide Jeunesse, qui devait être joué la saison dernière et dont l’équipe croise les doigts pour que la tenue de sa première ait bien lieu le 27 avril prochain.
Un casse-tête à long terme
Le Théâtre Bluff, pour sa part, préparait une saison théâtrale importante en vue de son 30e anniversaire. La compagnie, qui se spécialise dans les offres artistiques destinées aux adolescent·es, n’a pas eu d’autres choix que de réorganiser son calendrier, et ce dans l’opération des volets de création, de production, de diffusion et de médiation. « On essaie de ne rien échapper », précise Mario Borges, codirecteur général et artistique de Bluff. « On s’ajuste pour l’année en cours, oui, mais il y a aussi des impacts à moyen et long termes. Tout ce qu’on est en train de vivre va nous obliger à revoir notre planification stratégique pour les quatre prochaines années. En ce qui concerne la diffusion, ça devient très complexe. Les gens essaient de repousser tout ce qui a été annulé à la saison prochaine, qui est donc déjà presque toute bookée. Ça devient un casse-tête incroyable », dit-il.
À travers ce torrent de complications, Bluff a tout de même maintenu un taux d’activité important avec, notamment, la création de Jusqu’au bout, un nouveau spectacle qu’elle espère pouvoir jouer à la Maison Théâtre en avril prochain et une adaptation COVID-proof du Poids des fourmis, dont une soixantaine de représentations étaient prévues en 2020 et 2021.
La compagnie a également tenu divers ateliers de médiation. Elle a entre autres poursuivi le projet Paroles Croisées, grâce auquel un comité de lecteurs et de lectrices adolescent·es choisit une pièce coup de cœur, tirée de quelques propositions issues de la francophonie internationale, qui sera interprétée lors du Festival du Jamais Lu. S’engager autrement constitue une autre initiative importante de Bluff. S’intéressant à la thématique de l’engagement, l’auteur Dany Boudreault et l’artiste visuel Marc Larivière sont allés à la rencontre d’aîné·es, de nouveaux arrivants, de nouvelles arrivantes et d’adolescentes en centres jeunesse. Le chassé-croisé de correspondances entre ces groupes donnera éventuellement naissance à une œuvre poétique multidisciplinaire.
La motivation des compagnies de théâtre jeunesse à se « réinventer » provient indéniablement d’un désir profond d’aller coûte que coûte à la rencontre de leurs publics plus que jamais en quête de sens.
Malgré les coups durs qu’elles encaissent depuis mars dernier, les compagnies de théâtre jeunesse ne baissent pas les bras et continuent de résister aux embûches engendrées par la pandémie. C’est le cas, notamment, du Théâtre Bluff, du Projet MÛ et des Incomplètes, qui traversent la tempête avec un objectif commun et vital : trouver des façons d’amener l’art vivant aux citoyen·nes de demain.
Fondée en 2011 à Québec, Les Incomplètes, compagnie de recherche et de création explorant les arts visuels et ceux de la scène, s’adresse à tous les publics, mais se distingue, entre autres, par ses œuvres offertes à la petite enfance et particulièrement aux bébés. « Chez nous, ça n’a pas empêché l’émulation des projets. On ressent vraiment une responsabilité d’amener du sens, de la contemplation, de l’introspection et de favoriser le vivre-ensemble, malgré tout », explique Laurence P. Lafaille, fondatrice et codirectrice artistique des Incomplètes.
Le groupe de créatrices a donc rapidement lancé plusieurs propositions en réponse au climat imposé par la pandémie. Il y eut d’abord une série de « happenings berçants » lors desquels la population était conviée à aller se bercer avec les artistes au bord du fleuve. « Modestement et à l’échelle de ce qu’on était capable de faire, on avait l’impression de semer quelque chose de bon et de beau, de mettre un baume sur ce qui se passait dans notre société à ce moment-là », confie Lafaille. Cette création en deux temps s’est conclue par un parcours déambulatoire en forêt, toujours autour du thème des berceuses. Puis a suivi, entre autres, Prendre le large, un projet de performances et d’installations au cœur de centres de la petite enfance (CPE).
Ce n’est là qu’une partie de l’agenda des derniers mois, repensé mais pas pour autant moins chargé, des Incomplètes, motivées par l’envie d’insuffler une dose de réconfort à ce monde présentement si chaotique. « Se rassembler autour d’un moment extra-quotidien, dans la contemplation, l’introspection, la sensibilité, la sensorialité, c’est ce qu’on fait et il n’y a pas de raison qu’on arrête de faire ça parce que la COVID-19 est arrivée dans nos vies. »
Un frein apaisant
Bien que cela ait causé pour elles de grands deuils, l’impossibilité des tournées, notamment à l’international, aura néanmoins permis aux Incomplètes de se replonger dans le moment présent et de pouvoir se réancrer à leur territoire immédiat, ce dont elles rêvaient depuis longtemps.
Nini Bélanger, directrice artistique de Projet MÛ, qui propose depuis 2006 des œuvres destinées tantôt aux jeunes, tantôt aux adultes, a elle aussi su voir un certain côté positif au ralentissement imposé par l’absence de tournée. « Dans la vie, j’aime créer lentement », dit-elle.
Malgré cela, la pandémie n’aura pas pour autant été synonyme de repos. « Ça faisait des années que je n’avais pas travaillé comme ça » lance Nini Bélanger, qui a préféré se concentrer sur la création de projets dont une finalité serait garantie plutôt que de s’acharner à tenter de reprogrammer ses annulations de l’automne dernier. En raison des engagements préalablement pris avec les salles, les spectacles à venir sont toutefois demeurés annoncés malgré l’incertitude planante. « On reste programmé, on signe des contrats, on répète. La seule différence, c’est de ne pas savoir si notre travail va aboutir à une représentation. »
Elle ajoute : « Je me considère chanceuse de travailler avec des diffuseurs très engagés qui ont vraiment la volonté d’aller rejoindre le public et les enfants particulièrement. Le but n’était pas de remplir les salles, mais plutôt de se demander : comment fait-on pour que la culture se rende à eux et à elles ? »
Dans cette optique, Projet MÛ a développé différentes initiatives, dont une adaptation de son spectacle Petite sorcière – solo, revisité pour être présenté en classe en diffusion simultanée. Vue la volonté de Bélanger de préserver un lien avec les enfants qui soit le plus vivant possible, le préenregistrement n’était pas une option pour elle. La pièce s’est aussi déclinée sous la forme d’un balado de quatre épisodes, disponible en français et en anglais sur le site internet de la compagnie. Celle-ci s’est également lancée dans la mise sur pied d’ateliers de médiation, a tenu quelques résidences de création et s’est repenchée sur Splendide Jeunesse, qui devait être joué la saison dernière et dont l’équipe croise les doigts pour que la tenue de sa première ait bien lieu le 27 avril prochain.
Un casse-tête à long terme
Le Théâtre Bluff, pour sa part, préparait une saison théâtrale importante en vue de son 30e anniversaire. La compagnie, qui se spécialise dans les offres artistiques destinées aux adolescent·es, n’a pas eu d’autres choix que de réorganiser son calendrier, et ce dans l’opération des volets de création, de production, de diffusion et de médiation. « On essaie de ne rien échapper », précise Mario Borges, codirecteur général et artistique de Bluff. « On s’ajuste pour l’année en cours, oui, mais il y a aussi des impacts à moyen et long termes. Tout ce qu’on est en train de vivre va nous obliger à revoir notre planification stratégique pour les quatre prochaines années. En ce qui concerne la diffusion, ça devient très complexe. Les gens essaient de repousser tout ce qui a été annulé à la saison prochaine, qui est donc déjà presque toute bookée. Ça devient un casse-tête incroyable », dit-il.
À travers ce torrent de complications, Bluff a tout de même maintenu un taux d’activité important avec, notamment, la création de Jusqu’au bout, un nouveau spectacle qu’elle espère pouvoir jouer à la Maison Théâtre en avril prochain et une adaptation COVID-proof du Poids des fourmis, dont une soixantaine de représentations étaient prévues en 2020 et 2021.
La compagnie a également tenu divers ateliers de médiation. Elle a entre autres poursuivi le projet Paroles Croisées, grâce auquel un comité de lecteurs et de lectrices adolescent·es choisit une pièce coup de cœur, tirée de quelques propositions issues de la francophonie internationale, qui sera interprétée lors du Festival du Jamais Lu. S’engager autrement constitue une autre initiative importante de Bluff. S’intéressant à la thématique de l’engagement, l’auteur Dany Boudreault et l’artiste visuel Marc Larivière sont allés à la rencontre d’aîné·es, de nouveaux arrivants, de nouvelles arrivantes et d’adolescentes en centres jeunesse. Le chassé-croisé de correspondances entre ces groupes donnera éventuellement naissance à une œuvre poétique multidisciplinaire.
La motivation des compagnies de théâtre jeunesse à se « réinventer » provient indéniablement d’un désir profond d’aller coûte que coûte à la rencontre de leurs publics plus que jamais en quête de sens.